Gérard David (Photographe) "Le tigre a longtemps été massacré et l'est encore de nos jours"
Gérard David ne fait pas que photographier les tigres. Il tente d'alerter le public sur la situation dramatique de ces félins en Inde.
Combien reste t-il de tigres en Inde ?
Un comptage très précis a été effectué en 2007. Le dernier remontait à 2002 et aboutissait à des chiffres qui satisfaisaient tout le monde. Or, le comptage de 2007 a abouti à un résultat catastrophique : 1 400 tigres ont finalement été dénombrés, avec une marge d'erreur de seulement 10 %, le chiffre le plus bas depuis que l'Inde a commencé à se préoccuper de la situation du tigre, dans les années 1970. Il s'agit d'un chiffre plus réaliste qu'auparavant mais aussi plus tragique pour la situation des tigres en Inde.
Pourquoi le tigre disparaît-il ? Quelles sont les menaces qui pèsent réellement sur cet animal ?

Trois types de menaces pèsent sur le tigre : le braconnage tout d'abord, qui constitue le danger le plus imminent que doivent subir les tigres. Ils sont chassés pour leur peau, leurs os, leurs dents : un tigre mort rapporte en effet plusieurs dizaines de milliers d'euros. La demande en dépouilles de tigres reste très importante ; celle-ci est basée sur une superstition liée à la force et la puissance de cet animal.
La perte de leur habitat naturel constitue le deuxième type de menace que subissent les tigres. La pression démographique fait que les populations proches de l'habitat naturel du tigre entrent en confrontation directe avec celui-ci : les hommes recherchent du bois dans la forêt, des pâturages pour leurs troupeaux... et cela empiète sur le territoire du tigre, un espace qui va de 25km² pour les femelles à plusieurs centaines de km² pour les mâles. Les parcs naturels qui protègent les tigres sont entourés de villages qui créent une énorme pression sur ces parcs.
Et la troisième menace ?
Il s'agit de la diminution des proies. Chaque tigre consomme en moyenne une cinquantaine de grands mammifères par an : cerfs, daims, chitals... La pression démographique contribue là encore à la disparition de ces animaux, qui stressés, se reproduisent moins, sont plus vulnérables... En fait, toute une chaîne est perturbée par cette pression.
Pouvez-nous parler du Plan Tigre, lancé en Inde en 1973 ?

A partir de 1972, Indhira Gandhi, alors premier ministre, fût alertée par les scientifiques et a pris conscience que le tigre était menacé. Le chiffre s'élevait officiellement à 1 500 individus. La Plan Tigre s'est traduit par la création de parcs nationaux, de réserves, pour faire en sorte que les tigres ne soient plus massacrés. Tout le monde se satisfaisait du résultat car on a compté officiellement par la suite 3 500 tigres. Pourtant, sur le terrain, les spécialistes en observaient de moins en moins et la police saisissait de plus en plus de peaux. Il y a deux ou trois ans, on commençait à dire qu'il ne restait plus aucun tigre dans la réserve de Sariska, même si officiellement il en restait toujours 25. Le gouvernement a alors lancé un recensement, qui a confirmé l'hypothèse macabre. On était arrivé à un massacre effroyable.
Il faut dire que les populations locales n'avaient jamais été impliquées dans la protection du tigre et qu'elles voyaient cet animal avant tout comme un prédateur. Suite à la "catastrophe de Sariska", un nouveau recensement bien plus précis qu'auparavant a été lancé. Le chiffre de 1 400 tigres est donc tombé fin 2007. Il n'y a d'ailleurs plus aucun tigre en liberté totale, en dehors des parcs réservés à leur protection. Sans les parcs naturels, les tigres auraient déjà disparus.
Mais que font les organisations de protection de la nature ?
Les organisations internationales lèvent des fonds. Mais aujourd'hui la solution est indienne. Elle est liée à l'implication des populations locales. Une fondation dans le parc de Bandavgarh, financée par le tourisme, permet par ailleurs de fournir du matériel aux gardes, pour leur permettre de surveiller plus efficacement ce qui se passe dans les parcs. La fondation vient également en aide aux populations locales en complétant la compensation financière faite par l'état lorsque ces personnes sont touchées par les tigres (bétail ou personnes tués...). Il faut enfin faire comprendre qu'un tigre vivant rapporte plus qu'un tigre mort.

Dans quelle région de l'Inde vos photos ont-elles été prises ?
La quasi-totalité des photos ont été réalisées dans les parcs de Kanha et celui de Bandavgarh, dans le Madhya Pradesh, une zone boisée au cœur de l'Inde et l'Etat où la densité de tigres est la plus importante.
Quelle est votre méthode pour approcher les tigres ?
Celle utilisée dans les parcs. Les tigres sont inactifs pendant la journée, leur pic d'activité se situe tôt le matin ou en fin d'après-midi. Le reste du temps, ils restent allongés dans les forêts denses. Pour les repérer, il existe un moyen infaillible : les "alarm calls" des autres animaux. En effet, quand il ne dort pas, le tigre se lève pour patrouiller, et les animaux de la forêt se mettent en alerte à l'endroit où il passe. Un bon guide arrivera à déterminer l'itinéraire que le tigre va suivre, en écoutant attentivement ces cris d'alerte. Il s'agit de la façon la plus naturelle pour suivre un tigre.
On peut également approcher le tigre à dos d'éléphant. Cette approche se fait lorsque le tigre est au repos et paisible. Les touristes arrivent alors dès qu'un tigre est localisé, pour ce que l'on appelle le "tiger show". Les autorités sont de plus en plus restrictives sur ce genre d'approche : pas de mère avec ses petits, pas de tigre en train de manger...
Mais globalement les plus belles rencontres se font lorsqu'on est à bord d'un véhicule.
Peut-on vous accompagner sur le terrain pour observer et photographier les tigres ?
Je vais en Inde le plus souvent possible pour observer les tigres mais aussi toute la faune indienne, qui est très riche. La densité d'animaux est moins importante qu'en Afrique, mais l'approche est totalement différente : en Afrique, on observe de loin, en Inde on écoute de loin. J'accompagne des groupes de 6 à 8 personnes avec l'agence Terres Oubliées pour laquelle je travaille, afin de plonger dans la nature indienne. Mais le tigre, lui, se mérite, il n'y a aucune garantie de pouvoir l'observer.