Jean-Baptiste Rabouan (Photographe) "J'ai fini la soirée avec ceux qui étaient prêts à me faire la peau !"

jean-baptiste en trek au ladakh
Jean-Baptiste en trek au Ladakh © J.B.R

Lequel des rites auxquels vous avez assisté vous a le plus marqué ?
Difficile de répondre... je peux toutefois citer les lamas, moines du Bouddhisme tibétain, en retraite dans les ermitages du Ladakh, la communion incroyable des centaines de milliers de pèlerins au pèlerinage de Sabarimala, les spectaculaires mortifications au Tamil Nadu...


Comment se sont passés vos échanges avec les multiples ethnies que vous avez photographiées ?
Toujours très bien même si certaines sont réputées farouches voire hostiles... Mes voyages ont peut-être été protégés par une bonne étoile : je n'ai jamais rencontré de situations inextricables. Même le jour où des mineurs dans une mine de pierres précieuses illégale ont voulu me lyncher : j'ai pu parler, m'expliquer et finalement faire mon reportage et finir la soirée devant une tasse de thé avec ceux qui le matin même étaient prêts à me faire la peau !

Vous avez réussi à immortaliser de nombreuses scènes inédites de la vie quotidienne (jeune femme de la tribu Meghwar, pèlerinage hindou de Sabarimala dans le Kerala, le maharaja Ratan Jit Singh dans son palais de Shimla) comment y êtes-vous parvenu ?
J'aime l'Inde. Autant que possible j'essaie de n'avoir aucun préjugé et de me mettre à la place de ceux que je viens photographier. Peut-être les gens ressentent-ils cet état d'esprit... en tous cas ils m'accordent leur confiance. Les Indiens redoutent les clichés manichéens qui font les choux gras des médias occidentaux. Lorsqu'ils sentent que votre capacité d'analyse et votre
témoignage vont au-delà, alors ils vous ouvrent leur porte. J'ai particulièrement compris cela lors de mon reportage sur le travail des enfants... 

Les nouvelles illustrant les photographies de votre ouvrage Mother India s'inspirent de vos multiples rencontres à travers l'Inde. Comment vous attirez-vous autant de confidences de peuples si différents les uns des autres ? Quelles langues maîtrisez-vous ?
Sur le terrain, je fais de mon mieux pour pratiquer l'empathie. Mais avant de développer cette attitude intérieure il y a un indispensable travail d'étude de l'histoire et de la culture -ancienne et contemporaine- de l'Inde. Sans ce fond de connaissance on passe à côté de l'essentiel. J'ai appris -et continue de perfectionner- le Hindi, une langue riche qui offre au philologue de grands moments de jubilation.

Dans quelles mesures vos nouvelles relatent-elles des faits avérés ? Où se situe la frontière entre la romance et la biographie ? 

A l'instar de mes photos, j'ai voulu montrer une Inde vue de l'intérieur. Les narrateurs des textes sont tous indiens, ce ne sont jamais ni moi-même, ni un occidental auquel je -ou le lecteur- pourraient s'identifier. Il n'y a donc pas de caractère biographique dans les textes. D'autre part j'ai voulu un livre qui soit un plaisir de lecture pour tous et en particulier pour tous ceux qui ne sont pas des passionnés de l'Inde. J'ai donc choisi de raconter des histoires qui, je l'espère, emportent le lecteur dans une aventure au coeur de l'Inde des Indiens. Naturellement le style romanesque n'exclut pas les mondes possibles... J'ai imaginé des décors, des personnages, des actions qui sont un concentré de 25 ans de voyages en Inde -dans le livre de 1984 à 2009- et finalement ces textes illustrent très justement ce que je crois être l'Inde. 


Quel a été votre moment photographique le plus émouvant au cours de ce périple ? 

"Une bonne photo nous est donnée, on ne la prend jamais!" comme le disait, je crois, Henri Cartier Bresson. Il faut entrer dans un certain état presque de transe, en tous cas très concentré, pour acquérir la faculté de capter l'instant sans jamais vraiment savoir si c'était le bon centième de seconde ! On réalise après coup la dimension émotionnelle. Toutes les images du livre ont, à mes yeux, une histoire exceptionnelle. Peut-être la photo de couverture est-elle l'un de mes grands moments d'émotion: le contraste saisissant que l'on voit dans le labeur de ce vieil homme au milieu d'un magnifique parterre de roses.

Votre prochain projet photographique ? 

Ce sera une série de reportages prévus en 2011 dans le Deccan -Inde du Sud- et sans doute un projet de livre mais il est encore trop tôt pour en parler...