Japon : le trafiquant d'opium, la momie et la belle d'Obao

L'auteur partage avec nous une vision fantasmée et surprenante du Pays du Soleil Levant

Oh, rassurez vous, je ne vais pas vous faire le coup du Japon terre de contraste ! Quoique… A chacun ses contrastes ! Tenez moi, par exemple, le Japon pendant longtemps avait un côté face : le  visage de Mitsuhirato ! Si, si… rappelez vous, l’infâme trafiquant d’opium à la denture de cheval qui poursuivait  Tchang et Tintin avec son couteau ou sa seringue pleine de rad jaïd jah, le poison qui rend fou. Côté pile, la douce japonaise d’Obao qui me rendait fou en faisant glisser son kimono (enfin, un yukata) sur une chute de rein digne des cascades de Kegon !

 

Il est bien loin, aujourd’hui, le temps de ces émotions d’adolescence ; le temps de ramasser quelques Yens et de mettre le cap sur le pays du Soleil Levant, histoire de voir si la belle d’Obao avait résisté aux assauts et aux turpitudes de l’ignoble Mitsuhirato…

 

Nous atteignons enfin à 900 mètre d’altitude, Koyasan,  le creuset du bouddhisme japonais. C’est en effet ici que l’empereur Ileijo confia au moine Kukai, le soin de créer un centre monastique et scholastique pour développement le bouddhisme. En 835, après avoir donné ses instructions à ses disciples, il se retira dans une pièce et s’assit en position de lotus plaçant ses mains dans une position symbolique. Entonnant alors un chant sacré, il entra en contemplation comme il l’avait annoncé, pendant  sept jours puis entra en contemplation éternelle. Il avait alors 62 ans et devint Kobo Daishi, un titre honorifique décerné par l’empereur Daigo. 

 

Kukai, ou plutôt sa momie, est toujours là, abrité dans son mausolée, alimenté continuellement jusqu’à ce jour, par les moines d’un bol de riz et d’un verre de saké journaliers, au fond d’une forêt de « Ko-Suji », des cryptomères millénaires. Depuis, de nombreux japonais, empereurs, shoguns, samouraïs ou humbles parmi les plus humbles, désireux de partager cette immortalité se font inhumer à proximité du mausolée à l’ombre des allées de cryptomères géants. Malgré l’atmosphère pleine de recueillement, nous nous amusons, tôt le matin, alors que la place est déserte, à prendre des tangentes pour nous perdre entre les pierres tombales et les gorintos, tours de pierres taillées composées de haut en bas de cube, de sphère, de triangle, de croissant et d’une fleur de lotus stylisée représentant les cinq éléments : la Terre, l’Eau, le Feu, le Vent et le Ciel. Il faut parfois soulever une branche ou une couverture de mousse pour découvrir un bouddha ou un Gizo engloutis par la forêt. Le soir, nous rejoignons notre Shukubu, un monastère, tenu par des jeunes moines, bâti autour d’un jardin délicieux. Il est temps de rejoindre notre bain avant notre repas végétarien servi dans notre chambre. Alors que je m’agenouille sur le tatami, il me semble apercevoir une ombre derrière le shoji, la  porte coulissante en bois de cyprès et en toile de riz : la belle d’Obao ou le fourbe Mitsohirato ?

Gérard Guerrier, président général d'Allibert Trekking