Les élections législatives au Maroc : Mariage forcé ou volontairement consenti ?

La victoire (toute relative) des islamistes marocains aux législatives du 25 novembre 2011 ne doit pas inquiéter les touristes européens et les investisseurs étrangers. Le PJD n'obtient que 25% des sièges. Pour gouverner, il sera tributaire des partis de la Kotla (alliance) qui constitue la majorité parlementaire sortante. Le palais royal restera maitre du jeu.

Les résultats des élections législatives au Maroc sont maintenant définitifs.

Le taux de participation est de 45% des 13 600 000 inscrits alors que le Maroc compte 24 000 000 de citoyens en âge de voter. Réellement seuls 25% des Marocaines et Marocains se sont déplacés.

Sur les 395 de sièges à pourvoir, la répartition est la suivante :

* Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste): 107 sièges.
* Parti de l'Istiqlal (PI, nationaliste): 60 sièges.
* Rassemblement national des indépendants (RNI, libéral): 52 sièges.
* Parti Authenticité et Modernité (PAM, libéral): 47 sièges.
* Union socialiste des forces populaires (USFP): 39 sièges.
* Mouvement Populaire (MP, berbérophone): 32 sièges.
* Union constitutionnelle (UC, libéral): 23 sièges.
* Parti du progrès et du socialisme (PPS): 18 sièges.
* Parti travailliste (PT, gauche): 4 sièges.
* Mouvement démocratique et social (libéral): 2 sièges.
* Parti du renouveau et de l'équité (droite): 2 sièges.
* Parti de l'environnement et du développement durable: 2 sièges.
* Parti Al Ahd Addimocrati (centre): 2 sièges.
* Parti de la gauche verte marocain: 1 siège.
* Parti de la Liberté et de la justice sociale: 1 siège.
* Front des forces démocratiques (gauche): 1 siège.
* Parti de l'Action (droite): 1 siège.
* Parti unité et démocratie: 1 siège.

Il est clair que le PJD n'a pas la majorité  et doit nouer des alliances afin de former le prochain gouvernement.
L’article 47 stipule: « Le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats ». Cela pose le problème de son applicabilité. Au vu du mode de scrutin actuellement en vigueur, aucun parti n’est en mesure d’emporter 50% des sièges à la chambre des représentants. Le parti arrivant en tête des élections législatives, n’est pas forcément celui qui est le mieux placé pour former une coalition majoritaire au parlement. Cet article devrait envisager l’hypothèse, loin d’être absurde, d’un parti ne réussissant pas à rallier une majorité autour de son programme. Il est fort à parier que la configuration qui s’imposera en l’état actuel des rapports de force est que le Chef du gouvernement sera prisonnier d’alliances, parfois contre nature et souvent imposées.
Dans les régimes parlementaires
comme en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni, le chef de l’État confie la direction du gouvernement à la coalition majoritaire et pas forcément au parti arrivant en tête des élections.
Le PJD devra faire face à une situation économique nationale et internationale difficile. Il n'est pas certain que son discours anti-corruption qui a fait son succès soit traduit dans les faits par des comportements sans reproches. Le peuple marocain vérifiera la traduction de ses promesses dans les faits. Il y aura sûrement des déceptions.

Les partis laïcs et progressistes devraient choisir l'honneur de l'opposition (et ses contraintes) au confort du pouvoir (et ses avantages matériels).

L’issue de ces législatives de 2011 rappelle étrangement la désignation de  Abderrahman el-Youssoufi  comme  Premier ministre du Maroc le 14 mars 1998. Ce gouvernement dit d’alternance, s’est opéré dans un contexte de fin de règne de feu le Roi Hassan II qui, se sachant malade, a voulu assurer la transmission de son trône dans un contexte apaisé. Le PJD est la carte à jouer du moment, allant dans la sens de la vague verte touchant la Tunisie, l’Egypte et la Libye. Le pari est de l’ affaiblir par l’usure du pouvoir.
La victoire toute relative du PJD s’inscrit aussi dans la volonté des populations arabophones de rompre avec les formations traditionnelles,
qui à leurs yeux, non seulement  sont corrompus mais  n’ont pas réglé leurs problèmes, sans parler de leur népotisme. Dans ces élections législatives, ce qui m’interpelle c’est le résultat du parti de l’Istiqlal, dont le chef Abbas El Fassi a placé toute sa famille dans les postes les plus élevés  de l’Etat (plusieurs ministres et patrons d’entreprises publiques). C’est aussi le parti de l’arabisation qui a fait baisser le niveau de l’instruction générale. Ce parti est peu regardant sur la moralité de ses notables et devait en toute logique subir une sanction de la part des électeurs.
Le scénario initialement concocté avant le soulèvement des masses arabophones devait vouer aux gémonies ce parti représentant la haute bourgeoisie marocaine et faire émerger comme force dominante le PAM (parti  Authenticité et  Modernité) crée par Fouad El Himma, "l’Ami du Roi’’. Si le PJD traite ses élus de bandits et refuser toute alliance avec lui, c’est que la machine PAM fut conçue pour barrer la route aux islamistes.

Si le PI est l’allié naturel du PJD eu égard à son conservatisme, l’USFP et le PPS devraient s’éloigner du pouvoir et occuper les bancs de l’opposition.
Le futur gouvernement décevra certainement les Marocains.
Devant faire face à une crise mondiale dont les conséquences négatives sur l’économie marocaine a été mis en évidence par mes soins (voir mon site), la coalition qui gouvernera le Maroc, tombera très vite dans les travers des gouvernements précédents à moins d’une rupture totale avec les pratiques dominant les champs politique, économique, social et culturel. S’il y a des corrompus, il y a aussi des corrupteurs, s’il y a des acheteurs de voix, il y a ceux qui se prêtent au jeu en vendant leur conscience pour quelques dirhams sans se rendre compte des conséquences néfastes sur leur situation.

Le PJD aura intérêt à se polariser sur la gouvernance dans l’administration, les institutions publiques et privées ainsi que les entreprises au lieu de se préoccuper du nombre de femmes voilées et de barbus employés dans la fonction publique. Le Maroc est un pays touristique et une terre d’accueil des investissements étrangers. Toute remise en cause des libertés individuelles et collectives et toute restriction des droits des femmes seront jugées négativement par les milieux d’affaires étrangers et les visiteurs Européens ou Marocains du monde.
La constitution du 2 juillet 2011 stipule la primauté des conventions internationales
dûment ratifiées par le Royaume sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale. De ce fait l’égalité homme/femme doit prévaloir aussi bien en matière d’héritage, de témoignage et de code civile.

L’échec du PJD et les compromissions inéluctables de ses élus pourraient faire le lit du mouvement intégriste, toléré mais non interdit,  Al Adl Wal Ihsane (Justice et bienfaisance).