Septembre 1914 : c'est arrivé il y a 100 ans !

Alors que l’année 2014 sera marquée par les commémorations du centenaire de la Première Guerre Mondiale, nous vous proposons de revivre le mois de septembre 1914, à travers le regard de L’Illustration, premier magazine au monde au début de la Grande Guerre.

En septembre 1914, la rentrée n’est pas vraiment une rentrée. Les hommes sont sous les drapeaux depuis la mobilisation générale du 1 août. A l’arrière, il faut réinventer la vie quotidienne dans l’attente du retour (que l’on espère rapide) des maris, pères, fils.

L’Europe est en guerre depuis un mois. La France regarde avec inquiétude l’évolution du front belge.


Le 5 septembre 1914, L’Illustration fait sa couverture sur Albert, roi des belges et « souverain héroïque ». Ce dernier fait preuve, en effet, d’un rare courage, parcourant sans cesse le front, pour encourager ses hommes, parfois au péril de sa vie, comme lorsque qu’un shrapnell explose à 20 mètres de sa voiture. « Je ne veux pas que mes soldats puissent dire que leur chef se retire du danger pendant qu’il envoie les hommes faire face aux balles de l’ennemi ».

Le journal offre à ses lecteurs un rappel de la situation sur les différents fronts à la date du 2 septembre, mais surtout montre à travers les photographies de ses envoyés spéciaux différents visages de ce début de guerre. Les légendes sont éloquentes : « Dans un avant-poste à la frontière d'Alsace: des espions capturés vont être passés par les armes » ; « Dans les Vosges, un détachement du 11e chasseurs alpins occupe le point dit le «Champ du Feu», au Sud de Schirmeck, et incendie la maison forestière qui était machinée en forteresse », « Les Franciscaines à la moisson », « Un soldat allemand blessé est descendu avec d'infinies précautions de l'automobile qui l'a amené à Ostende », « Les blessés gardent le sourire », « Notre admirable 75 : Une batterie changeant de position », « Nos contingents d’Afrique : Les tirailleurs indigènes à la charge », « Les nouveaux après-midi de la parisienne : Confection de layettes pour les bébés des combattants », « L’approvisionnement en bétail de Paris : Un aspect nouveau de la pelouse de Longchamp » ; « Un des dépôts de fourrages qui se constituent au Bois de Boulogne », le conclave à Saint Pierre de Rome.


Fait rare, dans l’histoire centenaire du célèbre hebdomadaire, le numéro du 12 septembre est publié en même temps que celui du 19 septembre. En effet, devant l’avance allemande, mais aussi la pénurie et le manque de main d’œuvre, la rédaction de L’Illustration se replie à Bordeaux. Pour la couverture de ce numéro, ancêtre des quinzomadaires, c’est encore Georges Scott qui est à l’œuvre mettant en scène un fantassin avec ses mots : « Et maintenant … en avant ! ». Le journal revient longuement sur « La Belgique ensanglantée » et « la dernière nuit de Louvain », et publie même une photographie des incendiaires allemands ! « De toutes ces forteresses pacifiques, ce sont les 100.000 volumes et les manuscrits de la Bibliothèque qui ont résisté le plus longtemps à la rage des incendiaires. La pensée humaine, qu'on avait accumulée là depuis plus de cinq siècles, s'est défendue rayon par rayon, livre par livre, jusqu'à ce que les bidons d'essence triomphent de leur entêtement. »… « J'ai vu un bourgeois de Bruxelles qui avait obtenu l'autorisation de se rendre sur ce qui fut Louvain pour y chercher le corps de son beau-père. Il l'a retrouvé, étendu sur le seuil de sa demeure: près de lui, était couché le corps d'un enfant, son petit-fils. Le drame était facile à reconstituer: le grand-père et le petit-fils, surpris par l'incendie, avaient tenté de quitter leur maison; des soldats qui parcouraient les rues les avaient fusillés dès le premier pas, parce qu'il était interdit aux civils qu'on avait consignés chez eux de sortir de leur demeure. Pendant qu'ils s'y trouvaient, on lançait des bidons d'essence dans les habitations; il fallait donc ou qu'ils se laissent brûler, ou qu'ils se fassent tuer. Ceux-là s'étaient fait tuer: un vieillard de 75 ans et un enfant de 14 ans. »

Mais à présent, ce sont aussi des images d’une France en guerre que le lecteur découvre. Celle de ces ponts que l’on a détruit à la hâte devant l’avancée allemande, comme l’illustre les images publiées de Lagny ou Chalifert, mais aussi celle des premiers allemands faits prisonniers sur le sol français, du « village de Chauconin, près de Meaux, incendié par les Allemands et repris par les Français », des «Marocains au butin, fouillant dans les équipements et les bagages abandonnés par l'ennemi », et « le passage à Amiens de l'artillerie allemande, le 31 août ».

A Paris, on observe de la place de la Concorde les Taubes, ces avions allemands, qui ont commencé à bombarder la capitale dès le mois d’août. Pendant ce temps, la gare Saint Lazare prend des airs asiatiques : une station de charrettes à bras a pris le relais des « autos-taxis ». Le journal revient aussi sur l’élection du nouveau pape : Benoit XV, le 3 septembre.


Le mois de septembre s’achève par une couverture consacrée au Général de Castelnau qui vient d’être élevé au rang de grand officier de la légion d’honneur. Le Général et ses troupes ont réussi à repousser l’ennemi aux portes de Nancy. Au même moment, deux de ses fils sont tués alors que le troisième est blessé.

Après les images de désolation parvenues de Belgique, c’est au tour de la France d’être le théâtre de la guerre. Il y a évidemment les images émouvantes comme celle de ce chien qui refuse d’abandonner la tombe de dix soldats du 5ème régiment d’infanterie dont il était la mascotte, mais aussi la réalité brute de cette guerre avec ces images de prêtres bénissant les morts sur le champs de bataille, l’absurdité avec la mise à sac du Château de Gué-à-Tresme, l’ignominie avec la destruction de la Cathédrale de Reims.

A Paris, une messe célébrée à Notre Dame rassemble plus de 40 000 parisiens.

En ce mois de septembre 1914 et après le crédo de Lavedan du mois d’août, L’Illustration publie, peut-être pour conjurer l’horreur, ce poème de Miguel Zamacoïs :

LES DEUX FANTOMES

Chaque armée a sur elle un fantôme qui plane, Un grand fantôme ailé, muet et diaphane;

Même alors qu'il échappe au rayon visuel. Il est là cependant, formidable, et réel!

Sur eux plane un fantôme aux yeux d'inquiétude, Autour de qui la haine a fait la solitude...

Il ment s'il se prétend champion des penseurs: Il n'est que le démon des peuples agresseurs,

Qui depuis dix mille ans incite à la curée, Les peuples éperdus doutant de leur durée !

C'est le blême éclaireur des peuples conquérants, Qui leur suggère: «Tue !» et qui leur souffle: «Prends !»

C'est la Furie affreuse et la Bellone antique, De la horde pillarde ou du roi fanatique !

Au service à présent d'un empereur uhlan, C'est le fantôme noir qui suivait Tamerlan !

C'est le même fantôme, entendez-vous,-le même ! Claquant des dents déjà de l'énorme anathème,

Et de voir de là-haut, resserrant l'horizon, Les peuples justiciers commencer sa prison !

Fantôme épouvanté des effroyables causes, Des succès sans lauriers, et des retours sans roses,

C'est le même fantôme auquel un Attila reprochait dans ses nuits d'avoir osé cela !

Le fantôme qui plane sur vous, invisible, Peuples coalisés, est un Titan paisible ...

Il a glissé la foi dans chaque combattant, Et, dominant le champ de bataille, il attend !

Il est tranquille, étant la force imprescriptible, La base et le fronton du Temple indestructible,

Le principe profond, la règle, l'Entité Qui combat le moment avec l'Eternité !

En dépit des forfaits, des crimes de l'Histoire, Fatalement, quand même, il va vers la victoire !

Malgré tous les retards et les répits, il faut Qu'il ait le dernier geste avec le dernier mot !

Car ce fantôme qui vous couvre de son ombre, Bien plus fort que la Force et plus grand que le nombre,

Près de qui tout est faible, insuffisant, étroit, Ce fantôme qui plane sur vous, c'est le Droit !

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