La France djihadiste : une liste des "Molenbeek français" à prendre avec des pincettes

La France djihadiste : une liste des "Molenbeek français" à prendre avec des pincettes Le journaliste et polémiste Alexandre Mendel publie cette semaine "La France djihadiste" (Ring), une enquête choc sur les "Molenbeek français", fouillée, mais surtout empirique...

Le titre en lui même est volontairement provocateur. Le journaliste et polémiste Alexandre Mendel, collaborateur de Valeurs Actuelles et du Midi Libre, publie cette semaine "La France djihadiste", aux éditions Ring. Une enquête dans ce qu'il est désormais coutume d'appeler les "Molenbeek français", autrement dit des quartiers gangrenés par l’islam radical et devenus des viviers pour le djihad. Les premières lignes qui s'offrent au lecteur suffisent d'ailleurs à donner le ton de l'ouvrage : "En ce moment, à 15 minutes de chez vous", est-il écrit sur la couverture vert fluo du pavé de 380 pages. Ouvertement trash et anxiogène après les attentats de Paris et Bruxelles, le livre tente de détailler par le menu ce qui se passe dans ces cités hébergeant des salles de prière salafistes où des prédicateurs surfent allègrement sur la théorie du complot, la haine des juifs ou le rejet de l'ancien colonisateur européen. Un discours qui y séduit une jeunesse désabusée quand elle n'est pas déjà fascinée par le combat des "frères" partis faire le djihad en Syrie, et dont les faits d'arme sont relayés sur Internet par l'Etat islamique.

La sortie de l'ouvrage a été opportunément précédée d'une enquête de Valeurs Actuelles qui, dans son numéro du 31 mars dernier, en a reproduit les grandes lignes. La liste des quartiers visités par l'auteur halluciné y est présentée : le Mirail à Toulouse, La Guillotière à Lyon, les Moulins à Nice, le quartier Saint-Jean à Avignon, mais aussi les banlieues de Grenoble, Strasbourg, Roubaix, Stains, Brest, Montpellier, Marseille et la tristement célèbre Lunel, où près de 25 jeunes sont partis pour la Syrie. La région parisienne n'est pas épargnée avec le Bourget, Saint-Denis, Sevran... L'auteur prend d'ailleurs bien peu de précaution quand il suggère que c'est "l'ensemble du sud de la France", de la Seine-Saint-Denis ou même des Yvelines qui s'est "djihadisé".

En immersion, mais sans réelle vision d'ensemble

Dans son ouvrage ou dans les quelques lignes écrites dans Valeurs Actuelles, Mendel joue les journalistes gonzo dans ce décor effrayant, ici dans une mosquée au plus près des tapis de prière, là en face d'un imam douteux, plus loin dans les écoles coraniques ou même les rues de ces "quartiers islamisés". L'idée : battre en brèche le déni de cette "islamisation rampante", de la violence politique et idéologique qu'elle sous-tend et la "culture de l'excuse" de certaines "élites". L'auteur veut aussi dépasser les statistiques et voir ce qui se cache derrière les "11 700 islamistes fichés S" recensés sur le territoire. Mais c'est sans doute là que le bât blesse. Si l'enquête de terrain est enrichissante, bien que polluée par les formules chocs, elle reste strictement empirique. En dehors que quelques chiffres livrés çà et là par l'auteur (nombre de Niçois partis en Syrie, pourcentage de djihadistes occidentaux virant au terrorisme à leur retour sur le sol européen, signalements reçus par la plateforme anti-radicalisation...), les chiffres manquent.

S'intéressant lui aussi à cette "France djihadiste", le journal Libération compilait à la mi-mars les villes d'origine d'une cinquantaine de Français morts en Syrie et en Irak (lire l'article). On y retrouvait les villes mentionnées ci-dessus, mais aussi Hautmont dans le Nord, Hérouville-Saint-Clair en Normandie, Vannes en Bretagne, Mourenx dans les Pyrénées ou encore Port-sur-Saône en Franche-Comté... Reste que ces données sont elles aussi très partielles, Libération étant parvenu à compiler, avec des étudiants de Sciences-Po, des informations sur "seulement" 68 des 168 Français morts en Syrie et en Irak depuis trois ans. Et compter les morts ne donne évidemment pas de vision d'ensemble sur ce que sont devenus les vivants qui, depuis des années, ont décidé de rejoindre Alep, Kobané, Homs, Tikrit, Mossoul, Haditha ou encore Raqqa pour ne citer qu'elles.

La carte présentée par Libération le 21 mars 2016 et basée sur 56 Français morts en Syrie ou en Irak. © Capture Libération

Où sont les chiffres des "Molenbeek français" ?

Et pourtant, des chiffres plus exhaustifs existent. L'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) ou encore le Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR), dépendants du ministère de l'Intérieur, recueillent depuis des années des données sur la radicalisation ou sur le nombre de départs en Syrie par zones géographiques. Ces statistiques ont déjà été compilées par le passé (comme ici ou encore ). Mais contactée pour vérifier la fiabilité des déclarations qui se multiplient sur les "Molenbeek français", la Place Bauveau a pourtant décidé de ne "pas donner suite" à nos questions sur ces données, "les éléments demandés étant confidentiels et de nature à le rester". Il faudra donc attendre pour savoir comment le ministre de la Ville, Patrick Kanner, a évalué à "une centaine" le nombre de quartiers français similaires à la cité belge où s'est formée l'équipe de Salah Abdeslam et Abdelhamid Abaaoud.