Arnaud Assoumani (Saut en longueur) "Je ne me vois pas ne pas aller aux JO de Londres !"

En mars 2012, nous avions rencontré Arnaud Assoumani, le sauteur en longueur français sacré champion paralympique à Pékin en 2008. Il évoquait à l'époque ses espoirs de participer aux Jeux olympiques avec les valides. Interview.

L'Internaute Magazine : Vous vous attaquez au défi de vous qualifier à la fois pour les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques. Est-ce votre titre paralympique à Pékin en 2008 qui vous a encouragé à vous lancer dans les JO ?

Arnaud Assoumani : Plus que mon titre paralympique en 2008, ce qui m'a lancé réellement, c'est que j'ai envie de disputer les Jeux olympiques depuis que je suis gamin, depuis que j'ai commencé l'athlétisme à 11 ans. Je ne le disais à personne, déjà parce que j'étais très loin du niveau requis et puis parce que ça peut paraître très prétentieux. Mais j'avais toujours gardé ça dans un coin de ma tête. Et, de rêve c'est devenu un objectif. Je l'ai annoncé réellement après ma victoire à Pékin.

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Arnaud Assoumani à Pékin en 2008, médaillé d'or. © Laurent Baheux

Je sortais de 3 ans où j'avais eu des problèmes au dos, je venais de rejoindre le groupe de Guy Ontanon depuis un an, et les efforts commençaient à porter leurs fruits. J'étais sur une phase de progression, et au tout début de cette phase ! Donc il y avait le titre paralympique qui m'encourageait mais surtout des portes s'ouvraient. J'avais failli arrêter l'athlétisme à cause de mes soucis de dos et là je me disais "c'est super, tu as d'autres challenges. Lance toi, vas-y à fond". On ne vit qu'une fois, la vie de sportif ne dure que très peu de temps.

Où en êtes-vous dans la réalisation des minima olympiques ?

En saut en longueur, les minima fixés pr la Fédération française d'Athlétisme sont à 8m20. Mon record est à 7m91. Donc je suis à un pied de Londres ! Je vais commencer la période de compétition le 11 avril. J'ai jusqu'au 6 juillet pour réaliser ce minima, avec le passage obligé des championnats de France à Angers, du 15 au 17 juin. Il faudra répondre présent ce jour-là, et être sur le podium.

Comment vous situez-vous par rapport à vos "concurrents" français ?

La concurrence est importante mais en même temps, je ne me préoccupe pas beaucoup de mes adversaires. Le but c'est déjà de faire ces minima. Pour les Jeux de Londres, on peut qualifier jusqu'à trois athlètes par discipline. Pour l'instant, personne n'a réalisé les minima. Salim Sdiri et Kafétien Gomis sont les deux Français qui dominent la discipline depuis plusieurs années. Mais derrière il y a des jeunes : moi, Benoît Maxwell avec qui je m'entraîne, Nicolas Gomont... On est plusieurs à pouvoir réaliser 8m20, peut-être pas régulièrement mais on est potentiellement 5 athlètes à pouvoir faire les minima.

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Arnaud Assoumani fait partie du Team BMW Performance. © BMW

Ça serait une déception si vous n'alliez qu'aux Jeux paralympiques, pas aux JO ?

Oui, bien sûr. Parce que mon potentiel veut que je fasse ces Jeux olympiques. C'est une suite logique, pas quelque chose d'exceptionnel. J'ai les capacités pour le faire. Je travaille dur pour ça, je mets tout en œuvre pour aller aux JO donc forcément ça serait une déception. Mais je ne me vois pas ne pas y aller, pour moi j'y serai (sourire).

Mais surtout, je serai présent aux deux sessions : olympiques et paralympiques. L'essentiel, ce n'est pas de dire "Je suis aux JO, j'ai réussi quelque chose de fou". Ce n'est pas parce qu'on a un handicap qu'on ne peut pas faire de grandes performances. Et il faut aussi dire "Eh regardez, il y a les Jeux paralympiques qui sont là et il y a plein d'autres athlètes qui s'entraînent énormément. Venez nous voir parce que c'est intéressant. Vous verrez : il y a des super histoires, une très bonne ambiance, ça rigole". Les premiers à se moquer de nous, c'est nous-mêmes ! C'est important que les médias soient aussi sur cet événement, qui est essentiel et qui pour moi a la même valeur au niveau humain, voire plus, que les JO.

Vous êtes né sans avant-bras gauche. Cela ne vous a pas empêché de faire du sport. A quel âge avez-vous commencé l'athlétisme ?

J'ai commencé à 11 ans. J'avais déjà une prothèse comme ça, dite "sociale" ou "esthétique" [il montre sa prothèse, qui reproduit un avant-bras et une main]. Quand j'ai commencé le handisport, j'étais le seul à courir ou sauter comme ça, les autres avaient des prothèses différentes, plutôt des "tubes". Pour moi, elles leur servaient juste à s'équilibrer au départ. Mais dans le poids, je trouvais ça nul. La première fois que j'ai fait une prothèse un peu dans ce type là, avec un tube au milieu, j'avais demandé à mettre une main au bout, pour avoir un peu de poids et aussi pour avoir la main dans le champ de vision lors de la course. Ça me paraissait important. Mais je savais que ce n'était pas suffisant, je trouvais qu'elle était trop légère. Je me disait : "C'est pas possible qu'il n'y ait pas eu plus de recherches effectuées là-dessus". Donc je me suis lancé là-dedans, dans la recherche et la conception des prothèses.

Pour élaborer votre prothèse actuelle, vous avez travaillé avec des ingénieurs. Comment s'est déroulée cette collaboration ?

On a fait des tests. Nous avons déployé les grands moyens au départ et avons utilisé un "system motion". A l'aide de 12 caméras, on filme les mouvements puis on peut modéliser une image en 3D. Les chercheurs travaillent sur cette image et analysent le mouvement, en fonction de paramètres qui changent, comme le poids de ma prothèse. Ils ont pu s'apercevoir qu'avec tel ou tel poids c'était mieux, que j'avais un meilleur équilibre, que je sortais plus vite de la planche, et donc potentiellement que je pouvais aller plus loin. On s'est vu à plusieurs reprises.

Ensuite, avec ces résultats, on a travaillé avec le prothésiste Lagarrigue, qui est mon partenaire. Je suis allé à Toulouse et on m'a fabriqué cette prothèse. C'est fait de manière artisanale, même si c'est du travail de haute précision. Je tiens d'ailleurs à remercier les chercheurs Jean Slawinski, Alice Bonnefoy et Didier Pradon, qui m'ont aidé à réaliser cette prothèse, et Lagarrigue, qui a soutenu ce projet.

"J'étais persuadé que jamais de mon vivant je ne verrai quelqu'un battre le record du monde de Michael Johnson !"

J'aimerais maintenant réaliser d'autres batteries de tests pour que ça puisse servir à des personnes qui en on besoin, dans le sport ET dans la vie quotidienne. Ça demandera un autre travail mais c'est un peu comme en Formule 1 où le travail des chercheurs sur les monoplaces va servir dans l'élaboration des voitures de M. et Mme Toutlemonde !

En tant que spectateur, quel est votre meilleur souvenir olympique ?

Il y a la double médaille d'or de Marie-José Pérec sur 200 et 400 mètres à Atlanta. C'était monstrueux. J'avais 11 ans, c'était l'année où j'ai commencé l'athlétisme.
Et puis, cette année-là, il y a la course de Michael Johnson sur 200 m. J'avais vraiment l'impression que c'était passé en avance rapide ! Surtout j'étais persuadé que jamais de mon vivant je ne verrai quelqu'un battre le record du monde de Michael Johnson... Je me suis trompé. C'était sans compter Usain Bolt !