"Emmanuel pige vite !" Quand Aghion, nouveau prix Nobel d'économie, était le prof de Macron
Cocorico ce lundi 13 octobre : le Nobel d'économie 2025 récompense le Français Philippe Aghion, pour ses travaux sur la croissance portée par l'innovation - et plus précisément sur la théorie Schumpetérienne de la destruction créatrice : le processus par lequel les innovations de rupture rendent obsolètes les technologies et entreprises d'hier pour faire place à de nouvelles formes productives. Le Français a été récompensé collégialement avec l'Américano-Israélien Joel Mokyr et le Canadien Peter Howitt.
Philippe Aghion, professeur au Collège de France, à l'INSEAD et à la London School of Economics, est l'un des co-architectes de cette approche moderne de la "croissance endogène". Ses travaux mettent en lumière l'importance de la concurrence, de l'investissement dans l'innovation, de la mobilité entre secteurs et de la capacité des institutions à accompagner les transitions productives. Ce prix Nobel donne évidemment une aura renouvelée à l'œuvre d'Aghion. Et, à n'en pas douter, sa relation avec le chef de l'Etat sera bientôt scrutée par tous les observateurs.
Il faut dire que l'histoire entre Emmanuel Macron et Philippe Aghion ne date pas d'hier. Lors de la Commission pour la libération de la croissance française (la "commission Attali", lancée en 2007), celui qui allait devenir président de la République fut choisi pour être rapporteur général adjoint de cette cellule de réflexion. Philippe Aghion l'avait alors rapidement pris sous son aile. "Il a tout de suite fait preuve d'une vraie volonté de comprendre l'économie et notamment les nouvelles théories sur la croissance, il est beaucoup venu à la maison pour étudier", racontera l'économiste à Challenges, en 2017, ravi d'avoir été son professeur particulier.
Emmanuel Macron et Philippe Aghion travailleront ensuite ensemble pour la campagne de François Hollande. Challenges décrit d'ailleurs un "Macron organisateur" et un "Aghion pilote de réunions d'experts, à la brasserie La Rotonde". Le journal relève que l'économiste est séduit par son "élève" de circonstance : "Emmanuel pige vite ! Il a du charisme et une rapidité d'esprit, ses idées font bouger les lignes", disait-il.
"Emmanuel Macron a pris des notes"
L'économiste se souviendra aussi avec précisions de ce 1er octobre 2015, lorsque le jeune ministre de l'Economie viendra assister à sa leçon inaugurale au Collège de France. Philippe Aghion se rappelle, encore dans Challenges, qu'Emmanuel Macron avait été un élève très assidu ce jour-là, pour ce cours sur "les énigmes de la croissance" : "Assis au premier rang, il a pris des notes sans regarder son portable pendant une heure", s'amusera l'économiste.
Mais les années d'Emmanuel Macron à l'Elysée acteront une forme de rupture entre le président et Philippe Aghion. Ce dernier n'a pas toujours ménagé ses critiques : il a parfois déploré une application trop laxiste du libéralisme, un manque d'investissement dans la recherche fondamentale, ou un déséquilibre trop marqué entre efforts pour les grands groupes et justice sociale. Il a plusieurs fois déploré publiquement que la France soit devenu un pays où l'ascenseur social demeure bloqué, où la verticalité des décisions et le sentiment d'abandon nourrissent le populisme - soulignant que la croissance ne peut pas être l'argument unique sans redistribution ni mobilité.
Emmanuel Macron inspiré par Philippe Aghion
L'un des apports centraux de Philippe Aghion, repris par Emmanuel Macron, est l'idée que l'innovation est un moteur de croissance - mais qu'elle doit s'accompagner d'un environnement favorable : concurrence, mobilité des facteurs, marché du travail flexible, soutien éducatif. Emmanuel Macron a souvent mis l'accent sur la "startup nation", l'attraction des talents, les dispositifs d'aide à l'innovation.
Cependant, Philippe Aghion a plusieurs fois soutenu, ces dernières années, que la France privilégie bien trop les champions établis ou les grandes entreprises innovantes, sans suffisamment soutenir les innovations de rupture émergentes ou les plus petits acteurs. C'est précisément ce que critique l'économiste : si les gains de l'innovation ne sont pas répartis ou s'ils profitent uniquement aux mieux dotés, le pays risque de bloquer l'élan même de l'innovation.
Interrogé il y a quelques jours par Le Monde, Philippe Aghion semblait aussi reprocher au gouvernement de ne pas en faire assez pour l'école. "(La France) doit d'abord investir dans le système éducatif. Il y a en France de nombreux Albert Einstein et Marie Curie perdus, c'est-à-dire des enfants doués mais qui n'ont pas été exposés aux savoirs pour devenir des innovateurs. Un bon système éducatif est le pilier de toute politique d'innovation sérieuse. Cela passe par des professeurs bien formés et bien payés, par les devoirs faits à l'école, et par un suivi individuel des élèves", disait-il.