Les baromètres de popularité (partie 4) : Des évolutions artificiellement "gonflées"

Nicolas Sarkozy connaîtrait actuellement une "nette progression dans les sondages". Le chef de l'Etat sortant "monte"… mais dans quoi précisément ? Voici la quatrième et dernière partie de notre série de chroniques sur les baromètres de popularité.

Une autre évidence est également oubliée : une progression de 5 % d’opinions positives (par exemple, dans l’enquête LH2 où l’approbation de Nicolas Sarkozy passe de 32 % et 37 % en un mois) n’implique pas que seuls 5 % des interviewés ont changé d’opinion. En forçant le trait, on pourrait même imaginer que sous cette apparente stabilité (5 % de changement), se cache un considérable retournement de situation : si les 32 % précédemment satisfaits du président adoptaient tous un jugement défavorable et que 37 % des insatisfaits opéraient le chemin inverse, on aurait en réalité, non pas 5 % mais 69 % de "changeurs" parmi les sondés ! Ce cas de figure est évidemment improbable mais il rappelle qu’il ne faut jamais oublier qu’une évolution apparente dissimule des mouvements dans un sens… et dans l’autre.

Or les commentateurs des sondages, et plus généralement, les commentateurs de la vie politique, ont trop souvent tendance à se focaliser sur ces évolutions, même lorsqu’elles sont microscopiques, pour déterminer l’angle de leur analyse ou de leur éditorial. 5 points de gagnés par Nicolas Sarkozy et le voici redevenu populaire et revenu dans la course à la présidentielle ! Une telle lecture consiste à prendre la partie (5 %) pour le tout (100 %) et considérer que ces 5 % de "changeurs" seraient révélateurs d’un nouveau rapport des Français (dans leur ensemble) au chef de l’Etat. Braquer la loupe sur ce qui change fait malheureusement oublier un décor globalement immobile : il y avait déjà près d’un tiers d’interviewés qui soutenait le président, il en reste une nette majorité (55 %) qui le désapprouve.


De la même manière, les commentateurs, souvent pressés par l’urgence, tendent à n’appréhender les résultats de sondage que sous un mode référendaire. Comme lors d’un référendum, les informations que peuvent livrer une enquête sont ainsi trop souvent réduites à l’opposition binaire entre une majorité (d’insatisfaits) et une minorité (de satisfaits). Il est pourtant possible de lire autre chose qu’une simple comparaison des opinions positives et négatives. Prenons l’exemple de l’enquête Ipsos, dernière en date de la longue série de baromètres (10-12 novembre). A la question : "quel jugement portez-vous sur l'action de Nicolas Sarkozy/François Fillon en tant que président de la République/Premier ministre ?", le sondage donne les résultats suivants :

 

 

Nicolas Sarkozy

François Fillon

Très favorable

Plutôt favorable

Sous-total « favorable »

7 %

30 %

37 %

9 %

37 %

46 %

Plutôt défavorable

Très défavorable

Sous-total « défavorable »

30 %

29 %

59 %

28 %

20 %

48 %

Ne se prononce pas

4 %

6 %

 

Une lecture sommaire consiste ainsi à ne lire que la somme de jugements favorables et défavorables. A ce titre, le premier ministre paraît conserver une relative "avance" sur le président (46/48 soit un différentiel de -2 pour le premier, contre 37/59 soit un différentiel de -22 pour le second). On peut pourtant opérer d’autres constats à partir de ce sondage fondé sur une échelle d’attitudes à quatre positions. Il est par exemple possible de se demander, non pas qui est pour et qui est contre, mais qui adopte des opinions tranchées (ou intenses ou fermes : très favorable/très défavorable) et qui adopte, au contraire, des positions plus nuancées (ou modales, ou  "molles" plutôt favorable/plutôt défavorable). Dans le cas de Nicolas Sarkozy, la proportion de convaincus (dans un sens ou dans un autre) s’établit à 36 % (contre 60 % qui privilégient des réponses modales). Dans le cas de François Fillon, ces résultats sont de 29 % et 65 %. On voit ici qu’un autre facteur de différenciation entre les deux personnalités est une inégale intensité dans les jugements exprimés : le chef de l’Etat suscite ainsi bien davantage d’opinions fermes que le Premier ministre. D’autres lectures sont évidemment envisageables (par exemple, ne s’intéresser qu’aux seuls "très favorable" ou aux seuls "très défavorables") et permettent de rendre la compréhension des dynamiques d’opinion plus riches.


Mais il faut surtout prendre de la distance avec ces données et ne pas succomber à leurs charmes apparents, en croyant naïvement qu’elles mettent à jour à elles seules la réalité des opinions populaires. Ces enquêtes restent en effet particulièrement superficielles, en l’absence d’indications supplémentaires sur les motivations de tels jugements. Elles réduisent en outre la vie politique à une course hippique dont les participants seraient départagés par leur cote respective (qui a la plus haute ?). Pour adopter un rapport lucide face à cette avalanche "sondagière", une question fondamentale doit rester en tête : en quoi ces baromètres focalisés sur la popularité des dirigeants peuvent réellement nourrir la vie démocratique ?