Joggeuse disparue en Mayenne : où a-t-elle passé la nuit ? Les derniers éléments de l'enquête

Joggeuse disparue en Mayenne : où a-t-elle passé la nuit ? Les derniers éléments de l'enquête JOGGEUSE DISPARUE. Alors qu'elle a admis avoir menti au sujet de sa disparition, l'adolescente aurait passé la nuit au domicile de sa grand mère qui habitait non loin du kebab où elle avait fini par trouver refuge le 9 novembre.

[Mis à jour le 19 novembre 2021, à 23h16] La joggeuse de Mayenne, disparue puis retrouvée 24 heures plus tard, avait passé la nuit du 8 au 9 novembre dans le domicile de sa grand-mère, dont elle possédait les clés, a appris la procureure de la République de Laval à l'AFP, confirmant une information de BFMTV. Céline Maigné n'a toutefois pas précisé dans son communiqué si l'aïeule de l'adolescente était présente au moment des faits alors que, selon le voisinage, la propriétaire était absente au moment des faits. L'existence de ce logement, à quelques minutes seulement du restaurant de snacks dans lequel la jeune fille s'était réfugiée le mardi 9 novembre au soir, faisait partie des éléments qui avaient fait douter les enquêteurs sur le discours que l'adolescente tenait à propos de son kidnapping et de sa séquestration.

Pour rappel, la jeune fille, après une longue semaine d'enquête, avait avoué son mensonge le 12 novembre, alors que de nombreuses zones d'ombre poussaient les enquêteurs à se questionner sur son récit. Son discours, lacunaire et empli d'incohérences, avait d'abord été attribué à son état de choc, avant d'apparaître comme de plus en plus improbable.

Le point sur l'affaire

La joggeuse disparue puis retrouvée vivante en Mayenne a menti

Il aura fallu attendre près d'une semaine. La joggeuse disparue le lundi 8 novembre en Mayenne avant d'être retrouvée le lendemain à Sablé-sur-Sarthe a avoué, vendredi 12 novembre, lors d'une audition de plus de quatre heures, avoir "menti" dans la première version qu'elle avait livré aux enquêteurs. L'adolescente assurait avoir été enlevée alors qu'elle faisait un jogging, par deux hommes l'ayant mise dans une camionnette verte. Après avoir été séquestrée dans une maison selon ses dires, elle serait ensuite parvenue elle-même à fuir des ravisseurs, frappant l'un d'eux, et aurait marché jusqu'à un restaurant de snacks. A l'époque de ces déclarations, le maire de Sablé-sur-Sarthe Nicolas Leudière, avait promis que les efforts déployés initialement pour retrouver la jeune femme seraient maintenus "pour retrouver le ou les auteurs de cet acte abject", à l'antenne de RMC. "C'est un soulagement pour tout le monde, je l'ai vu dans le regard des gendarmes et également pour ses parents et sa famille, je pense qu'ils ont vécu des dernières 24 heures très dures", avait-t-il alors ajouté. Finalement, il n'y aura pas de coupable à retrouver.

La décision d'ouvrir une enquête pour enlèvement et séquestration mardi 9 novembre, avant que la jeune fille ne soit retrouvée, laissait à penser que la piste du rapt était privilégiée par les enquêteurs en charge de l'affaire. Effectivement, au cours de la conférence de presse que la procureure de la République de Laval, Céline Maigné, avait donné mardi 9 aux alentours de 17 heures, elle avait déclaré : "Cette qualification d'enlèvement et séquestration est punie d'une peine délictuelle dans l'hypothèse où l'auteur des faits libère volontairement et rapidement la personne retenue", semblant s'adresser à un éventuel ravisseur. La même procureure a écrit vendredi 12 novembre dans un communiqué que "la jeune fille a indiqué avoir menti, ne pas avoir été enlevée et s'être rendue à Sablé-sur-Sarthe à pied". "Selon elle, les blessures sont d'origine accidentelle. Elle aurait notamment découpé son tee-shirt avec une paire de ciseaux", a poursuivi le parquet, précisant que la jeune femme serait "désolée d'avoir causé une mobilisation importante". L'adolescente est désormais accusée de "dénonciation d'infraction imaginaire". Pour ce type de délit, la personne mineure peut recevoir, selon l'article 434-26 du Code Pénal, jusqu'à trois mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende.

Pourquoi a-t-elle menti ?

Alors que les informations tombent au compte-goutte, les hypothèses vont bon train sur la raison du mensonge de la jeune fille. Pour Alain Bauer, criminologue interrogé par France Bleu le 15 novembre dernier, "il y a beaucoup d'affaires comme celle-là, je vous rappelle qu'il y a quelques semaines encore on s'interrogeait  sur les motivations d'une jeune fille, qui n'ayant pas participé à un cours, et n'ayant rien vu du programme du professeur Samuel Paty, avait généré, par des déclarations imaginaires, des mensonges répétées, son assassinat". Le professeur de criminologie l'affirme : "On invente une histoire à cause d'une rencontre amoureuse qu'on ne veut pas assumer, le deuxième c'est se créer un personnage dans le monde virtuel et le transposer dans le monde réel, la frontière est de plus en plus fine entre le monde virtuel et le monde réel. Un petit mensonge devient un gros mensonge, un énorme mensonge et on est confronté à la réalité, et la réalité c'est ce que nous vivons avec le cas de cette adolescente."

Libération a interrogé plusieurs résidents de Sablé-sur-Sarthe, qui proposent tour à tour un trafic de drogue, un amour interdit, des différends familiaux, une pression trop intense ou encore un besoin insatiable d'exister. Autre son de cloche chez Hélène Romano, psychologue interrogée par LCI le 12 novembre dernier : pour elle, l'adolescente de 17 ans "a très probablement terriblement souffert et cache autre chose". "Bien souvent dans ces situations-là, ils disent des choses indirectes parce que la réalité n'a pas été exprimée", a indiqué à la chaîne en continu la spécialiste, décrivant "des décalages qui sont assez fréquents quand la réalité est juste insupportable à dénoncer". La psychologue appelle à surtout "ne pas la diaboliser subitement, violemment", ne pas la faire passer pour une "mythomane, avec tous les troubles associés".

Le Dauphiné révèle encore qu'en 2019, la jeune fille avait témoigné auprès des forces de l'ordre d'un cambriolage dont elle aurait été victime, alors qu'elle était seule chez elle. Elle avait alors dressé le portrait-robot d'un des deux hommes qui se serait introduit dans le domicile familial, portrait-robot ressemblant en tout point à celui d'un de ses camarades de lycée. Convoqué par la police, ce dernier avait été relâché, faute de preuves. Le quotidien régional s'interroge : "La jeune fille a-t-elle réellement vécu un traumatisme à ce moment-là, ou était-ce les premiers signes d'une tendance à l'affabulation ?"

Récit de la disparition de la joggeuse en Mayenne

Le lundi 8 novembre 2021, en fin de journée, la disparition d'une adolescente de 17 ans était rapportée à la gendarmerie des Mayenne. La jeune femme n'était pas rentrée de son jogging, qu'elle avait l'habitude de faire entre les communes de Saint-Loup-du-Dorat et de Saint-Brice. Selon les premières indications, celle-ci avait "quitté son domicile aux environs de 16 heures sur la commune de Saint-Brice", avait alors précisé la procureure de la République de Laval. La joggeuse avait l'habitude de courir environ une heure, selon les témoignages cités par les autorités. Ne la voyant pas rentrer, lundi 8 novembre 2021 au soir, son père a signalé sa disparition à la gendarmerie vers 18h40. Il s'est ensuite rendu lui-même sur le parcours qu'elle empruntait habituellement. A la lisière du bois, il a découvert sa montre GPS, son téléphone portable et ses écouteurs, qui présentaient des traces de sang. Aussi, France Bleu Mayenne observe que l'application qu'elle utilisait pour enregistrer son temps de parcours, afin de le publier ensuite sur les réseaux sociaux, s'est brusquement arrêtée ce soir-là. Le Parisien a eu accès à une capture d'écran de cette application, où le parcours de la jeune fille était détaillé : à partir de 15h49, la jeune femme aurait couru 1,23 km avant que l'application ne s'arrête à un croisement.

A la suite de cette disparition, les effectifs de forces de l'ordre mobilisés étaient considérables. Mardi 9 novembre, en début d'après-midi, c'était pas moins de 200 gendarmes de Mayenne, du Maine-et-Loire et de la Sarthe qui étaient mobilisés. Un escadron, une unité équestre, un hélicoptère venu de Rennes, deux équipes cynophiles et une brigade fluviale de Nantes ont aidé à rechercher l'adolescente. Dès lundi 8 au soir, l'enquête avait été confiée à la section de recherches d'Angers et à la brigade de recherches de la compagnie de gendarmerie de Château-Gontier sur Mayenne. Mardi matin, vers 10 heures, un chien avait été amené au domicile de la famille et a également suivi le chemin que la jeune femme emprunte habituellement pour courir. Malgré le large dispositif déployé, la procureure Céline Maigné avait par ailleurs rappelé que "les investigations en cours" ne faisaient "que commencer" et étaient "nombreuses", précisant qu'elles se déroulaient sur un terrain "à caractère difficile car étendu", sur 190 hectares. Dans ce contexte, une enquête pour enlèvement et séquestration sur mineur avait été ouverte, avait annoncé la procureure Céline Maigné à 17 heures le 9 novembre.

La jeune joggeuse a finalement été retrouvée, 24 heures plus tard, le mardi 9 novembre. L'adolescente s'était "réfugiée" dans un restaurant de snacks de Sablé-sur-Sarthe, 10 kilomètres de l'endroit où elle avait disparu. Elle serait arrivée ensanglantée, ses vêtements de sport pour partie déchirés. Ce sont les gérants du kebab qui ont contacté les gendarmes, la jeune fille étant en état de choc. La procureure de la République de Laval a confirmé qu'il s'agissait bien de la joggeuse disparue.

Cependant, ce vendredi 12 novembre, la piste de l'enlèvement est tombée à l'eau, alors que les zones d'ombre du dossier s'accumulaient peu à peu. Le Parisien rapportait le 11 novembre que de nouveaux éléments corroboraient les premiers doutes des enquêteurs sur la version initiale de le jeune femme. "Il y a de plus en plus d’incohérences mais il faut être prudent. Elles pourraient aussi s’expliquer par l’état de la jeune femme au moment de sa première audition très brève", expliquait alors une source proche de l'enquête. L'absence de témoins ayant aperçu la camionnette verte et l'incapacité des inspecteurs à repérer cette camionnette sur les caméras de vidéosurveillance, ainsi que l'impossibilité pour la joggeuse de se se souvenir du modèle de la camionnette, de sa marque ou de sa plaque d’immatriculation, ajoutaient à ces doutes. En outre, les suspects mentionnés par l'adolescente n'étaient toujours pas été identifiés quelques heures avant l'audition du 12 novembre - et la jeune fille de 17 ans n'était pas parvenue à les décrire, alors qu'elle n'avait jamais parlé de cagoule visant à dissimuler leur identité ou de bandeau qu'ils lui auraient mis sur les yeux. 

Aucun détail non plus dans son récit sur la maison où elle affirmait avoir été séquestrée, pas plus que sur le trajet qu'elle avait parcouru de sa supposée fuite jusqu'au restaurant où elle avait été retrouvée mardi 9. Enfin, le mobile de l'enlèvement, s'il a eu lieu, posait aussi question - la jeune fille, selon Le Parisien, n'avait jamais fait état de violences sexuelles. Pas plus que de violences physiques, du moins, pas dans la mesure dans laquelle elle en parlait : la joggeuse de 17 ans aurait mentionné des coups de poing mais ne semblaient avoir que quelques égratignures. Enfin, la négligence des potentiels ravisseurs, qui lui auraient confisqué téléphone et montre GPS pour les laisser à l'orée d'une forêt, en évidence, posait question aux enquêteurs.

Qui est la joggeuse de 17 ans disparue ?

Plusieurs éléments communiqués dépeignent, à propos de l'adolescente disparue puis retrouvée, le portrait d'une jeune fille sportive et entourée qui n'a aucunement le profil d'une fugueuse. "Elle faisait du sport régulièrement, avec son papa, qui lui, faisait du foot", témoigne l'un de ses voisins auprès de Ouest France. Le Parisien décrit également, sur la base d'un témoignage d'un de ses camarades de classe, une jeune fille qui "courrait régulièrement, adorait ça et avait une sacrée foulée". L'adolescent avait précisé au quotidien : "On avait couru ensemble et on avait pas mal échangé car je suis pompier volontaire et elle est, de son côté, membre des jeunes sapeurs-pompiers". Scolarisée dans le lycée Raphaël Elizé de Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), l'adolescente est actuellement en classe de terminale. Son père travaille dans une usine de la même ville et est très investi dans une association sportive locale.

Durant sa prise de parole du mardi 9 novembre, la procureure de la République de Laval avait listé quelques éléments du profil de l'adolescente disparue, expliquant notamment que celle-ci ne présentait pas "de particularité notable", qu'elle était "parfaitement intégrée", "entourée" et "sportive". Ces précisions sur sa personnalité détonaient avec l'hypothèse d'une affabulation, aujourd'hui confirmée. Décrite également ses proches comme une jeune fille parfaitement insérée, équilibrée et très sportive, certains de ses camarades de lycée la perçoivent même comme réservée.

Ses parents se reconstruisent peu à peu

Interrogé par RMC, le père de la joggeuse, qui avait donné l'alerte sur la disparition, a confié : "C'est très difficile pour nous, on a besoin de se reconstruire, ça va prendre du temps". Chez ses camarades de classe, l'incompréhension demeure : "Ca tourne beaucoup, on en parle tous un peu de notre côté", lance l'une. Une autre confirme : "On est dans l'incompréhension totale, on essaie de savoir et comprendre", "on s'est tous inquiétés". "Tout le monde est outré de la situation", indique une dernière.

La jeune fille "ne serait pas retournée en classe" depuis l'aveu de son mensonge, information confirmée par plusieurs lycéens fréquentant le même établissement qu'elle. Une absence qui serait une bonne chose selon une de ses camarades, qui craint un "harcèlement" si la joggeuse revenait au lycée : "Je pense que, pour elle, ça doit être compliqué [...] Si elle revient, je pense qu'il pourrait y avoir beaucoup de harcèlement, on serait beaucoup derrière elle", a-t-elle confié à la chaîne. Au lycée, des consignes claires ont été données : ne pas parler de l'affaire. "C'est le seul moyen de la protéger", confiait une amie proche de l'adolescente de 17 ans à Libération.

Le quotidien avait également recueilli plusieurs témoignages, après l'aveu de l'invention du rapt par la jeune fille : "Ici, tout le monde se connaît, ça va la poursuivre", s'était inquiété une femme attablée à un café. Un autre client avait martelé : "On nous a déjà traités de voleurs, voilà que maintenant on nous traite de menteurs", faisait référence à l'affaire Fillon qui, en 2017, avait mené de nombreux journalistes à se rendre à Sablé-sur-Sarthe, l'ex-premier ministre ayant été maire de la ville pendant dix-huit ans. Un des camarades de classe de la lycéenne assurait pourtant qu'"elle n'a pas pu faire ça juste pour faire le buzz, il y a forcément autre chose derrière".

Pourquoi un homme a-t-il été placé en garde à vue puis libéré ?

Selon RTL, lundi 8 novembre au soir, un homme de 42 ans, en état d'ébriété très avancé, a contacté la gendarmerie à de nombreuses reprises, réclamant des nouvelles sur la disparition de l'adolescente de 17 ans. Arrêté le soir même au regard de ce comportement considéré comme "suspect", il est passé par la cellule de dégrisement avant d'être placé en garde à vue. Le potentiel "suspect" était, selon LCI, connu pour des faits de droit commun. Mais aucune information ne permettait d'établir un lien entre l'homme et la jeune disparue. Ce mercredi 10 novembre au matin, l'homme avait donc été relâché. Dans un communiqué, la procureure de la République de Laval, Céline Maigné, a expliqué que "les investigations réalisées ont permis d'éclaircir les éléments ayant motivé cette mesure et d'écarter l'implication de la personne mise en cause".