Morgan Keane tué dans un accident de chasse, ce que l'on sait du drame
Près de deux ans après la mort de Morgan Keane, survenue le 2 décembre 2020 à Calvignac, dans le Lot, le tireur et le directeur de la battue comparaissaient ce jeudi 17 novembre au matin devant le tribunal correctionnel de Cahors pour homicide involontaire. Le jour du drame, Morgan Keane, 25 ans, coupait du bois devant chez lui lorsqu'il a été touché par la balle d'un chasseur. Lors de l'audience qui s'est tenue jeudi, le tireur, Julien F., s'est excusé à plusieurs reprises. "Pas un jour ne passe sans que j'y pense, je suis désolé", a-t-il déclaré. En parallèle, son avocate s'est appliquée à dépeindre le portrait d'"un jeune travailleur", père de "deux petites filles", d'un homme "stable" qui "n'avait pas envie de faire de mal", réclamant pour son client, qui ne connaissait pas le terrain et manquait d'expérience, une peine juste à la "hauteur des faits et de [s]a personnalité". Et Me Sylvie Bros d'insister : "C'est un accident. Ce n'est pas un meurtre, mais bien un acte involontaire. Certes, des erreurs ont été commises."
De son côté, Laurent L., directeur de la battue le jour du drame, a estimé que, pour lui, "il était impossible de tirer à cet endroit, on n'y voyait pas à trois mètres". Alors que le procureur a mis en avant "de nombreux manquements hallucinants", pointé une "désorganisation totale" et souligné que le tireur avait "déjà réalisé, avant le drame, trois ou quatre tirs en commettant des infractions" ce qui aurait dû alerter le directeur de battue qui aurait, selon lui, dû l'exclure, Laurent L. "se sent responsable, mais pas coupable" a fait savoir son avocate. Me Émilie Geffroy a plaidé la relaxe, estimant que son client avait "respecté ses obligations".
Le procureur de la République a, quant à lui, requis six mois de prison ferme contre le tireur et le directeur de la battue. Dans le détail, La Dépêche relaie deux ans de prison, dont 18 mois avec sursis, pour le tireur. Le retrait définitif du permis de chasse et l'interdiction d'avoir ou de porter une arme pendant cinq ans, soit la durée maximale légale, ont également été évoqués. Quant au directeur de la battue, 18 mois ont été requis à son encontre, dont 12 mois avec sursis. Le délibéré a été renvoyé au 12 janvier prochain.
À noter que si le procureur a requis six mois de prison ferme pour chacun, dans cette affaire, les deux hommes encourent jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amendes. Les retombées juridiques pourraient toutefois les dépasser car plus que l'accident mortel qui a coûté la vie à Morgan Keane ce sont tous les accidents de chasse et l'activité de la chasse elle-même qui pourraient être jugés aux yeux des non-chasseurs. Un scénario que craignent les adeptes de la chasse d'autant que depuis plusieurs années l'encadrement de la chasse est pointé du doigt, en particulier l'absence de règles plus restrictives.
Comment Morgan Keane est-il mort ?
Les circonstances de la mort de Morgan Keane, survenue le 2 décembre 2020, ont été établies par l'enquête. Le jeune homme âgé de 25 ans coupait du bois à une dizaine de mètres de sa maison située à Lagarrigue, lieu-dit de la commune de Calvignac dans le Lot quand il a été touché mortellement au thorax par une balle tirée par un chasseur aveyronnais de 33 ans. Le tireur a expliqué avoir cru voir un sanglier, reconnaissant de fait avoir confondu le jeune homme avec du gibier. La balle a transpercé le cœur et un poumon du jeune homme qui s'est "noyé dans son sang pendant quinze minutes" selon les propos rapportés par l'avocat de la famille durant le procès le 17 novembre. Après avoir tiré, le chasseur dit avoir entendu un cri, déchargé son arme, couru en direction de la victime et demandé à ses camarades de chasse d'appeler les secours. Mais l'avocat rappelle que sur la quinzaine de chasseurs présents au moment de l'accident, seuls deux sont venus porter secours à Morgan Keane.
Après l'accident du 2 décembre, le chasseur auteur du tir s'était présenté spontanément à la gendarmerie puis avait mis en examen pour homicide involontaire, au même titre que l'homme qui était en charge de la battue. Le frère de la victime, Rowan Keane avait alors indiqué qu'ils se rendaient régulièrement à cet endroit et que plusieurs fois ils étaient passés entre les balles des chasseurs.
La chasse était-elle mal organisée ?
La mort de Morgan Keane pose la question des conditions dans lesquelles la chasse était organisée ce 2 décembre 2020. À la barre ce jeudi 17 novembre, le chasseur a indiqué qu'à l'époque il était dans sa première année de chasse depuis l'obtention de son permis et n'avait participé à des battues que trois ou quatre fois. L'homme a reconnu avoir eu des difficultés à toucher le gibier durant les premières traques et estime qu'il aurait dû "refuser le poste" de chasse depuis lequel il a tiré sur Morgan Keane à cause des mauvaises conditions et surtout de la mauvaise visibilité. "Je me poste, je charge mon arme, je vois une masse sombre en lisière pas plus haute que ça, je pense que c'est le sanglier que j'ai loupé et je vois cette masse sombre qui remonte dans le sous-bois, je l'ai vu monter s'arrêter et redescendre un peu. J'ai attendu que ce soit immobile, j'ai visé et j'ai tiré", a expliqué le chasseur qui rappelle qu'il était dans un "état normal" et n'avait pas consommé d'alcool note La Dépêche du Midi. L'homme a évoqué un terrible accident pour lequel il s'excuse et qui le hante : "Il n'y a pas un jour qui passe sans que j'y pense, je suis désolé."
Malgré l'accident mortel, le directeur de la battue a maintenu à la barre que la chasse "était maîtrisée". L'homme soutient avoir répété les quelques règles de sécurité en bonne et due forme malgré plusieurs témoignages qui suggèrent que le règlement n'a pas été énoncé assez clairement. Le directeur de la battue a, en quelques sorte, renvoyé la faute aux chasseurs et au tireur peut-être distraits lors du rappel des consignes, ajoutant même que selon lui le tir n'aurait jamais dû avoir lieu : "Pour moi, c'était impossible de tirer à cet endroit, on n'y voyait pas à trois mètres."
Des règles précises pour la chasse ?
Le débat que suscite la mort de Morgan Keane tourne en grande partie autour des règles qui encadrent la chasse. Pourtant ces règles semblent floues sur certains points et il a été fait un rappel rapide lors du procès le 17 novembre : "Curieusement ou pas, il n'y a aucune règle nationale. Les règles de sécurité sont écrites dans un schéma départemental, établi par la fédération de chasse départementale et validé par arrêté préfectoral". Le président du tribunal ajoute que le fédération de chasse désigne un ou plusieurs directeurs de battues chargés de délimiter des enceintes de chasse et de disposer des lignes de tirs prédéterminées. Le directeur de battue est aussi le seul à décider du poste d'un chasseur, et donne des consignes avant chaque traque.
Qu'attendre du procès sur l'accident de chasse ?
Près de deux ans après les faits, la famille de Morgan Keane est toujours affectée par le drame et en veut toujours au chasseur responsable de la mort du jeune homme. Si les proches du jeune homme espèrent qu'une sanction exemplaire sera prononcée, ils souhaitent surtout que le jugement ne portera pas uniquement sur l'accident isolé mais permettra de revoir l'encadrement de la chasse pour des raisons évidentes de sécurité. Me Benoît Coussy, avocat de Rowan Keane, le frère de la victime, attend comme son client des "excuses pendant le procès" et espèrent que des circonstances aggravantes seront retenues, rapporte France 3 Occitanie : "C'est un homicide, dans un cadre où les règles n'ont pas été respectées. Ça tire sans savoir sur quoi ça tire." Pendant le procès, l'avocat entendait plaider pour "un moratoire de la chasse" impliquant des "règles plus contraignantes" et une reconnaissance "d'un crime de chasse". C'est donc tout le monde de la chasse qui pourrait être bousculé par la mort de Morgan Keane.