Niger : la France va-t-elle intervenir militairement ?

Niger : la France va-t-elle intervenir militairement ? L'ultimatum fixé par les pays voisins pour libérer le président des putschistes a expiré dimanche 6 août. Les tensions contre la France se développent, bien qu'elle assure qu'aucune intervention militaire n'est prévue à ce jour.

[Mis à jour le 7 août 2023 à 12h13] Ils avaient menacé les putschistes de mener une opération militaire s'ils ne libéraient pas le président, enfermé avec son fils et sa femme, d'ici dimanche 6 août 2023 au soir. La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), à l'origine de l'ultimatum désormais expiré n'a pas encore mis sa promesse a exécution. Peu de temps avant la fin de l'ultimatum, vers 23h dimanche 6 août, le porte-parole des putschistes le colonel-major Amadou Abdramane a diffusé un message fort, ciblant explicitement la Cedeao et la France. À la télévision nationale, il a déclaré : "Les forces d'une puissance étrangère s'apprêtent à agresser le Niger et son peuple en coordination avec la Cedeao et des groupes armés terroristes." Avant d'affirmer que la junte était préparée à cette éventualité : "L'ensemble de nos forces de défense et de sécurité, fortes du soutien indéfectible de notre peuple, sont prêtes pour défendre l'intégrité."

Si la rumeur d'une intervention militaire de la France au Niger s'est développée depuis le coup d'État, il semblerait qu'aucune opération soit sur le point d'être lancée à ce jour. Dans la soirée du dimanche 6 août, le Général Jérôme Pellistrandi, consultant défense de BFMTV, expliquait sur la chaine d'informations en continu que la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna "soutient pleinement la Cedeao et demande le retour à un ordre constitutionnel". Il affirme ensuite que "pour le moment, il n'est pas question que la France intervienne".

Une intervention française qui n'est "pas à exclure"

Dans un contexte de plus en plus tendu après le putsch militaire, une intervention militaire française n'est pourtant "pas à exclure" sur le territoire, affirme Alain Antil, chercheur et directeur du Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri, auprès de Public Sénat.

Une analyse qui expliquerait l'évacuation des ressortissants français qui le souhaitent du Niger. Plus de 500 personnes ont déjà été évacuées, dont 312 Français, à bord des avions prévus par la France. "Au Burkina et au Mali, malgré les coups d'État successifs, les Français ne sont pas rentrés. Cette décision de rapatriement est certainement un indice d'anticipation d'une dégradation de la situation à Niamey et d'une probable intervention de l'armée extérieure ", explique le chercheur. 

Même son de cloche pour Antoine Glaser, journaliste spécialisé de l'Afrique de l'Ouest et fondateur de la Lettre du Continent. Ce dernier estime que la France prend "très au sérieux la menace militaire". Le Quai d'Orsay sait que s'il y a une intervention militaire du Nigeria au Niger, "les ressortissants français risquent de servir d'otages. C'est pour ne pas gêner une possible opération militaire extérieure que Paris a décidé de rapatrier les Français sur place".

En revanche, pour la chercheuse Lova Rinel, interrogée par Ouest-France, une intervention de la France serait "improbable". L'opération aurait pour conséquence "une exaltation du sentiment anti-français". "Elle aurait vraiment le moins d'effets positifs pour un retour en poste du président Bazoum et un retour à l'ordre constitutionnel", estime-t-elle. La cheffe de la diplomatie française Catherine Colonna avait démenti lundi les accusations de la junte qui a pris le pouvoir au Niger, selon lesquelles la France voudrait "intervenir militairement" dans le pays. "C'est faux", avait-elle déclaré sur la chaîne BFMTV.

Samedi 5 août 2023, les militaires ouest-africains ont affirmé être prêts à intervenir contre les auteurs d'un coup d'Etat au Niger. de son côté, le ministère des Affaires étrangères a assuré que la France "appuie avec fermeté et détermination les efforts de la Cédéao pour faire échouer cette tentative de putsch".

Un contexte tendu

Le président élu du Niger, Mohamed Bazoum, est actuellement séquestré par des membres de la garde présidentielle, dirigée par le général Abdourahamane Tiani, qui est désormais le nouvel homme fort du pays. Ce coup d'État a été justifié par la dégradation de la situation sécuritaire, ce qui inquiète la présence militaire française dans la région. Le Niger, situé au cœur du Sahel, est l'un des pays les plus pauvres du monde, avec une population d'environ 20 millions d'habitants et une croissance démographique élevée. Niamey est le dernier allié de la France dans la région pour combattre les groupes jihadistes, alors que les pays voisins ont réclamé le retrait des militaires français de leur territoire. 

Depuis l'été 2022, la France a redéployé une partie de ses forces du Mali au Niger voisin, entraînant une diminution significative de ses effectifs militaires au Sahel, passant d'environ 4 500 à 2 500 hommes, dont 1 500 au Niger et 1 000 au Tchad. Auparavant, le Niger servait principalement de base de transit pour les opérations au Mali, mais désormais, le pays abrite le cœur du dispositif militaire français avec une base aérienne projetée à Niamey, où sont déployés cinq drones Reaper et au moins trois avions de chasse Mirage. Les forces françaises ont pour mission d'appuyer les troupes nigériennes au combat et de les aider à renforcer leurs armées, alors que le groupe État islamique au Sahara regagne en puissance à la frontière malo-nigérienne. 

"Dans sa ligne de conduite, allant dans le sens de la recherche des voies et moyens pour intervenir militairement au Niger, la France, avec la complicité de certains Nigériens, a tenu une réunion à l'état-major de la garde nationale du Niger, pour obtenir des autorisations politiques et militaires nécessaires" expliquait lundi le communiqué de la junte.

Une intervention militaire française ?

La situation actuelle au Niger soulève des interrogations sur le sort des 1500 militaires français déployés dans le pays. Selon le journaliste spécialiste de l'Afrique, Antoine Glaser, une partie de ces effectifs pourrait regagner la France, marquant ainsi la fin d'une période historique de présence militaire post-coloniale dans la région.

Le président Emmanuel Macron a condamné fermement le putsch. "Quiconque s'attaquerait aux ressortissants, à l'armée, aux diplomates et aux emprises françaises verrait la France répliquer de manière immédiate et intraitable. Le Président de la République ne tolérera aucune attaque contre la France et ses intérêts", a ainsi réagi l'Élysée.

Les militaires nigériens qui ont renversé le président élu, Mohamed Bazoum, ont accusé lundi 31 juillet la France de " vouloir intervenir militairement ". " C'est faux ", a répondu la ministre française des affaires étrangères, Catherine Colonna, sur BFM-TV. " La seule priorité de la France, c'est la sécurité de ses ressortissants. (…) Les mesures que nous prenons, ce sont uniquement des mesures destinées à assurer la sécurité de nos compatriotes. "

Le Mali et le Burkina Faso menaçants

Egalement en place après un push militaire, le Mali et le Burkina Faso ont donné un avertissement en cas d'intervention militaire pour rétablir le régime de Mohamed Bazoum. Selon le communiqué publié lundi 31 juillet, une intervention " s'assimilerait à une déclaration de guerre " à leur encontre. Dimanche 30 juillet, quinze pays de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ont décidé de sanctions et ont laissé planer la menace d'un "recours à la force", pour rétablir le pouvoir. Elle a donné sept jours au général Abdourahamane Tiani et à ses hommes pour rétablir dans ses fonctions le président élu du Niger, Mohamed Bazoum.

La souveraineté du Niger en question

Le scepticisme envers la présence militaire française au Niger ne se limite pas au contexte du coup d'État, mais provient également de certains habitants qui déplorent le manque de souveraineté du pays vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale. Certains estiment que la France n'a jamais considéré le Niger comme un partenaire, mais plutôt comme une colonie d'outre-mer. Des manifestants ont exprimé des slogans anti-France à Niamey, mettant en évidence le désir de renforcer la souveraineté du pays d'un point de vue diplomatique. Le général Tchiani, nouvel homme fort du Niger, s'est montré modéré envers les alliés du pays, mais a exprimé sa volonté de renouveler la coopération avec les régimes putschistes des pays voisins, le Mali et le Burkina Faso. Certains citoyens nigériens estiment que leur pays devrait s'inspirer de ces exemples pour affirmer leur souveraineté et ne pas dépendre exclusivement de la France. 

Quels sont les intérêts de la France au Niger ?

Alors que l'avenir de la présence militaire française au Niger demeure incertain, les intérêts de la France dans le pays restent multiples. L'enjeu sécuritaire face à la menace terroriste, la stabilité de la région du Sahel, ainsi que les partenariats diplomatiques sont autant de facteurs qui devront être pris en compte dans la réorientation éventuelle de la mission des militaires français dans cette région délicate et instable.