Procès de Bastien Vivès : quels sont les dessins de BD qui ont indigné les associations de protection de l'enfance ?
C'est une nouvelle étape qui est franchie dans l'affaire Bastien Vivès. Ce mardi 26 et mercredi 28 mai, l'auteur de bandes dessinées est devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour "fixation et transmission en vue de la diffusion d'images à caractère pédopornographique" dans deux de ses BD : La Décharge mentale (2018) et Petit Paul (2018). Les éditions Les Requins Marteaux et Glénat, qui ont publié les deux ouvrages mis en cause, comparaîtront quant à elles pour diffusion de l'image d'un mineur présentant un caractère pornographique.
Une information judiciaire avait été ouverte en 2023, après les vives polémiques autour de trois ouvrages du dessinateur de 41 ans. Trois associations de protection de l'enfance avaient porté plainte contre l'auteur pour diffusion d'images pédopornographiques. La Fondation pour l'enfance, Innocence en danger et Face à l'inceste pointaient notamment du doigt trois ouvrages de Bastien Vivès : Les Melons de la colère (paru en 2011), La Décharge Mentale (2018) et Petit Paul (2018), qui livrent, selon elles, "des représentations de mineurs, dans des situations sexuellement explicites, présentant indubitablement un caractère pornographique".
"L'objet de notre plainte, c'est de dire que la liberté de création ne peut pas être absolue, dès lors qu'elle porte atteinte à l'image des mineurs. Les deux ouvrages qui sont visés par le parquet représentent des mineurs en situation pornographique et répondent aux conditions des textes pénaux. Quel est le message que l'on cherche à faire passer en représentant des mineurs en situation d'abus sexuel ?" a questionné Delphine Girard, avocate de l'association Innocence en danger, surRTL.
Pour l'avocat de Bastien Vivès, Richard Malka, "ces associations se prétendent défenderesses de l'enfance, mais en réalité, elles passent leur temps à poursuivre des artistes. On a osé lui demander si petit Paul était consentant, mais est-ce que la Schtroumpfette est consentante aux aventures qui lui arrivent ? Ça n'a aucun sens, on est dans un cauchemar !", estime-t-il.
La Fondation pour l'enfance, Innocence en danger et Face à l'inceste se sont constituées partie civiles dans ce procès. Sollicité par l'AFP, Bastien Vivès n'a pas souhaité s'exprimer avant le début de son procès, mais est présent lors de l'audience. Si trois ouvrages de l'auteur avaient été mis en cause à l'origine dans les plaintes des associations, seules deux bandes dessinées de l'auteur - La Décharge mentale (2018) et Petit Paul (2018) - sont examinées par la justice lors de ce procès.
Que contiennent les BD de Vivès ?
La bande dessinée La Décharge mentale (2018) issue de la collection "BD CUL" de Requins marteaux ainsi que Petit Paul (2018) ne passent pas auprès des associations de protection de l'enfance. Et les magistrats s'intéressent à des planches en particulier, celles qui représentent des scènes de sexe impliquant des enfants.
Dans la première BD visée, La Décharge Mentale (2018), le dessinateur raconte le récit de Roger, un père de famille, qui convie un de ses amis, Michel, croisé par hasard, à dîner chez lui. Au cours du repas, Roger va avoir des rapports incestueux avec ses trois filles, respectivement âgées de 18, 15 et 10 ans. L'épouse de Roger propose à Michel d'avoir des relations sexuels avec leurs filles. Comme le rapporte France Info, le parquet a estimé que l'image d'"une mineure scolarisée en classe de CM2", présente lors "des actes de nature sexuelle à la demande de personnes majeures", notamment ses parents, et celle d'une adolescente "ne disposant pas de ses dents de sagesse qui assiste à des actes de nature sexuelle" et les "subit", notamment "sur sollicitation parentale", tombent sous le coup de la loi.
Dans l'autre ouvrage mis en cause, Petit Paul (2018), Bastien Vivès illustre à la façon de la série Martine, les aventures d'un enfant de 10 ans possédant un sexe de très grande taille, qui suscite "les plus violentes des pulsions" chez les femmes, selon la quatrième de couverture. Ainsi, le petit garçon "se retrouve propulsé, bien malgré lui" dans des relations sexuelles avec plusieurs adultes de son entourage notamment son institutrice, sa sœur ou encore sa prof de judo.
"Bastien Vivès met à nouveau en scène les héros aussi candides que généreusement pourvus par la nature des Melons de la colère dans une série d'histoires courtes à l'humour débridé. L'auteur de Polina se nourrit des quiproquos pour coucher sur papier ses fantasmes les plus inavouables et prouve, une fois de plus, que son dessin épuré et virtuose lui permet tout. Aussi immoral que réjouissant ; aussi cru que chaud, Petit Paul nous montre qu'il est parfois bon de rire, même si c'est mal." peut-on lire sur le site de l'éditeur Glenat. Le parquet a souligné "le caractère pornographique" de cette BD.
Même s'il ne sera pas examiné par la justice, le livre Les Melons de la colères (2011) avaient aussi été pointé du doigt par les association de protection de l'enfance en raison d'illustration qui montre le viol d'une adolescente paysanne par plusieurs hommes. Dans sa plainte déposée auprès de la procureure de la République de Paris, l'association avait conclu que "ces planches montrent bien des mineurs abusés ou exhibant leur intimité" et qu'à ce titre elles correspondent à des représentations pédopornographiques.
Que risque Bastien Vivès si ses BD sont jugées illégales ?
Si les deux BD de Bastien Vivès décriées sont caractérisées comme des œuvres pédopornographiques à l'issue de l'enquête ouverte pour "fixation et transmission en vue de la diffusion d'images à caractère pédopornographique" alors l'auteur pourrait encourir jusqu'à 75 000 euros d'amende et 5 ans de prison selon l'article article 227-23 du Code pénal.
Les BD pornographiques de Bastien Vivès sont-elles illégales ?
Le caractère phonographique des deux BD mises en cause ne font nul doute. Bastien Vivès lui-même reconnaît que ses dessins ne sont pas adaptés à un public mineur. Toutes ses BD sont vendus "sous blister, avec un avertissement et une interdiction aux moins de 18 ans".
Sans s'attarder sur l'illégalité ou non des scènes représentées, le fait de dessiner des enfants dans des situations à caractère sexuel tombe sous le coup de l'article 227-23 du Code pénal. Lequel punit "le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique". Et les dessins entrent dans ce cadre légal, comme le mentionne un arrêt de la Cour de cassation du 12 septembre 2007.
La loi ne prévoit aucune exception à ces représentations comme le souligne l'avocate d'IED et auteure de la plainte, Delphine Girard, dans Le Parisien. Selon elle l'article du Code pénal entend "une représentation assez large, qui concerne aussi les œuvres de l'esprit, les représentations de l'enfant qu'elles soient imaginaires ou non, photographiées ou dessinées, dans une situation de comportement sexualisée ou dès lors qu'il s'agit de rapport avec des adultes". Guillaume Beaussonie, professeur de droit pénal à l'Université de Toulouse ajoute : "Le texte ne prévoit pas d'exception. Il n'y a pas d'hypothèse dans laquelle une exception artistique pourrait être autorisée".
Pourtant, Thomas Perroud, professeur en droit public à l'université Panthéon-Assas et co-délégué de l'Observatoire de la liberté de création, offre une autre interprétation de l'article 227-23. Auprès de Médiapart, il juge que "ce texte, nécessaire en ce qu'il vise à sanctionner des personnes exploitant la vulnérabilité d'un enfant en les forçant à réaliser des scènes pornographiques devant une caméra ou un appareil photo, devient problématique s'il vise également toutes les représentations relevant des arts plastiques (dessin, peinture, gravure et sculpture) qui se contentent de montrer". Le professeur reprend la ligne de défense de l'auteur selon laquelle "représenter la violence sexuelle subie par un enfant, par exemple, n'est pas nécessairement en faire l'apologie."
Les BD de Bastien Vivès protégées par la liberté d'expression ?
Et quid de la liberté d'expression ? C'est le principal argument utilisé par Bastien Vivès et par d'autres auteurs qui prennent la défense de leur confrère, papa du Petit Paul. "Dessiner peut donc être un délit", a réagi Bastien Vivès auprès de l'AFP, le 13 février, lorsqu'il a appris son renvoi devant le tribunal correctionnel de Nanterre. "Je ne suis pas là pour panser les plaies de la société, œuvrer pour la morale, mais juste pour donner à réfléchir", a ajouté l'auteur de bande dessinée. En octobre 2024, il a publié La Vérité sur l'affaire Vivès, une satire sur ses déboires judiciaires. La présidente de la maison d'édition Glénat a annoncé le 21 mai à l'AFP qu'à l'audience, elle défendrait "la liberté d'expression" de son auteur, tout en disant "comprendre" que la BD Petit Paul "ait pu choquer, interroger, poser des questions auprès des lecteurs".
"En matière de création et de diffusion des œuvres, la règle, c'est la liberté", estime Thomas Perroud. La liberté d'expression est bien un droit essentiel, central dans les affaires qui touchent au domaine artistique et posé par plusieurs texte dont l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH). Cet argument est aussi repris par Agnès Tricoire, avocate à la cour de Paris et déléguée de l'Observatoire de la liberté de création, dont les propos sont retranscrits par Franceinfo et qui estime que si l'article 227-23 du Code pénal peut être utilisé, il doit l'être de façon "proportionnée" en fonction du degré de fiction de la représentation du mineur et selon l'intention de l'auteur. Et c'est là que le bât pourrait blesser.
Si Bastien Vivès nie dans son communiqué du 15 décembre 2023 toute mauvaise intention derrière ses dessins et ses BD, les plaintes déposées contre lui s'appuient aussi sur des déclarations douteuses de l'auteur. Notamment celle faite dans une vidéo pour le média Madmoizelle en 2017 : "Moi, l'inceste à m'excite à mort. [...] Vu que je ne peux pas faire d'inceste dans la vraie vie et que je n'ai pas de grande sœur pour pouvoir faire ça, je fais ça dans mes livres." La question est donc la suivante : le juge saisi de l'affaire cernera-t-il l'intention de l'auteur et le sens des images décriées ? Delphine Girard, avocate d'IED anticipe dans Médiapart à nouveau : "Je pense que Bastien Vivès va expliquer au juge qu'il a grossi le trait, que ça relevait de l'humour ou que ça s'inspirait des mangas. Mais, face à la crudité et la cruauté des scènes, ça ne tient pas. [...] Il n'y a pas de liberté artistique dans ce cas car ces images montrent clairement des mineurs subissant des abus sexuels".
A noter aussi que si la liberté d'expression est reine, l'exercice de ce droit peut-être limité notamment par "la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale", comme prévoit également l'article 10 de la CEDH. Or, les questions juridiques et morales sont celles qui sont soulevées par l'affaire Vivès.
Des questions juridiques, mais aussi morales sur l'affaire Bastien Vivès
La polémique autour de Bastien Vivès est complexe et se joue sur plusieurs plans. L'avocate de la Fondation pour l'enfance insiste : "La représentation d'un mineur de moins de 15 ans présentant un caractère pornographique est interdite". Il appartient à la justice de trancher sur ce point. Mais d'autres questions soulevées sont plutôt d'ordre moral : est-il correct ou non de représenter des mineurs dans des scènes à caractère sexuel comme l'auteur du Petit Paul le fait ? Ces dessins alimentent-ils ou incitent-ils à des actes pédocriminels ?
Si pour les associations qui luttent contre les violences sexuelles et l'inceste voient tout le mal que pourrait causer ces dessins entre les mains de victimes ou de personnes susceptibles d'y voir une forme de normalité ou encore d'approbation, d'autres estiment qu'un dessin ne peut être la cause d'un mal ou d'une pulsion amorale. Tous ces sujets et ces questions sensibles avaient été soulevés en 2018 avec un signalement classé sans suite. Une personne qui avait "connu personnellement des victimes d'inceste" s'était dite préoccupée "par la possible utilisation de ce matériel pédopornographique par des agresseurs, dans le but de convaincre l'enfant que la pédocriminalité, c'est bien, c'est normal, c'est 'fun'", rapporte Franceinfo. Mais en "l'absence d'infraction", le signalement n'avait pas abouti.
Un démenti et des excuses pour Bastien Vivès
Présent lors de l'audience, Bastien Vivès ne parlera qu'au moment de l'ouverture du procès. En décembre 2023, l'auteur de BD avait démenti fermement les accusations qui le visent et "condamne la pédocriminalité, ainsi que son apologie et sa banalisation" tout comme "la culture du viol et les violences faites aux femmes". Dans un communiqué aux airs de mea culpa publié sur son compte instagram, l'homme défend aussi son travail et ses planches qui "évoque[nt] la naissance du sentiment amoureux et du désir" dans une forme d'expression qui relève du "genre burlesque humoristique". Un ton que Bastien Vivès dit affectionner et reprendre régulièrement en interview, l'on peut imaginer qu'il fait ici référence à sa sortie dans Madmoizelle précitée. "A aucun moment je n'ai voulu blesser des victimes de crimes et abus sexuels", a-t-il pris soin d'ajouter.