Le quinquennat qui a bloqué la France

A l'occasion de l'anniversaire de l'élection de Nicolas Sarkozy, et tandis que la campagne pour 2012 débute, L'Internaute a demandé à une série d'experts de faire un premier bilan du quinquennat qui s'achève. La tribune de Karine Berger pour la Fondation Jean-Jaurès.

La France de 2007 avait largement choisi celui qui se présentait comme un "réformateur". La France de 2011 se réveille 4 ans plus tard avec le vague à l'âme d'un pays un peu plus vieux, un peu plus triste, un peu plus émietté. Pays en perdition économique, dépassé par tous les autres et massacré par la concurrence internationale. Le quinquennat Sarkozy a enfoncé le pays dans son spleen.


Pire, il a fait des millions de trahis. Car la France de 2011, qui avait voté pour la réforme, se découvre complètement bloquée. Ce que l'on retiendra du quinquennat de Nicolas Sarkozy, c'est le blocage systématique des courroies de transmission de la société française : courroies institutionnelles, courroies démocratiques, courroies sociales ; et plus intensément encore blocage des courroies économiques. Les premiers trahis ce sont tous ces Français qui ont sincèrement couru le risque du "travailler plus pour gagner plus" en voyant qu'au sein de leur PME, le partage de la richesse était le souci de tous. Résultat : 4 ans plus tard, le nombre d'heures totales travaillées en France est inférieur à celui de 2007. Et ceux qui travaillent plus sont invités à gagner moins comme les "Continental" ou les "Molex" en 2009 : l'emploi ou les 35 heures, il a fallu choisir.


Dans l'histoire économique du pays, la présidence De Gaulle restera celle des Trente Glorieuses, celle du nucléaire civil et du BTP, celle de l'ascenseur social et de la grandeur internationale de la France. Celle de Giscard sera associée à l'Europe économique avec le lancement du Serpent Monétaire européen. Les présidences de Mitterrand demeureront celles de la formidable épopée économique de construction européenne, celles du TGV et de l'Airbus, celles de la protection sociale pour tous. La présidence Chirac ne laissera pas beaucoup de traces dans l'histoire économique. La présidence Sarkozy sera celle du blocage du fonctionnement économique et social du pays. Quatre occasions manquées historiques resteront plus particulièrement le symbole de cette impuissance.


Le quinquennat Sarkozy a bloqué la refonte du système de protection sociale. Celui qui affirmait en 2007 devant le Sénat "La priorité, c'est de traiter la question des régimes spéciaux de retraites" aura provoqué six mois de conflits violents en France pour une modification à la marge du système de retraite qui non seulement n'assure pas la pérennité du système par répartition, mais surtout ne règle en aucune manière les inégalités de droits devant la retraite : aucun régime spécial n'a été touché, tandis que le régime général était le seul à faire l'objet d'une modification unilatérale des droits. Cette réforme pour rien a sans doute interdit pour longtemps la véritable réforme attendue pour le système de retraite, qui rapproche les systèmes existants tout en assurant le financement dans le futur.


Le quinquennat Sarkozy a bloqué la refonte du capitalisme français. Celui qui affirmait en 2007 "Je veux être le président qui s'efforcera de moraliser le capitalisme" n'a rien fait ni pour corriger la dérive du partage de la valeur ajoutée vers les actionnaires, ni pour empêcher la spéculation irresponsable du système financier. En laissant passer l'occasion historique que constituait la crise financière internationale d'imposer des règles au capitalisme, il a sans doute interdit pour longtemps la possibilité de mener une réforme.


Le quinquennat Sarkozy a bloqué la construction économique européenne. Celui qui affirmait en 2007 : "Je veux être le président d'une France qui dira aux Européens : nous ne pouvons plus continuer avec une monnaie unique sans un gouvernement économique"  n'a rien pu faire - et n'a rien voulu faire - contre la mise au ban de ceux qui sont devenus les pestiférés de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal par le monde financier, entraînant toute la zone euro dans sa crise la plus grave de puis sa création. Crise d'une telle ampleur que la perte de crédibilité politique de la zone devrait l'affaiblir pour des années.


Enfin, le quinquennat Sarkozy a bloqué la confiance dans l'effort et dans le travail. Celui qui affirmait en 2005 être le représentant de "la France qui se lève tôt le matin et qui pour autant peine à boucler ses fins de mois" a plus que tout déçu ceux qui ont cru à la juste rémunération de leurs efforts. Car 5 ans plus tard, ceux qui ont le plus perdu, ceux qui ont été les plus déclassés, c'est justement cette France qui se lève tôt et qui mettra des années à croire de nouveau en la promesse d'un avenir meilleur.


Le quinquennat Sarkozy aura laissé une trace indélébile de méfiance, de déception et de blocage au coeur de la France. Il laisse un pays divisé, en crise morale, en crise d'avenir, en crise d'identité. Au coeur de l'élection de 2012 se trouvent ainsi deux enjeux : l'union et le déblocage du pays.


Karine Berger est co-auteure avec Valérie Rabault de Les Trente Glorieuses sont devant nous, Rue Fromentin Editions (mars 2011).