La suppression du droit du sol à Mayotte est-elle possible ?

La suppression du droit du sol à Mayotte est-elle possible ? Gérald Darmanin a annoncé la suppression du droit du sol à Mayotte via une révision de la Constitution. Mais le projet du gouvernement va se heurter à plusieurs difficultés. A-t-il des chances d'aboutir ?

La "décision radicale" du gouvernement d'inscrire la fin du droit du sol à Mayotte fait réagir toute la classe politique. Au lendemain de l'annonce de Gérald Darmanin depuis le 101ème département français le dimanche 11 février, la ministre des Outres-Mer, Marie Guévenoux, soutient la nécessité de la mesure au micro de franceinfo : "On mettra fin au droit du sol à Mayotte parce que les conditions de Mayotte le justifient". Par "les conditions", elle entend "une crise migratoire extrêmement forte" due à l'arrivée de Comoriens et d'Africains "qui viennent pensant pouvoir bénéficier pour une partie d'entre eux du droit du sol, c'est-à-dire du fait d'avoir un enfant sur le sol français qui leur permet ensuite d'avoir un titre de séjour".

L'annonce du gouvernement entraine la satisfaction à droite qui estime être la première à avoir envisagé une telle mesure. L'extrême droite aussi se satisfait de la déclaration de Gérald Darmanin même si elle juge nécessaire d'aller encore plus loin en généralisant la mesure à l'ensemble du territoire français. Mais à gauche, c'est la colère qui gronde depuis le discours du ministre de l'Intérieur. Les élus socialistes, écologistes ou insoumis assurent que la suppression du droit du sol ne permettra pas de sortir l'île de la situation de crise qu'elle connaît et va à l'encontre de la République. Une position partagée par le président de la Ligue des droits de l'Homme, Patrick Baudouin, qui juge la mesure "extrêmement dangereuse" sur franceinfo.

Comment supprimer le droit du sol à Mayotte ?

La promesse de Gérald Darmanin a-t-elle des chances de se concrétiser ? La suppression du droit du sol à Mayotte ne peut être entérinée que par une révision de la Constitution. Le président de la République devrait donc proposer un projet de révision constitutionnelle dans le courant de l'année. Gérald Darmanin, Marie Guévenoux et Emmanuel Macron doivent se réunir ce lundi 12 février pour envisager un calendrier pour le projet de révision constitutionnelle. La mesure pourrait se greffer au projet de loi constitutionnel sur la Nouvelle-Calédonie, c'est en tout cas ce que demande le député mahorais LR Mansour Kamardine au nom de son groupe dans un communiqué : "Nous demandons au gouvernement d'inscrire la modification constitutionnelle autorisant la suppression du droit du sol à Mayotte dans le projet de loi constitutionnel sur la Nouvelle-Calédonie dont l'examen est prévu au Parlement le mois prochain".

Mais la formulation du projet de révision n'est que la première étape et la plus simple. L'adoption d'un projet de révision constitutionnelle doit se faire en deux temps : le texte doit être voté en termes identiques à l'Assemblée nationale et au Sénat, puis il doit être approuvé à la majorité par référendum ou par les 3/5ème du Parlement réuni en Congrès à Versailles.

La mesure peut-elle être votée au Parlement ?

La suppression du droit du sol proposée par le gouvernement devrait trouver du soutien auprès de la majorité formée par les partis Renaissance, MoDem et Horizons, mais elle pourrait ne pas faire l'unanimité dans l'aile gauche du camp présidentiel ou auprès de quelques centristes. A droite de l'échiquier politique, Les Républicains et le Rassemblement national pourraient soutenir le texte, mais ils devraient surtout tenter de durcir le projet de révision en négociant leurs votes nécessaires à la majorité, comme ils l'avaient fait pour la loi immigration. Les forces de gauche, elles, promettent d'ores et déjà de s'opposer à l'adoption du texte.

Mathématiquement, la majorité pourrait réunir une majorité de voix à l'Assemblée nationale et au Sénat. A la chambre basse, les trois partis de la majorité, la droite des Républicains et l'extrême droite réunissent 399 sièges sur 577, même en cas de défections ou d'abstentions de l'aile gauche de camp macroniste il est possible d'atteindre la majorité absolue fixée à 289 votes. Un scénario possible uniquement si la droite et l'extrême soutiennent le projet. Même constat au Sénat dominé par la droite : les sénateurs de la majorité, du centre et de la droite occupent 228 sièges sur 344. Dans les mêmes conditions optimales le projet de révision pourrait être voté.

Selon ce même calcul, le Parlement réuni en Congrès pourrait voter le texte à la majorité des 3/5ème : 553 votes seraient nécessaires et en cas d'unanimité entre la majorité, la droite et l'extrême droite jusqu'à 627 votes favorables pourraient être exprimés. Mais la réalité politique est rarement aussi simple. La majorité risque de devoir se confronter à l'opposition de la gauche et peut-être d'une partie des centristes dans son camp et aux revendications de la droite souhaitant aller plus loin. C'est donc un nouveau jeu d'équilibriste qui attend le gouvernement.

Le droit du sol, un principe "fondamental" ?

La suppression du droit du sol risque de se frotter à une autre difficulté : sa constitutionnalité. De l'avis de plusieurs spécialistes du droit public le texte est inconstitutionnel. "C'est une vraie rupture d'égalité des citoyens devant la loi, ce qui est prévu par la déclaration du droit de l'Homme et du citoyen", selon Me David Libeskind, avocat en droit public, sur BFMTV. Cette mesure pourrait aussi marquer "une rupture très importante" du principe d'"indivisibilité de la République" selon Patrick Weil, historien spécialiste des questions d'immigration et de citoyenneté et directeur de recherche au CNRS contacté par l'AFP : "Faire un droit différencié - dans une partie du territoire donnée - en matière de nationalité, c'est tout à fait exceptionnel en République, régime fondé sur l'égalité des citoyens et l'unité du territoire". Plus qu'une rupture cela créerait une "discrimination" et une "inégalité", selon le président de la Ligue des droits de l'homme persuadé que le projet sera censuré par le Conseil constitutionnel.

C'est bien aux Sages du Conseil constitutionnel qu'il reviendra de trancher sur la question. "En l'état, ce principe est inscrit uniquement dans le Code civil, donc il a la valeur d'une loi. On dit en droit que ce qu'une loi a fait, une autre peut le défaire. Mais ce n'est pas aussi simple, parce qu'il s'agit d'un principe fondamental", a expliqué Me Pierrick Gardien, avocat en droit public, sur BFMTV. Lequel estime que le Conseil constitutionnel pourrait donner à ce principe "une valeur constitutionnelle" pour empêcher la suppression du droit du sol.