La France exposée à une "submersion" migratoire ? Ce que disent les chiffres

La France exposée à une "submersion" migratoire ? Ce que disent les chiffres François Bayrou a jugé la France "proche" d'une "submersion" migratoire lors d'une interview sur LCI. L'immigration ne représente pourtant pas une part si grande de la population française.

Les politiques ont les yeux rivés sur le projet de loi concernant le budget 2025, désespérément attendu par les Français, mais ils s'accrochent sur un autre sujet placé au premier plan : l'immigration. Le Premier ministre y est allé de son commentaire sur la situation migratoire en France entraînant l'ire de la gauche et les applaudissements de la droite et l'extrême droite. "Les apports étrangers sont positifs pour un peuple, à condition qu'ils ne dépassent pas une proportion. […] Dès l'instant que vous avez le sentiment d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, les modes de vie ou la culture, vous avez rejet", a déclaré François Bayrou sur LCI, le lundi 27 janvier. Et le chef du gouvernement d'ajouter que la France est "proche" de ce basculement.

Les chiffres ne reflètent pourtant pas la submersion de la population française par les immigrés. Sur 68,1 millions de personnes vivant en France en 2023, la part d'étrangers s'élevait à 5,6 millions selon le dernier rapport sur l'immigration publié par le ministère de l'Intérieur à l'été 2024 - à noter que 800 000 d'entre eux sont nés en France et peuvent prétendre à la nationalité française dès leur majorité. L'Hexagone figure effectivement parmi les pays européens avec le plus grand nombre d'habitants étrangers, derrière l'Allemagne (12,3 millions) et l'Espagne (6,1 millions), mais par rapport à sa densité démographique, les étrangers représentent seulement 8,2% de la population totale. Un taux inférieur à la moyenne obtenue sur les 28 pays de l'Union européenne et estimée à 9,2%. C'est aussi nettement moins que d'autres pays dont la part de personnes étrangères approche ou dépasse la barre des 15% : l'Allemagne est à 14,4%, l'Autriche à 18,8% ou encore Malte avec 25,3% d'étrangers sur son territoire. On peut aussi citer le cas particulier du Luxembourg qui compte de nombreux habitants originaires de pays frontaliers et où la part d'étrangers atteint les 47,4%.

Quid du nombre d'immigrants qui arrivent en France chaque année ? Les chiffres d'Eurostat, utilisés dans le rapport du ministère de l'Intérieur, rappellent que la France est le 3ème pays de l'Union européenne à accueillir le plus d'immigrants : 431 000 personnes sur l'année 2022, toujours derrière l'Allemagne (2,1 millions) et l'Espagne (1,3 million). Mais dans le même temps, le ministère souligne que la France "fait partie des pays de l'OCDE dans lesquels les flux migratoires sont les plus réduits en proportion de la population". Une observation qui invalide donc la position du Premier ministre.

Une fausse impression liée à des indicateurs en hausse...

Le sentiment de "submersion" migratoire évoqué par François Bayrou pourrait s'expliquer par d'autres données plus partielles et spécifiques : la hausse du nombre de titres de séjour accordés ou de demandes d'asile acceptées. Concernant les titres de séjour, 326 954 documents ont été délivrés à des primo-arrivants en 2023, soit 2,5% de plus qu'en 2022 : 33% l'ont été à des étudiants étrangers, 28% pour des motifs familiaux ou encore 16% sont liés à l'immigration économique.

Les demandes d'asile ont également augmenté de 6,8% par rapport à l'année précédente, mais cela reste moins que la moyenne européenne ou que le voisin allemand et sa hausse de 28%. Les demandeurs d'asile viennent principalement d'Afghanistan, de Guinée, de Turquie, du Bangladesh, de Côte d'Ivoire, de République démocratique du Congo, de Géorgie, du Soudan, de Russie et du Sri Lanka. Si la part de personnes afghanes a diminué en un an, celles des étrangers originaires d'Afrique a augmenté : une hausse de 70% pour les personnes guinéennes, de 63% pour les natifs de la Côte d'Ivoire ou encore de 120% pour les étrangers originaires du Soudan.

... et au regroupement géographique des étrangers

Une autre explication faussée de cette impression d'immigration trop importante repose sur la répartition géographique des migrants en France. Ces derniers sont rassemblés autour des grandes agglomérations comme Paris. Les départements d'Île-de-France font ainsi partie des régions où la part d'immigrés représente plus de 10% de la population : plus de 20% à Paris et dans le Val d'Oise et plus de 23% dans le Val-de-Marne ou la Seine-Saint-Denis. Il en va de même pour les Bouches-du-Rhône avec Marseille, le Rhône avec Lyon, la Haute-Garonne avec Toulouse ou encore le Bas-Rhin avec Strasbourg.

D'un point de vue géographique, il faut aussi noter les particularités de deux territoires d'outre-mer : Mayotte et la Guyane. Ces deux départements concentrent une grande part de l'immigration en France, notamment du fait de leur frontière ou de leur proximité avec d'autres pays. François Bayrou s'est d'ailleurs servi du cas de Mayotte pour justifier son discours sur la submersion de l'immigration. Sur l'archipel, 48% des habitants sont des étrangers selon une étude de l'Insee datée de 2019. Reste qu'en dehors de ces cas particuliers, l'immigration ne représente qu'une partie très minoritaire de la population française.