Pourquoi on nous impose l'heure d'été depuis 40 ans ?
[Mis à jour le dimanche 29 mars 2015 à 11h44] Et si on supprimait l'heure d'été ? Hier soir, Ségolène Royal a annoncé qu'elle allait lancer des études sur l'impact du changement d'heure, laissant la porte ouverte à une abrogation dès 2016. Depuis 1976 - date de sa dernière mise en place - le changement d'heure biannuel suscite critiques, moqueries et grognements. Comme convenu depuis près de 40 ans, cette nuit, nous sommes passés à l'heure d'été au cours du changement d'heure du printemps 2015. Concrètement, à deux heures du matin, il était d'ores et déjà trois heures. Nous avons donc avancé les horloges de soixante minutes (soit un tour de la grande aiguille). Vous perdrez donc une heure de sommeil, en raison de cette heure supprimée en France. Un sondage sorti cette semaine souligne que seuls 19% des Français sont en faveur de l'heure d'été, tandis que la moitié s'y montre défavorable. On l'accuse notamment de provoquer des troubles du sommeil, des crises cardiaques et des accidents de la route pour un bilan énergétique très faible.
Le changement d'heure a été mis en place pour la première fois le 14 juin 1916. Objectif de la France qui vit au rythme de la grande guerre : économiser du charbon, une ressource très précieuse pour l'industrie. En effet, en décalant la luminosité vers le soir, on espérait utiliser moins d'éclairage, donc moins d'énergie. Après deux éclipses, la pratique a été remise en place en 1975 par un gouvernement mené par Jacques Chirac. Depuis le 28 mars 1976, les Français font donc l'aller-retour entre GMT+1 et GMT+2, c'est à dire d'une à deux heures de retard sur l'heure solaire. Sans que le débat autour de l'heure d'été ne faiblisse. Mais pourquoi les autorités nous imposent-elles cette séance de fétichisme horloger tous les six mois ?
1 - Parce que les économies d'énergie ont été prouvées. L'ADEME, l'agence d'Etat chargée des économies d'énergie, estime que le changement d'heure permet d'économiser l'équivalent de la consommation d'une ville de 800 000 ménages. EDF estime pour sa part à 4% de la consommation totale l'économie réalisée grâce à la lumière vespérale. Les contradicteurs avancent que ces économies sont rendues microscopiques par la nécessité d'allumer le chauffage le matin (puisque les premières heures du jour sont plus tardives, donc plus froides). De plus, les ampoules basse-consommation ont fait reculer la part de l'éclairage dans la consommation totale d'énergie. Enfin, dans les pays chauds, la chaleur du soir fait augmenter l'utilisation des climatiseurs. Néanmoins, il n'y a pas de chiffres précis sur ces différentes objections. De plus l'ADEME assure que si les économies sont plus basses que prévu, le coût de l'opération reste nul. Dans le doute et comme ça ne coûte rien (ou pas grand chose), le gouvernement fait confiance à ses agences...

2 - Parce que l'on est pas certains que le changement d'heure tue. Vous avez l'impression d'être fatigué à l'issue d'un week-end de changement d'heure ? Votre sensation est sans doute réelle. Mais est-ce suffisant pour accuser le changement d'heure de détraquer nos horloges internes ? Ces dernières années, plusieurs études sur le sujet se sont montrées contradictoires. Ces effets sont en effet difficilement mesurables... En revanche, deux études ont démontré que le nombre de crise cardiaques et d'infarctus augmentait le lundi et le mardi suivant le changement d'heure de printemps, possiblement en raison de l'heure de sommeil en moins. Cette objection plus sérieuse n'est pour l'instant pas admise par l'ensemble des scientifiques. Et d'un autre côté, plus d'heures de luminosité, c'est plus de possibilités en été de faire du sport... et donc de faire du bien à son coeur... Par ailleurs, l'impact sur les accidents de la route, dénoncé ces derniers mois, n'est pas démontré non plus : les anti accusent l'heure d'été de créer des conducteurs fatigués et donc dangereux, tandis que les pro-changement d'heure assurent que la luminosité du soir évite des accidents en améliorant la visibilité. Difficile de trancher, mais personne ne peut être certain à 100 % que le changement d'heure tue...
3 - Parce que nous vivons plus loin de la nature. Parmi les critiques les plus virulents du changement d'heure : les agriculteurs. Les éleveurs sont particulièrement remontés, les vaches laitières étant particulièrement sensibles à l'heure de la traite. Seulement, entre 1945 et nos jours, le nombre d'exploitants agricoles a été divisé par dix ! Difficile de se faire entendre, pour une profession qui - côté lobbying - s'est fixée d'autres priorités (Politique agricole commune, etc.). En revanche, dans les zones urbaines où les horaires de travail sont souvent plus tardifs qu'à la campagne, la mesure est populaire. L'heure d'été permet dès le mois d'avril de bénéficier de belles soirées ensoleillées pour les loisirs (bars, sports...). Un privilège que bien peu de citadins seraient vraiment prêts à abandonner.
4 - Par pure inertie ? C'est peut-être la raison principale ! Le changement d'heure, adopté définitivement en France en 1976, a été progressivement étendu à l'ensemble de l'Europe. Depuis 1998, une directive de l'Union europénne a harmonisé les modalités dans l'ensemble des Etats-membres. Ainsi, la date des changements d'heure a été définitivement fixée aux derniers week-ends de mars et d'octobre. Du coup, sortir du changement d'heure demanderait une relative unanimité des pays d'Europe. De plus, les principaux bénéficiaires de l'heure d'été feraient part de leur colère : cafetiers, centres de loisirs, industrie des loisirs ou des sports... Autant de mécontents potentiels qui remplaceraient les mécontents actuels. En 1976, les Français se montraient déjà très sceptiques devant la mise en place du changement d'heure (comme le montrent les archives de l'INA). Et en 2015, on en est toujours au même point ! Pendant ce temps, les aiguilles continuent de faire allègrement des sauts !