Hijab de Decathlon : derrière la polémique, un débat philosophique

Hijab de Decathlon : derrière la polémique, un débat philosophique

Decathlon a renoncé à vendre son hijab de running, après une controverse qui a pris une ampleur ubuesque. Mais comment expliquer une telle polémique ?

[Mis à jour le 27 février 2019 à 11h42] Mais de quoi parle-t-on lorsqu'on débat sur la volonté de Decathlon de mettre sur le marché français le "hijab de running" ? Pourquoi cette question crée-t-elle autant de crispations ? Comment un bout de tissu peut-il monopoliser autant l'attention des hommes et femmes politiques et des médias, générer une polémique telle que l'enseigne préfère reculer et ne pas mettre en vente son produit ?

D'abord parce que ce bout de tissu incarne, au fond, une tension profonde, philosophique, entre deux principes qui structurent ce débat franco-français : d'un côté, l'universalisme issu des Lumières qui érige comme absolu l'esprit critique, la supériorité de la raison sur les dogmes et les traditions ; de l'autre côté, la liberté fondamentale de disposer de son corps comme on l'entend. Au nom du premier principe, les uns disent : "le voile est un assujettissement, les femmes n'ont pas à suivre cette injonction" ; au nom du deuxième, les autres disent : "son interdiction est une discrimination, une façon d'instaurer une inégalité entre les citoyens".

Ce débat, difficile à cerner hors de nos frontières, est complexifié par une autre singularité française : la laïcité qui régit d'une manière très particulière nos institutions et qui fait l'objet d'interprétations multiples, parfois galvaudées. D'aucuns érigent ce principe pour affirmer que les signes religieux ostentatoires devraient être bannis de la rue, de l'espace public, ce qui est terriblement inexact. Le principe de la laïcité devrait, au contraire, permettre de trancher et de sortir de la tension des deux principes exposés plus haut : une entreprise privée a le droit de vendre ce qu'elle souhaite, l'Etat ne peut interdire une pratique si elle ne contrevient pas à la loi, quand bien même celle-ci n'est pas appréciée par une partie de la population.

A l'étranger, tout cela est regardé avec circonspection. "Une nouvelle fois, la France s'est plongée dans le ridicule en parlant des vêtements que les femmes musulmanes peuvent choisir de porter ou non", écrit Le Washington Post, qui titre : "Un hijab pour les joggeurs musulmans ? En France, c'est un scandale". Le journal américain fait un parallèle avec la polémique du burkini, en 2016, un autre "débat national au goût amer".

Des ministres partagés entre universalisme et liberté individuelle

Au sein du gouvernement, le débat n'est manifestement pas tranché. Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, a estimé mercredi, sur BFMTV, que Decathlon était dans son bon droit. "On est en face de la stratégie commerciale d'une entreprise privée. Il importe que cette entreprise respecte la loi, qui est fondée sur le principe de laïcité mais aussi sur des contraintes comme l'interdiction d'avoir le visage entièrement dissimulé dans l'espace public. A partir du moment où la loi est respectée, je n'ai pas d'autres commentaires à faire. [...] Ce sont les consommateurs qui font leur choix", a-t-elle dit.

La ministre du Travail, Muriel Pénicaud a quant à elle une autre position : "Heureusement qu'ils renoncent", a-t-elle réagi. Même son de cloche chez Gérald Darmanin. "Est-ce que c'est légal ? Oui, c'est légal. Est-ce que ça me choque ? Oui, ça me choque", a fait savoir le ministre du budget sur Europe 1, ajoutant : "Le sport, comme l'école, doit être un lieu où l'on ne regarde pas les questions religieuses. Mais ce n'est pas une question de légalité, c'est une question politique. [...] Je préfère la liberté des femmes à la liberté de commerce".

Mais c'est quoi un hijab ?

Le hijab est un voile qui permet de couvrir à la fois sa chevelure, ses oreilles, ainsi que son cou. Il est généralement porté par des femmes de confession musulmane. "Running" signifiant pour sa part "course" en anglais, "le hijab de running" est donc un voile sensé être adapté à la course à pied, et plus généralement aux diverses activités sportives. En d'autres termes, le "hijab de running" est présenté comme un vêtement permettant aux femmes qui souhaitent porter leur voile en toutes circonstances de pratiquer sans encombre leurs activités sportives. Mardi soir, après 24 heures de polémique, Decathlon a préféré faire marche arrière et ne pas commercialiser son "hijab de running" en France.

Decathlon face à une levée de boucliers

Certaines personnalités publiques et politiques se sont indignées, dès mardi, de voir ce produit prochainement dans les rayons, avant que la marque française ne décide de s'abstenir. "Decathlon se soumet (...) à l'islamisme qui ne tolère les femmes que la tête couverte d'un hijab pour affirmer leur appartenance à la oumma et leur soumission aux hommes", avait dénoncé Lydia Guirous, la porte-parole de Les Républicains, reprochant également à la marque de renier "les valeurs de notre civilisation sur l'autel du marché et du marketing communautaire".

Ce hijab de running a également choqué la Ligue du Droit International des Femmes, qui a publié un communiqué dans lequel Decathlon est accusé de pratiquer un "apartheid sexuel" et de faire "la promotion d'un modèle islamiste féminin". Un communiqué d'ailleurs partagé sur Twitter par Laurence Rossignol, ancienne ministre du Droit des femmes entre 2016 et 2017.

La députée LREM Aurore Bergé y était également allée de son commentaire, jugeant sur Twitter que "ceux qui tolèrent les femmes dans l'espace public uniquement quand elles se cachent ne sont pas des amoureux de la liberté". Ce à quoi le community manager de Decathlon avait répondu : "Le fait est que certaines femmes pratiquent la course à pied avec un hijab, souvent peu adapté. Notre objectif est simple : leur proposer un produit sportif adapté, sans jugement".