Mort de Sylvia Walter : 131e féminicide, la police mise en cause

Mort de Sylvia Walter : 131e féminicide, la police mise en cause FEMINICIDE - Ce mardi 12 novembre, Jacqui Walter a été mis en examen pour "assassinat". Il est accusé d'avoir tué sa femme Sylvia Walter dimanche 10 novembre dans la soirée. La fille de la victime, Stella, arrivée sur le lieu du drame avant les forces de l'ordre, dénonce leur manque de réactivité.

[Mis à jour le 12 novembre 2019 à 20h22] Sylvia Walter, âgée de 40 ans et vivant à Oberhoffen-sur-Moder, avait déjà alerté sur les violences qu'elle subissait. Malgré une main courante déposée il y a deux mois, et une plainte il y a un mois, elle est morte dimanche 10 novembre dans la soirée, poignardée à quatre reprises au niveau du thorax et du cou. Quelques minutes auparavant, elle avait appelé sa fille, Stella, lui demandant de l'aide parce que son conjoint "avait de nouveau caché un couteau". C'est aussi Stella, arrivée au domicile de sa mère avant la police, qui l'a trouvée peu avant qu'elle ne décède. Son mari Jacqui Walter, soupçonné de l'avoir tuée, a tenté de mettre fin à ses jours, avant d'être arrêté par la police. Mardi 12 novembre, le parquet de Strasbourg a demandé sa mise en examen avec mandat de dépôt pour "assassinat". 

Stella estime que la police n'a pas su protéger sa mère

Stella, la fille de Sylvia, a livré un  témoignage émouvant à France Bleu. D'après elle, sa mère était victime de coups depuis trois ou quatre ans et souhaitait divorcer. Elle avait mis plusieurs années avant de déposer une main courante puis une plainte, "par peur et pour le défendre", selon Stella. Le parquet a évoqué le contenu de la plainte déposée par la victime en octobre, à propos de "disputes et de violences légères sans ITT sur fond d'alcool" et de "dégradations de son véhicule".  Le parquet a précisé que "les investigations auront pour objectif de mettre en lumière les circonstances de ce drame familial".  

La jeune femme a dénoncé la lenteur de la police : elle a expliqué avoir mis trois minutes en voiture pour rejoindre le domicile de sa mère, alors que la police - venant pourtant de la même commune qu'elle - a mis "à peu près une demie-heure" pour arriver sur les lieux, tandis que le drame avait déjà eu lieu. De son côté, la gendarmerie a relaté avoir reçu un premier appel à 23h, et n'aurait pas pu repérer à ce moment l'urgence d'une intervention, pensant qu'il s'agissait d'"une simple dispute conjugale".

Le déroulement chronologique des faits

Ce premier appel à l'aide par le gendre de la victime a été doublé d'un deuxième coup de téléphone à la police par Stella elle-même vers 23h10, au cours duquel la jeune femme a mentionné la présence d'un couteau sur les lieux du drame. Elle se serait mise en route en voiture après cet appel aux forces de l'ordre, et aurait mis 3 minutes à parvenir sur les lieux. Les services de communication de la Gendarmerie nationale estiment le délai d'arrivée des gendarmes sur les lieux à 22 ou 23 minutes au plus. A 23h19, les gendarmes ont appris le décès de Sylvia Walter. "J'ai eu le temps d'escalader le portail, de fracturer la porte pour essayer d'entrer, voir ma mère se prendre le dernier coup de couteau dans la carotide. Elle s'est relevée, est venue vers moi et c'était fini", a raconté Stella. A leur arrivée sur les lieux, les gendarmes ont neutralisé Jacqui Walter avec un taser, alors qu'il tenait un couteau à la main et menaçait de se suicider.

"C'est bien beau de porter plainte, mais ça n'aide pas"

"Personne n'a voulu nous écouter, personne n'a voulu nous aider", a déclaré Stella. Le conjoint de Sylvia devait être entendu par les forces de l'ordre en décembre. Les services de la gendarmerie ont dénombré onze interventions pour violences interfamiliales dans tout le département du Bas-Rhin ce soir-là, selon Le Parisien. L'officier de gendarmerie interrogé par le quotidien a déclaré qu'il était donc "difficile de mesurer le degré d'urgence de cette intervention". En outre, les gendarmes étaient déjà intervenus au domicile des époux Walter le 8 novembre dernier, soit deux jours avant la mort de Sylvia Walter, pour des faits de violence conjugale.

D'après la gendarmerie, Sylvia Walter avait refusé de quitter son domicile le 8 novembre, à l'issue de l'intervention des gendarmes. Au micro de France Bleu, la fille de Sylvia a critiqué l'aide inappropriée aux victimes de violences conjugales : "C'est bien beau de porter plainte, mais ça n'aide pas. On lui dit, 'madame il faut que vous partiez', mais elle leur répond 'je suis chez moi aussi, j'ai mon chien, j'ai ma vie ici, je ne peux pas partir'. Alors on la raccompagne sur le canapé et on lui dit bonne nuit madame. Le lendemain, on n'est même pas sûr qu'elle se réveille. C'est ce qui est arrivé cette nuit". Stella elle-même, inquiète pour sa mère, lui avait proposé de l'héberger, sans succès : "Je lui ai demandé plusieurs fois de venir vivre chez moi, elle n'a pas voulu parce qu'elle a un caractère de cochon". 

Sylvia serait la 131e victime de féminicide en 2019

Stella a annoncé vouloir organiser une marche blanche cette semaine pour rendre hommage à sa mère et dénoncer le crime dont elle a été victime. La collectif Nous Toutes, connu pour ses collages de sensibilisation aux violences envers les femmes, a une nouvelle fois interpellé Christophe Castaner et Nicole Belloubet sur les réseaux sociaux, appelant les internautes à signer une pétition

A Lyon, le 5 novembre, quatre femmes ont été arrêtées par la police, en train de coller des messages dénonçant les féminicides sur l'espace public, un procédé que le collectif Collage Féminicides décrit comme "illégal mais légitime". "Nous mettons près de trois minutes à coller nos affiches et les forces de l'ordre réussissent à intervenir dans ce temps record", avait déclaré au Parisien Camille Lextray, une jeune membre du collectif. "Pourquoi ne se déplacent-elles pas si vite quand des femmes en danger les appellent à l'aide ?", avait-elle poursuivi.

"Quand on voit les associations, qui demandent de l'argent et qui n'obtiennent rien, on se dit que le gouvernement ne fait rien, à part de la communication. Quant au système judiciaire, on peut se poser des questions. La plupart des hommes qui ont tué leurs compagnes avaient déjà été condamnés pour des violences. Soit la sanction n'a pas été à la hauteur, soit le suivi à la sortie de prison n'a pas été suffisant," a déclaré Camille Roux, une jeune femme qui faisait partie des quatre "colleuses" d'affiches arrêtées à Lyon le 5 novembre.

En 2018, 121 féminicides avaient été recensés par l'Etat. Sylvia est la 131e femme victime de féminicide depuis le début de l'année 2019, selon le Collectif de Recensement des Féminicides Conjugaux en France, qui a établi une carte des villes françaises où chaque féminicide est marqué par un point rouge :