Les Soulèvements de la Terre : pourquoi sont-ils menacés de dissolution ?

Les Soulèvements de la Terre : pourquoi sont-ils menacés de dissolution ? Le Conseil d'Etat doit rendre son verdict face au recours des Soulèvements de la Terre contre le décret gouvernemental actant leur dissolution. L'exécutif leur reproche leurs appels et leur participation à des violences.

[Mis à jour le 8 août 2023 à 15h44] Les Soulèvements de la Terre tentent d'échapper à la dissolution. Le collectif écologiste attend le verdict du Conseil d'Etat sur un référé du gouvernement demandant la suspension immédiate du mouvement. "Cette bataille juridique, on va en vivre la première étape mardi (...) : ce sera l'examen d'un référé-suspension, une procédure d'urgence qui demande à ce que la mise en application du décret soit immédiatement suspendue", a précisé Basile Dutertre, l'une des voix de ce mouvement selon Franceinfo.

Les Soulèvements de la Terre (SLT) ont été dissous sur une décision gouvernementale prise en Conseil des ministres, le mercredi 21 juin 2023. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, s'est fait porteur de la nouvelle au lendemain de son annonce devant l'Assemblée nationale. C'est au titre de "groupement de fait" caractérisé à l'article L212-1 du code de la sécurité nationale que la dissolution a été prononcée. Depuis, les avocats des SLT ont déposé "deux requêtes au Conseil d'Etat pour contester la dissolution du mouvement", "un référé qui sera jugé rapidement et permettrait de suspendre la dissolution en urgence" et un "recours au fond qui sera jugé plus tard, mais qui statuera définitivement sur la dissolution ou non des Soulèvements de la Terre" selon un communiqué des SLT. La décision de ce mardi 8 août répond au premier recours.

Entamée le 28 mars, la procédure de dissolution a patiné de longs mois faute "d'éléments pour [la] justifier" selon Me Aïnoha Pascual, avocate du collectif auprès de Franceinfo. La dissolution ne serait pas plus justifiée aujourd'hui à en croire l'avocate et son confrère Me Raphaël Kempf. Selon eux et les nombreux soutiens du collectif, parmi lesquels des élus de la gauche, la dissolution des SLT est une "remise en cause des libertés d'association, de manifestation, d'expression, ainsi que des droits de la défense" pour citer la Ligue des droits de l'homme.

Comment le gouvernement peut-il dissoudre le mouvement ?

"Aucune cause ne justifie qu'on blesse des policiers et des gendarmes", a lancé le ministre de l'Intérieur pour justifier l'annonce de la dissolution des Soulèvements de la Terre. Un discours qui questionne le bien fondé des motivations de l'exécutif et rapidement temporisé par le porte-parole du gouvernement, Oliver Véran : "On ne dissout pas une association en fonction de ses idées, on la dissout parce qu'il y a des exactions ou de la mise en danger de la sécurité publique, c'est le cas ici". Mais comment comptent-ils faire ?

Les SLT n'ont pas d'existence juridique en tant qu'association, ils sont simplement rattachés à l'association pour la Défense des Terres par laquelle ils obtiennent des dons et sont financés. Dissoudre cette asso créée en 2021 à Notre-Dame-des-Landes aurait pu mettre un frein aux campagnes menées par le collectif radical. Mais le gouvernement a préféré dissoudre les Soulèvements de la Terre en tant que groupement de fait. Une procédure permise par l'article L212-1 du code de la sécurité intérieure et qui prévoit la dissolution des groupes qui "provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens". Ce sont en effet les débordements violents observés lors des précédentes mobilisations organisées par les SLT qui ont motivé la décision du ministre de l'Intérieur. Lequel avait qualifié les militants du collectif d'"écoterroristes" après les incidents de Sainte-Soline ou printemps 2023.

Les Soulèvements de la Terre se mobilisent contre la dissolution

Après l'annonce de Gérald Darmanin sur la dissolution des SLT lors de la session des questions au gouvernement le 20 juin, la réaction du mouvement écologique radicale ne s'est pas faite attendre. Le mouvement a dénoncé "une dissolution très politique et particulièrement inquiétante réclamée directement au chef de l'Etat par l'agro-industrie et la FNSEA". Le mouvement a estimé que la procédure de dissolution "bafouent les droits de la défense" en raison de délais jugés trop courts. Maître Ainoha Pascual a dénoncé, auprès de Franceinfo,  une décision "motivée politiquement sous la pression de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles)".

Fort de 110 000 membres déclarés d'après ses propres déclarations, le mouvement SLT appellent ses partisans à rejoindre le collectif qui promet de continuer à vivre malgré la dissolution. L'organisation a assuré le maintien des prochaines actions prévues et a salué le soutien garanti par plusieurs médias alternatifs ou de gauche, par des antennes internationales. Un soutien juridique continue d'être assuré auprès du collectif, précise également le mouvement sur Twitter.

Pourquoi Les Soulèvements de la Terre sont-ils dissouts ?

Les Soulèvements de la Terre se sont fait un nom en bloquant plusieurs lieux de production de Lafarge et Eqiom, des poids lourds du ciment. Mais c'est surtout la manifestation de Sainte-Soline qui les a fait connaître au plus grand nombre. Après les violents affrontements autour de la mégabassine en construction dans les Deux-Sèvres, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, indiquait devant l'Assemblée nationale son intention de dissoudre ce collectif.  Ses motifs ? "Plusieurs exactions fortes contre les forces de l'ordre, plusieurs destructions de biens, des centaines de gendarmes ou de policiers blessés, plusieurs appels à l'insurrection."

Les mobilisations organisées à l'encontre de zones agricoles, notamment de serres expérimentales, à Nantes le 10 juin, ont accéléré le processus de dissolution. Avec ces agissement, le collectif s'est attiré les foudres du Giec puisque l'autorité scientifique qui alerte sur le réchauffement climatique a dénoncé la dégradation des expériences censées repenser les modèles de production de demain pour les rendre plus écologiques. Une position qui a été remarquée, puisque qu'en dehors de ce cas les SLT sont soutenus par la coprésidente du Giec, Valérie Masson-Delmotte. 

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Quelles associations font partie des Soulèvements de la Terre ?

Les Soulèvements de la Terre réunissent plusieurs groupes écologistes, dont des membres de l'ancienne ZAD de Notre-Dame-des-Landes en Loire-Atlantique. L'organisation créée en 2021 rassemble ainsi des associations comme Extinction Rebellion, Attac France, les Amis de la Terre ou la Confédération paysanne pour les plus connues. De fermes partenaires et des noms issus du monde de la recherche font aussi partie du combat de l'organisation.

Le collectif affiche clairement son but : "construire un réseau de luttes sociales tout en impulsant un mouvement de résistance et de redistribution foncière à plus large échelle", selon son texte fondateur. Benoît Feillu, l'un des porte-parole des Soulèvements de la Terre, détaille l'action de ce collectif au Monde : "Cette coalition s'est donnée pour but d'intervenir sur deux aspects : l'artificialisation des terres d'un côté et leur accaparement par l'agro-industrie de l'autre." "On s'est donné comme méthodes d'action, à la fois la possibilité d'aller occuper des terres, mais aussi de pouvoir intervenir sur des chantiers, sur des infrastructures qu'on juge responsables du désastre écologique pour démonter ces infrastructures", explique le porte-parole. Il poursuit en défendant cette méthode : "On juge qu'il y a une urgence climatique absolue et qu'il y a une inaction environnementale du gouvernement qui est absolument catastrophique." 

Comment fonctionnent le groupe de militants écolos ?

Ils communiquent via un calendrier coupé en saisons. A chaque année, une saison de mobilisation, la "saison 5" est encoure depuis le 25 mars 2023 et jusqu'au 31 août 2023. Ils seront ainsi présents dans le plateau du Larzac au mois d'août et dans la vallée de la Maurienne à partir du 17 juin pour protester contre le projet ferroviaire Lyon-Turin.

Récemment, le groupe a fait parler de lui lors d'une opération près de Nantes. Le but était de protester contre l'exploitation de sable au profit du BTP. Mais des terres agricoles ont été saccagées durant la manifestation. Des serres expérimentales de la Fédération des maraîchers nantais ont été vandalisées en quelques minutes. Des dégradations qui ont choqué au sein même du mouvement écologiste, car ces serres servent de laboratoires avec des cultures sans pesticides par exemple.

Leurs principales actions visent l'agro-industrie, la privatisation des sols et leurs artificialisations. Ils se présentent comme "des jeunes révoltés qui ont grandi avec la catastrophe écologique en fond d'écran et la précarité comme seul horizon. Nous avons lutté contre la loi travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l'apocalypse climatique." Leurs actions sont majoritairement illégales, le collectif ne s'en cache pas en expliquant que "se contenter de tribunes, de pétitions, de manifs-promenades" n'est plus possible face à l'urgence climatique.

Des méthodes proches des blacks blocs selon Gérald Darmanin

Le Parisien, via une note des renseignements territoriaux, avance que "le noyau dur des Soulèvements de la Terre, composé initialement de stratèges d'ultragauche, s'est progressivement élargi à des militants issus de collectifs environnementaux, comme le groupe de désobéissance civile Extinction Rebellion, au sein duquel de nombreux membres, progressivement désabusés par les manifestations et actions de désobéissance civile jugées stériles, sont enclins à basculer dans la radicalité".

Ils sont ainsi comparés au mouvement black bloc, visible dans les manifestations, car leurs militants n'hésiteraient pas " à affronter les forces de l'ordre pour commettre leurs exactions (dégradations, intrusions, sabotages…) équipés de masques à gaz, parapluies, et armés de pierres, mortiers, cocktails molotov, boules de pétanque."

Face à la menace d'une dissolution, les Soulèvement de la Terre restent de marbre. "On voit mal comment Darmanin pourrait dissoudre un mouvement, nous ne sommes pas une association ou un collectif", souligne Basile Dutertre, porte-parole, auprès de BFMTV.