Voir "Rebelle", comprendre "Brave"

C'est désormais une tradition établie, chaque été nous gratifie de soleil (en principe), de détente et ... d'un film Pixar. Assez bon cru cette année avec "Rebelle", "Brave" en VO, qui rassure quant aux capacités des studios Pixar après le passage à vide de "Cars 2" l'année dernière.

Merida, princesse héritière d'un royaume écossais de temps immémoriaux,  rêve de changer son trop sage destin, de mener une vie aventureuse plutôt qu'une existence protocolaire ... L'image des deux grandes oreilles du logos de l'oncle Walt vous reviennent déjà malgré vous en tête, et vous commencez à vous sentir floué par l'usage abusif des Highlands, d'une ambiance sombre et d'une chevelure rousse pour la promo du film ... Soufflez un coup, Rebelle reste un Pixar, malgré quelques changements insidieux apportés à l'ADN ayant valu tant de fans aux studios à la petite lampe.

Rebelle était justement attendu comme tout film Pixar qui se respecte, pour sa qualité intrinsèque, mais aussi pour une finesse universelle qu'aucune autre maison de production actuelle ne semble en mesure de fournir. Seulement, depuis que Pixar est entièrement passé sous contrôle du tentaculaire empire Disney, usine à gaz fonctionnant principalement au merchandising, l'incertitude s'était immiscée dans les coeurs. Et la coquille vide Cars 2 (comprendre comme toujours visuellement irréprochable, mais tristement plat) n'était pas venue rassurer ... 

Rebelle semble d'abord subir, il est vrai, une certaine influence pas spécialement positive. Au-delà de quelques chansons, ni envahissantes ni mémorables, le film navigue entre une certaine prévisibilité et une simplicité frôlant le didactisme, voir l'infantilisme. De la part d'un studio qui nous avait habitués à ne pas déprécier le coeur de son public et à mettre à profit les accompagnateurs, adultes, de ce même public, cela souffle le chaud et le froid. Et l'histoire initiatique de la réalisatrice Brenda Chapman manque malheureusement de ce qu'il faut à la fois d'introspection et d'originalité pour marquer son but. 

Heureusement, ce mal est endigué par un traitement de choc, répondant au doux nom de Merida. Première héroïne rousse connue de l'histoire du dessin animé (en faisant abstraction d'une autre jeune fille, tricheuse de part sa couleur capillaire probablement artificielle, venue du fond des mers, consternante de bêtise, estampillée Disney, et dont nous tairons le nom afin de protéger son identité), Merida dynamite tous les principes du genre. Car pour son premier héros féminin, Pixar frappe fort : brave avant d'être rebelle, fine archer et cavalière dynamique faisant preuve d'initiative, Merida est tout ce qu'une princesse n'a jamais été de façon crédible dans un film, même plus adulte.

Le talent de Pixar concernant la création d'un univers aussi personnel que drolatique est lui aussi toujours vivace ; nous en avons pour preuve une kyrielle de personnages secondaires tous plus pittoresques les uns que les autres. Drôle de mot "pittoresque", mais il correspond tout autant que le terme "drôle" à cet aréopage singulier qui fluctue avec Merida au cours du film, bien qu'il reste souvent étrangement plus en retrait. De sa mère la Reine Elinor à son père le Roi, avec ses trois jeunes triplets de frères, les chefs de clans et les prétendants, tout ce beau monde se tient à sa place. Une place qui est au passage le refuge d'une autre valeur sûre de Pixar, un humour acerbe et parfois... osé, comme justement on le trouve avec bonheur dans Rebelle

Plus étonnante et impressionnante encore a été la capacité de Pixar à créer un univers plus "sombre" qu'à l'accoutumée. Entretenus par une esthétique stylisée, nimbés de brume, magnifiés par des couleurs contrastées entre les clairs brûlants et les froids obscurs, les Highlands d'Écosse apparaissent comme un cadre on ne peut mieux choisi. Devenus superbement "ciné-géniques" par le génie des studios Pixar, les paysages écossais baignent le film d'une tonalité grave et mature que son histoire ne lui permet malheureusement pas d'atteindre. 

Car force est de constater que bien qu'on essaie de juger Brave pour lui-même, le personnage en prise avec ses conflits émotionnels, et qui faisait toute la force des pépites Pixar, a ici disparu. À la place, les réalisateurs ont substitué depuis longtemps le psychodrame familial à l'épopée aventureuse et tourmentée, donnant quelque chose tenant plus de la morale finale que de la réflexion de fond. Ce qui reste cependant appréciable, surtout dans une conjoncture où l'indigence philosophique est de mise dans le cinéma d'animation et le cinéma en général. La conclusion n'en est que plus évidente : Rebelle n'est pas le meilleur Pixar, loin de là, mais n'est certainement pas un mauvais film.