"Depuis le Covid, il était important de parler de l'anxiété des adolescents" : les créateurs de Vice-Versa 2 se confient

Avant la sortie de "Vice-Versa 2" au cinéma ce mercredi 19 juin, le réalisateur Kelsey Mann et le producteur Mark Nielsen se sont confiés sur la création du film en interview à Linternaute.
Que se passe-t-il dans le cerveau des adolescents ? Un peu d'envie et d'ennui, beaucoup d'embarras... Et une bonne dose d'anxiété. C'est ce que raconte Vice-Versa 2, dernier film des studios Pixar. La suite du film événement sorti en 2015 arrive enfin dans les salles de cinéma françaises ce mercredi 19 juin 2024, alors qu'il a déjà battu le record du meilleur démarrage d'un film d'animation au box-office mondial.
Il faut dire que le premier épisode, réalisé par Pete Docter (Soul, Là-haut, Montres & cie), qui racontait les tourments de Riley, une jeune fille après un déménagement en incarnant le chaos de ses émotions internes sous la forme de personnages, avait été un succès critique et populaire. Pour ce second épisode, Riley est entrée dans l'âge ingrat et confrontée à de nouvelles émotions parfois violentes. A la réalisation, c'est Kelsey Mann qui prend le relai, épaulé du producteur Mark Nielsen, pour raconter l'entrée de Riley dans l'âge ingrat. Le duo était présent au Festival du film d'animation d'Annecy pour présenter ce nouvel opus très attendu au public. Linternaute les a rencontrés pour évoquer les coulisses de la création de ce film.

Vice-Versa 2 raconte les chamboulements qui se déroulent à l'adolescence. Mais loin des clichés habituels, vous avez choisi de mettre l'accent sur l'anxiété et la pression sociale que l'on ressent à cet âge-là. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Kelsey Mann (réalisateur) : Je suis quelqu'un qui aime faire des listes, c'est comme ça que je réfléchis : j'ai donc listé toutes les nouvelles émotions possibles qui pourraient apparaître maintenant que Riley est adolescente. L'anxiété figurait sur cette liste, et j'ai été immédiatement attiré par elle. Au moment où j'ai commencé à travaillé sur ce film, en janvier 2020, j'ai fait beaucoup de recherches sur ce que vivaient les adolescents. C'était avant la pandémie, l'anxiété était déjà en augmentation chez les adolescents, en particulier chez les filles. Puis il y a eu la pandémie de Covid-19, et l'anxiété chez les adolescents est devenue beaucoup plus grave... Autant chez les adolescents que chez les adultes d'ailleurs ! Alors que nous avions déjà décidé que cela valait la peine de raconter cette histoire, nous nous sommes rendu compte depuis le Covid que c'était désormais primordial de se concentrer sur cette émotion.
"Un groupe d'adolescentes a apporté de l'authenticité à l'histoire que nous racontions"
Vous avez demandé à un panel d'adolescentes de vous aider dans l'écriture du personnage...
Kelsey Mann : Oui, c'était "l'équipe de Riley" !
Exactement. Quel a été leur impact sur l'écriture du film ?
Mark Nielsen (producteur) : Elles ont surtout apporté de l'authenticité à l'histoire que nous racontions. Nous les avons réunies tôt, il y a trois ans et nous avons partagé chaque version du film avec elles, nous les avons traitées comme un comité consultatif. Déjà, tous les quatre mois, nous montrions le film à un groupe de cinéastes de Pixar et nous recueillions leurs notes et réflexions. Et on a fait pareil avec elles, nous leur présentions le film et nous leur posions plusieurs questions : à quoi vous identifiez-vous ? Y a-t-il quelque chose qui vous a gêné et qui ne semble pas authentique ou réaliste ? Quelles émotions avez-vous le plus ressenties ? A quoi ne vous êtes-vous pas identifiées ? Elles nous ont aidés à façonner le film de manière subtile, en nous donnant simplement leur réaction authentique et sincère à ce que nous leur présentions, ce qui nous a aidés à déterminer ce qui restait et ce qui disparaissait.
Y a-t-il des éléments de l'intrigue qu'elles ont modifiés par rapport à vos idées originales ?
Kelsey Mann : Probablement... (réfléchit) Probablement des dialogues horribles que nous avions écrits, et où elles nous disaient : "mais personne ne dit ça !" (rires).
Mark Nielsen : Elles nous ont définitivement aidés avec les dialogues...
Kelsey Mann : J'aimerais pouvoir me souvenir spécifiquement de ce que c'était... Parfois, on est tellement embarrassé qu'on oublie immédiatement ce qui vient de se passer (rires).
Je comprends. Surtout face à des ados.
Kelsey Mann : (rires) Oui, complètement !

C'est Adèle Exarchopoulos qui incarne Ennui en version originale (et en VF du coup). Pourquoi avoir choisi cette actrice française ?
Kelsey Mann : Dans notre version aussi, ce personnage s'appelle "Ennui" (et pas "Boredom", ndlr) et elle est française !
Mark Nielsen : Adèle est incroyable avant tout. Et nous aimons sa voix. Tout est dans la voix ! Nous avons rencontré notre département de casting et nous avons exigé : "nous voulons que l'actrice qui joue Ennui soit française, alors revenez seulement avec des actrices françaises".
Kelsey Mann : Nous ne voulions pas quelqu'un qui puisse imiter un accent français, nous voulions quelqu'un qui en ait un qui soit authentique.
Mark Nielsen : On nous a fait écouter environ 30 voix d'actrices françaises sans nous donner leur identité. Et nous regardions les images du design du personnage tout en écoutant les voix, puis nous nous sommes fixés sur celle qui fonctionnait le mieux. Celle d'Adèle. Puis ils nous ont dit : "Oh, vous savez qui c'est ?" et nous étions comme ça : "Wow ! Sans blague ?!"
Kelsey Mann : Et puis on leur a demandé : "mais pensez-vous que nous pouvons l'avoir pour ce film ?"
Mark Nielsen : "Est-ce que vous pensez qu'elle accepterait ?"
Kelsey Mann : Et heureusement, elle a dit oui.
"Si mon propre stress prenait le dessus, je serai incapable d'être créatif"
Le premier épisode de Vice-Versa est devenu un grand classique de chez Pixar. Vous avez ressenti une certaine pression à travailler sur cette suite ?
Kelsey Mann : Non, jamais, pas un seul jour (rires).
Mark Nielsen : (rires) Peut-être un peu...
Kelsey Mann : Peut-être un peu. Ce n'est pas pour rien que j'ai fait un film sur l'anxiété ! J'ai essayé de retenir les leçons du film à ce sujet et de les appliquer à ma propre vie. Il était important pour nous que les problèmes de Riley ne soient pas facilement résolus à la fin de l'histoire et qu'elle n'ait plus jamais à faire face à ses problèmes d'anxiété parce que dans la vraie vie, c'est une émotion avec laquelle il faut constamment apprendre à composer. Moi compris, car si je me laissais submerger par la pression, elle me bloquerait complètement. Si mon propre stress prenait le dessus, je serai incapable d'être créatif. Je dois aborder le processus créatif avec de la joie. Même si un peu d'anxiété m'aide. J'aime avoir une date limite pour être honnête, pour être sûr de rendre mon travail !
Mark Nielsen : Et j'aime donner des délais, donc cela a parfaitement fonctionné pour nous !
Kelsey Mann : C'est pour ça que nous formons une bonne équipe.

Et justement, comment est-ce qu'on réussit à réaliser un film aussi ambitieux lorsqu'on souffre d'anxiété ?
Kelsey Mann : On peut choisir de se laisser paralyser par la pression ou on peut se dire : "cette opportunité est incroyable". Si je pouvais revenir en arrière et dire à mon moi de 10 ans que l'opportunité de réaliser Vice-Versa 2 allait se présenter, ce petit garçon en serait très excité et très heureux. Et c'est ce sentiment dont je dois me souvenir chaque jour quand j'entre dans le studio. Et je l'ai vraiment ressenti ! Il y avait certainement de la pression, et chaque film chez Pixar est très difficile à faire, mais si vous arrivez au boulot le matin avec un sentiment de joie, c'est là que le succès va venir.
Mark Nielsen : C'est aussi grâce à la passion de notre équipe : toutes les personnes qui ont travaillé sur le film adorent Vice Versa, et nous avons recruté uniquement des personnes qui l'aimaient vraiment et voulaient se donner à fond pour une suite qui en valle la peine. Tout ça, c'est évidemment grâce au talent de notre équipe.