Taika Waititi : "J'avais la responsabilité de faire Jojo Rabbit" [Interview]

Taika Waititi : "J'avais la responsabilité de faire Jojo Rabbit" [Interview]

JOJO RABBIT - Taika Waititi et Carthew Neal se sont lancés un défi ambitieux avec Jojo Rabbit, en salles le 29 janvier 2020. Le réalisateur et le producteur ont répondu à nos questions.

Taika Waititi (Thor 3) s'est lancé dans un projet aussi loufoque qu'ambitieux : réfléchir par le prisme de la comédie aux rouages de l'endoctrinement. Cela donne Jojo Rabbit, fable absurde et pleine de tendresse se déroulant dans l'Allemagne nazie, durant la Seconde guerre mondiale. Dans son dernier film, en salles ce mercredi 29 janvier 2020, le spectateur suit un jeune Allemand âgé de dix ans, dont l'ami imaginaire est Adolf Hitler. Mais sa vision du monde va être totalement chamboulée lorsqu'il découvre que sa mère cache une jeune fille juive dans leur grenier. Au cours de leur venue à Paris en janvier, Taika Waititi et Carthew Neal, respectivement réalisateur et producteur de Jojo Rabbit, ont accepté de répondre à nos questions sur le pouvoir de l'humour, ainsi que sur l'importance de continuer de raconter les événements de la Seconde guerre mondiale.

Taika Waititi, qu'est-ce qui vous a poussé à faire ce film ?

Taika Waititi, réalisateur, scénariste et acteur de Jojo Rabbit : Je voulais faire un film plus important que ceux que j'avais fait auparavant. Sur Jojo Rabbit, j'avais l'impression qu'il y avait un propos à développer sur les enfants et la manière dont ils perçoivent le monde, surtout en temps de guerre. C'est quelque chose que je n'avais jamais envisagé : le comportement des adultes est observé, scruté et jugé par les enfants. Et dans beaucoup de cas malheureusement ça influe aussi sur l'adulte qu'ils deviennent en grandissant. J'avais la responsabilité de faire ce film.

Et vous Carthew Neal, pourquoi avoir accepté d'accompagner un tel projet ?

Carthew Neal, producteur de Jojo Rabbit : Le script de Taika [Waititi, ndlr] était magnifique : j'ai déjà travaillé avec lui et ces oeuvres ont toutes cet humour et ce "cœur". Je pense que tous ses films ont mené à Jojo Rabbit. C'est l'un des sujets les plus importants que Taika [Waititi, ndlr] ait abordé, et je pense que c'était le bon moment de le faire. Le monde change, on voit de plus en plus de haine dans le monde, cela devenait de plus en plus pertinent de faire ce film, malheureusement.

Taika Waititi (à gauche) et Roman Griffin Davis (droite) © Kimberley French / 20th Century Fox

Jojo Rabbit a-t-il été compliqué à créer et à produire ?

Carthew Neal : Tous les films sont durs à monter. Et ce sujet était sensible. D'ailleurs, Taika jouant une version imaginaire d'Adolf Hitler, il restait très prudent au moment du tournage. Il n'était pas en train de se balader dans les rues, il ne voulait pas se faire pousser la moustache et la porter tous les jours. Il la mettait seulement devant la caméra.

Taika Waiti : Je n'ai pas suivi la Méthode.

Carthew Neal : Donc évidemment, tout au long du processus, on a testé le film, encore et encore, pour être sûr que le ton soit juste et que le message soit clair.

La Seconde guerre mondiale s'est déroulée il y a presque 80 ans : pourquoi un film sur ce conflit reste toujours d'actualité ?

Taika Waititi : Certaines personnes pensent qu'on a fait suffisamment de films sur la Seconde guerre mondiale… mais l'année dernière, le Guardian a sorti une étude qui montre que 41 % d'Américains et 66 % de jeunes Américains ne savent pas ce qu'est Auschwitz, et n'ont pas entendu parler des camps. Il y a donc des jeunes qui naissent, grandissent et vont diriger le monde sans avoir aucune idée de ce qu'est l'Holocauste. Ça m'inquiète beaucoup... En France je crois que les chiffres sont de 12 % et ça s'est passé à côté de chez vous pourtant. Si ces chiffres sont exacts, il est important de continuer de raconter ces histoires, d'éduquer et d'enseigner cette histoire, pour nous-même et pour nos enfants. C'est important pour nous que Jojo Rabbit puisse être vu par des jeunes gens. L'échange autour des événements de la Seconde guerre mondiale doit continuer, il faut faire en sorte que tout le monde reste conscient de ce qu'il s'est passé.

Jouer Hitler, c'était compliqué ?

Taika Waititi : (hésite) Ce n'était pas vraiment dur de faire l'accent… et ce n'était pas difficile d'en faire un personnage clownesque. Ce qui a été compliqué pour moi, c'était surtout les vêtements qui étaient très inconfortables. Les bottes arrivaient jusque-là [il montre ses genoux, ndlr] : j'avais des gens qui devaient m'aider à les mettre et à les enlever ! Je me demande si Hitler avait besoin d'aide lui aussi…
Carthew Neal : Je suis sûr que oui !
Taika Waititi : Je pense oui… Mais surtout, quand tu ressembles à Hitler, tu ne te sens pas à l'aise… J'étais incroyablement embarrassé dans ce costume.

"L'humour est un outil majeur pour combattre les tyrans, les fascistes, les dictatures." 

Taika Waititi, réalisateur de Jojo Rabbit

Vous avez déclaré que la condition pour que la Fox produise Jojo Rabbit, c'était que Taika Waititi joue lui-même Hitler. Pourquoi ça ?

Carthew Neal : Si on avait eu n'importe quel autre acteur, une célébrité, ça aurait fait une vraie différence sur le film. Taika ne joue pas une vraie version d'Hitler, il jouait une version d'Hitler sortie de l'imagination d'un enfant de 10 ans. Taika Waititi est probablement l'une des seules personnes capables de jouer ça : une version d'Hitler de 10 ans (rires).

Pourquoi avoir choisi d'aborder l'endoctrinement nazi sur le ton de la comédie ?

Taika Waititi : Il faut qu'on continue de se moquer des nazis, ça leur enlève leur pouvoir. On sait tous qu'ils étaient brutaux, calculateurs, des personnes terribles, beaucoup de personnes savent ce qu'ils ont fait mais… 80 ans plus tard, c'est important de trouver des façons différentes de raconter ces événements. Si on ne faisait que des drames, je pense que les gens déconnecteraient et arrêteraient d'écouter. On a essayé d'abordait cette histoire que l'on connaît d'une façon nouvelle et unique. Et je pense que la comédie lui donne plus de force. L'humour est un outil majeur pour combattre les tyrans, les fascistes et les dictatures, c'est la raison pour laquelle on a choisi la comédie.

Jojo Rabbit - sortie cinéma le 29 janvier 2020