Cynthia Reberac : "la popularité du FIJ ne peut que croître, un joueur sommeille en chacun de nous"

Cynthia Reberac : "la popularité du FIJ ne peut que croître, un joueur sommeille en chacun de nous" Le Festival International du Jeux de Cannes, le FIJ s'est imposé au fils des ans comme un temps fort du monde ludique et même au-delà. Cynthia Reberac, la commissaire générale du festival, revient sur l'organisation du second plus gros salon dédié aux jeux de société d'Europe, et les perspectives à moyen terme.

Depuis sa création en 1986, le Festival International des jeux de Cannes (FIJ pour les intimes) n'a cessé de progresser aussi bien en termes de popularité et de notoriété qu'en termes d'organisation. Cynthia Reberac, la Commissaire générale du festival depuis 2020, explique à l'internaute comment ce festival est devenu non seulement le second plus gros salon de Cannes, mais s'est aussi imposé comme une référence incontournable en Europe dans l'univers ludique. À l'occasion de l'édition de 2024 (du 23 au 25 février 2024 pour le grand public), elle partage avec LInternaute.com les perspectives et aspirations du festival pour les années à venir.

Linternaute.com : Aujourd'hui, quelle est la place du FIJ dans l'écosystème "ludique" ?  

Cynthia Reberac : Le Festival International du Jeux de Cannes est le second plus gros festival d'Europe, derrière celui d'Essen en Allemagne, et le premier en France.

© Palais des festivals de Cannes.

Comment ce festival a-t-il réussi à s'imposer ? 

Il faut remonter un peu dans le temps. La première pierre, c'est la question d'organiser un événement en février à Cannes qui est arrivée en 1985. C'était une période un peu morne en termes de tourisme et de retombées commerciales. Il fallait trouver une idée pour dynamiser l'économie locale, attirer des visiteurs dans notre belle ville de Cannes.

C'était l'âge de pierre du jeu de société en 1985, on était à des années-lumière de la popularité dont bénéficie le médium aujourd'hui. On a alors débuté avec des olympiades des jeux de l'esprit : échecs, scrabble, etc. Et au fil des années, nous avons su suivre les tendances et répondre aux attentes des visiteurs et de la société.

Nous avons même essayé pendant un moment de nous ouvrir aux jeux vidéo et même aux mangas, mais ce n'est pas du tout le même métier. Nous avons su revenir et nous concentrer sur ce socle qui fait notre singularité : les jeux de société.

Qui vient à ce festival ? 

 Tout le monde vient à ce festival. Et je ne dis pas ça en exagérant, nous avons des visiteurs de tout âge, bien au-delà du fameux spectre de 7 à 77 ans popularisé par les jeux de société. Selon les années nous avons entre 300 et 500 auteurs de jeux, qui sont officiellement inscrits en tant que créateurs. D'ailleurs le site de référence board game geek nous a reconnus comme le plus grand rassemblement d'auteurs de jeux de société au monde.

C'est en voyant ce nombre impressionnant de créateurs inscrits que nous avons pris la décision de les accompagner avec les nuits du off mais aussi au-delà.

En 2017 nous avons créé le protolab, en 2022 nous avons amélioré ce dernier avec la mise en place de masterclass dédiées aux auteurs de jeux, une plénière d'une demi-journée avec les plus grands game designers, illustrateurs, des éditeurs et aussi des membres du jury de l'As d'Or.

Bien sûr, nous avons aussi la quasi-totalité des éditeurs de jeux qui sont présents. D'ailleurs pour l'édition 2024, pour la première fois depuis la création du festival nous avons refusé des exposants, tous les espaces sont pleins.

© Palais des festivals de Cannes.

Comment avez-vous découvert et accompagné la venue des auteurs ?

  On s'est aperçu vers 2015 que des auteurs venaient démarcher pro activement les éditeurs et que des contrats pouvaient se signer sur un coin de table. Dès 2016 nous avons proposé des journées pro, pour faciliter ces échanges. Aujourd'hui il y a plus de 2 500 professionnels accrédités. Des responsables de boutiques spécialisés, des acheteurs de grandes surfaces, des auteurs pro ou aspirant, des illustrateurs, toutes les typologies de professionnels.

En France il y a plus de 900 boutiques spécialisées, toutes n'ont pas l'opportunité de voir tous les éditeurs. Nous avons par exemple des équipes d'enseigne comme Cultura ou la Fnac qui viennent avec des vendeurs d'espace jeux de société afin d'être formé à l'usage d'un jeu ou d'un autre par les équipes des éditeurs lors des journées pro.

Aujourd'hui le FIJ est le premier festival professionnel du jeu, et le second en termes de visiteurs grand public. La popularité du FIJ ne peut que croître, après tout, un joueur sommeille en chacun de nous.

© Palais des festivals de Cannes.

Comment attirer ces joueurs qui s'ignorent ?

C'est la question que nous nous sommes posée (rires). Cette année nous essayons d'ouvrir le champ des possibles en proposant des activités en dehors du palais des festivals. Cela peut être intimidant de se dire " si je vais à un salon du jeu, il n'y aura que des joueurs aguerris, je n'y ai pas ma place". Nous voulons effacer cette idée reçue, montrer que les jeux, sous toutes leurs formes, sont des objets culturels fédérateurs. Alors, cette année nous aurons des concerts en ville, des chants, de la danse, tout cela saupoudré de jeux bien entendu. L'idée est de montrer que les joueurs sont ouverts à de nombreuses tendances artistiques et fédérer tout le monde autour de ces dernières.

Aujourd'hui, comment s'organise l'équipe du FIJ à l'année ?

Je suis la seule employée permanente à l'année. Pendant six mois je suis rejointe par six collègues : deux chefs de projets, deux régisseurs et deux commerciaux. Et dans les mois qui précèdent l'évènement nous avons des renforts plus conséquents.

© Palais des festivals de Cannes.

Cela semble peu de monde pour un si grand salon. D'ailleurs le salon en quelques chiffres, ça donne quoi ?

Les chiffres peuvent en effet donner le tournis. On peut partir du plus petit, à savoir 150 agents de sécurité / pompiers. En 2023 c'est plus de 73 000 visiteurs. Pour 2024 nous avons 300 stands (exposant, animation, tournois), sur une surface de 45 000 m2, soit l'équivalent de sept terrains de football.

Cette année nous avons dix conférences et plusieurs expositions aussi.

En 2023, il s'est vendu 87 000 boîtes de jeu au quotidien.  

Le marché du jeu s'est restructuré avec beaucoup de fusions et rachats ces dernières années, comment cela impacte la gestion du salon ?

C'est assez à la marge et cela dépend. Par exemple, quand Média Participations a racheté Iello, il s'agit d'un nouvel entrant dans le secteur ludique. Donc de nouvelles personnes à rencontrer, des rendez-vous, des explications à donner. C'était un peu pareil quand Hachette livre a racheté Gigamic, le scorpion masqué, etc. Il y a des problématiques logistiques supplémentaires les premières années, mais vraiment aucune complication de fond.

Le marché reste-t-il dynamique ?

Tout à fait, si l'on regarde l'étude de NPD Group, le CA monde du Jeu de Société est passé à 588 millions en 2023, soit 2% de perte par rapport à 2022. Mais c'est un atterrissage qui était prévu après le bond des années covid et post-covid. Sans compter la crise économique qui provoque une hausse des coûts et réduit le pouvoir d'achat. Si l'on compare avec 2019, on est à 7% d'augmentation du CA. En 2023, il s'est vendu 87 000 boîtes de jeu au quotidien. 

Si l'on regarde par exemple les financements participatifs, ces derniers n'ont pas diminué, au contraire. On constate même que des gros acteurs du monde du jeu de société profitent de l'engouement du FIJ pour lancer leurs campagnes de financement participatif.

Les tendances évoluent avec les années. Mode du puzzle, jeux à deux, jeux avec plateaux géants… Comment ces évolutions influent sur le salon ?

On essaye d'améliorer l'organisation pour fluidifier les déplacements des visiteurs. On s'est aperçu que scinder les offres adultes et enfants n'était pas le meilleur des choix. Et ceci est un corollaire de l'évolution des jeux. Avant, les enfants jouaient seuls aux jeux pour enfants. Aujourd'hui il y a des jeux pour enfants, dès 3 ans, auxquels les adultes peuvent prendre part. Il y a eu un énorme travail des éditeurs, aussi bien sur l'adaptation de mécanismes de jeux que sur le travail des illustrations. Je pense à Super Miaou, nommé aux as d'or enfant 2024.

On essaye de faire coexister tous ces jeux qui ont des approches différentes. Des jeux de figurines où les parties durent des heures aux jeux d'apéro qui durent 15 minutes, en passant par les jeux de cartes comme Lorcana. Tout cela attire un public différent et qui n'ont pas le même rythme de déambulation dans le festival.

On a décidé de remanier les espaces. 2024 est l'année où nous pouvons enfin vous annoncer une refonte complète de l'organisation des flux de circulation. C'est un travail au long cours… J'avais besoin de l'appui d'Asmodée, le plus gros éditeur du marché, pour pouvoir lancer cette refonte. Leur proposer de quitter leurs espaces historiques pour aller dans un nouveau hall et driver différemment les flux des visiteurs. Cela a pris trois ans de négociation. J'espère que ce nouveau zoning plaira à tous les visiteurs.

Pour qu'un salon fonctionne, on ne peut pas imposer les modifications, nous ne sommes pas dans une dictature.

Vous travaillez toujours sur des temps aussi longs ?

Cela dépend des sujets. Par exemple, les jurys de l'as d'or sont choisis avec le principe d'une reconduction tacite. On voit si l'ambiance collégiale fonctionne, s'ils ont le temps de tester tous les jeux. Il arrive que certains soient à un moment embauchés par un éditeur, ils se retirent alors du jury.

Pour la présentation nous avons fait appel à Es tu game, mais c'est une contractualisation pluriannuelle, et le contrat arrive à terme. Nous avons d'ailleurs déjà reçu de nombreuses sollicitations pour 2025.


Quel est votre plus gros défi pour les prochaines années ?

Le plus gros défi c'est de continuer à maintenir la position de leader en France, continuer d'être à l'écoute des acteurs, aussi bien des visiteurs que des professionnels. On s'impose de rester un vecteur d'innovation en termes de festival, et je parle au sens large, nous souhaitons rester en avance sur les plus de 1 000 festivals qui existent en France.

Même si l'on ne se compare en détail qu'avec les salons dédiés aux jeux, on regarde quand même les autres festivals culturels qui ont lieu à la même période. Pour éviter qu'une partie des visiteurs ne soit phagocytée par un autre événement culturel. Si nous n'avons aucun doute que les fans de jeux de société ont marqué la date du FIJ dans leur calendrier, les amateurs peuvent basculer sur un autre festival culturel qui serait en " concurrence" temporelle. C'est pour cela qu'il faut se démarquer, et proposer une offre au-delà du contenu purement ludique.

© Palais des festivals de Cannes.

Quel est votre meilleur souvenir du FIJ ?  

J'en ai de nombreux, mais le premier qui me vient en tête et qui me fait encore sourire rien qu'en l'évoquant c'est ma rencontre avec Antonin Boccara. C'est un créateur de jeu que j'ai eu la chance de croiser un soir aux nuits du off, il présentait un prototype de jeu. L'année d'après je l'ai retrouvé sur un stand d'éditeur pour présenter son jeu édité, et l'année suivante il a obtenu l'As d'Or. C'est un exemple parfait des émotions que l'on peut ressentir en travaillant pour ce festival si particulier.

Et votre plus grande satisfaction ?

À titre personnel, ma plus grande fierté c'est un projet autour du jeu Dixit. C'est un jeu créé par Jean-Louis Roubira, un pédopsychiatre qui travaille avec Régis Bonnessée, l'éditeur de Libellud. Aujourd'hui, le jeu, primé aux As d'Or de 2019, a été vendu à plus de 12 millions d'exemplaires. Depuis deux ans, je travaille avec l'éditeur Libellud et les autres éditeurs pour réaliser une édition spéciale FIJ du jeu Dixit. C'est une édition qui regroupe tous les jeux primés aux As d'or depuis 2008, plus de 50 éditeurs différents, 76 illustrateurs. Tout le monde a accepté de travailler ensemble sur ce super projet. C'est une vraie fierté que d'avoir porté ce projet.

Informations pratiques : le Festival International des Jeux de Cannes 2024, du vendredi 23 au dimanche 25 février 2024 de 10h à 19h (fermeture de l'entrée à 18h). Tarif: à partir de 6€ la demi-journée.