Bruno Calendini (Photographe animalier) "Le but de ces photographies est de véhiculer des émotions, du rêve, des sensations..."
Bruno Calendini photographie la faune sauvage et l'expose dans des tons sépia, aux couleurs des instantanés d'autrefois.
Quels animaux sauvages avez-vous eu l'occasion de regarder droit dans les yeux ?
Presque tous ceux que j'ai photographiés, car je travaille comme un portraitiste et beaucoup de choses passent par les regards. Ces face à face, souvent très proches, sont des moments privilégiés. Devant l'objectif, les animaux peuvent se montrer placides, insouciants ou au contraire fuyants et inquiets. Cela dépend en partie de la façon dont vous êtes perçu : comme un prédateur, une proie, un indésirable ou un élément du décor totalement inoffensif, sachant que cette dernière option est la plus confortable pour le photographe et pour l'animal.

Quelle est la scène animalière la plus terrible à laquelle vous avez eu l'occasion d'assister ?
La vie sauvage réserve des spectacles parfois difficiles : un lion mâle qui prend possession d'un groupe et qui sacrifie tous les lionceaux pour assurer sa propre descendance, une mère dont les petits ont été tués qui cesse de s'alimenter et qui erre plusieurs jours en les cherchant, une femelle guépard qui capture une très jeune gazelle vivante et enseigne à sa progéniture comment la mettre à mort, ou encore un éléphant blessé ou malade qui essaie en vain de rejoindre son troupeau sans lequel il ne survivra pas.... Chaque jour les vies des plus faibles s'éteignent sous l'implacable loi de la sélection naturelle.
J'ai assisté à une chasse de lycaons particulièrement impitoyable. Contrairement à beaucoup de prédateurs qui étouffent leurs victimes avant de les manger, les chiens sauvages dévorent leur proie vivante et la mettent en pièces tandis qu'elle est encore debout. Mais c'est leur façon de chasser ; elle est redoutablement efficace et la viande ainsi consommée sert aussi à nourrir les plus jeunes, auprès desquels elle sera régurgitée après la chasse.
"Je travaille comme un portraitiste et beaucoup de choses passent par les regards".
Ne devient-on pas un peu prédateur, au sens photographique, lorsque l'on côtoie pendant une longue période les animaux sauvages africains ?
Parfois, l'obstination du photographe à chercher "sa proie" pourrait effectivement être comparée à celle d'un chasseur. Mais contrairement aux prédateurs qui sont des acteurs indispensables dans ce milieu, le photographe est un élément extérieur qui doit garder ses distances et interférer au minimum dans le déroulement de la vie sauvage.
Les photos présentées dans votre livre "Sauvages" ont-elles demandé beaucoup de préparation ?
Je prépare certains clichés parfois plusieurs mois à l'avance. Ce fut par exemple le cas pour une image de guépard en train de manger une gazelle de Thomson, prise au grand angle au ras du sol, à quelques centimètres de l'animal. Pour réussir cette photo, j'ai dû faire fabriquer un système de prise de vues radiocommandé. Puis, je me suis entraîné à le mettre en œuvre très vite et j'ai transporté ce matériel et ses accessoires quotidiennement, pendant plusieurs semaines, en attendant l'opportunité de m'en servir. Le jour "J", j'ai eu la chance de pouvoir saisir la scène telle que je l'avais précisément en tête.
"Les tons chauds du sépia collent parfaitement avec l'ambiance de la savane".
Vous privilégiez le sépia pour vos photos. Pourquoi ?
C'est en 2004, lorsque l'on m'a commandé une exposition sur le Delta de l'Okavango, qu'est née l'idée de cette collection d'images. Ma mission était claire : me démarquer de ce qui se faisait habituellement en photographie de nature et porter un regard différent sur la faune africaine. J'avais une certaine expérience du traitement sépia pour l'avoir appliqué dans beaucoup d'autres domaines comme la mode ou le sport et c'est une des options que j'ai rapidement retenue, car ces tons chauds collent parfaitement avec l'ambiance de la savane. J'aimais aussi l'idée de réaliser des clichés aux teintes d'autrefois avec du matériel numérique de dernière génération.
Ensuite, en me documentant sur la région, j'ai découvert comment les principales réserves du nord Botswana dépendent du fleuve Okavango et à quel point ce fleuve est menacé par les activités humaines.
Le sépia fut aussi une façon de souligner que si nous ne préservons pas ces sanctuaires, les prochaines générations pourraient ne connaître la faune sauvage que par l'intermédiaire de "photos jaunies".
Envisagez-vous de réaliser des photos animalières traitées différemment lors de vos prochains reportages en Afrique ?
Une journaliste a écrit au sujet de mon livre : "des images couleur sépia qui apportent une touche de magie à des animaux tout droit sortis d'un rêve". C'est un très beau compliment car le but de ces photographies était exactement de véhiculer des émotions, du rêve, des sensations, des parfums... et de partager mon ressenti sur cette Afrique, telle qu'elle me fascine et me touche au plus profond de moi-même. La couleur sépia a été un outil essentiel de cette démarche car elle laisse une grande part à l'imaginaire du spectateur.
Quelle que soit l'orientation de mes prochaines photographies animalières, j'aimerais atteindre les mêmes objectifs : privilégier l'esthétique et transporter le spectateur dans un univers parallèle, décalé, à la fois imaginaire et bien réel, sur fond de nature et de grands espaces... Une perspective particulièrement motivante et une excellente raison de retourner confronter mes objectifs à la vie sauvage.

Quelle est votre actualité ?
Le livre "Sauvages" a reçu un bel accueil du public et des professionnels. La semaine dernière, il a été nominé aux " Trophées de La Nuit du Livre ", face à plusieurs centaines d'autres ouvrages présentés en compétition. Une reconnaissance inattendue dont je suis très fier, entérinée lors d'une cérémonie durant laquelle des photographes comme Yann Arthus-Bertrand, William Klein, Philip Plisson ou Hans Sylvester ont déjà été récompensés lors d'éditions précédentes. Mais c'est un ouvrage encore jeune et je veux continuer à le faire connaître. A ce titre, je serai les 13 et 14 mars au Salon du Livre, pour des rencontres / dédicaces sur le stand des Editions Cacimbo (n° T64). Parallèlement, l'exposition continuera à tourner. Sinon, je travaille toujours avec la presse photo pour laquelle je réalise des reportages avec les derniers appareils photographiques du marché en conditions de reportage. A ce titre, mes prochaines missions devraient démarrer au printemps mais je ne sais pas encore précisément dans quels pays.
Avez-vous des projets dans des endroits du monde riches sur le plan de la biodiversité ?
En ce moment les stages photo ont le vent en poupe et 2 voyagistes m'ont proposé d'encadrer des séjours à vocation photographique. En Afrique bien sur, mais aussi dans d'autres régions du monde dont le patrimoine sauvage mérite le détour, comme le Panthanal au Brésil, l'Inde du tigre... et d'autres destinations plus ou moins exotiques. Sinon, à titre plus personnel, je m'intéresse beaucoup aux peuples qui dépendent de la nature et qui sont victimes de l'industrialisation galopante, de la pollution, de la déforestation, du tourisme de masse... Ce sont des sujets qui me touchent et sur lesquels j'aimerais travailler, en particulier avec des scientifiques. En fait, il reste beaucoup de choses à montrer, de témoignages à apporter et de causes à défendre... ce ne sont vraiment pas les idées qui manquent.
Est-ce important pour vous de lier vos images à un message ?
Suite à une exposition, j'ai pu lire cette phrase dans mon livre d'or : "Des images qui valent mille discours sur l'écologie". J'aimerais beaucoup y croire et je serais très heureux si mes photos pouvaient servir la cause des animaux qui en sont l'inspiration ou qu'elles contribuent, même modestement, à une prise de conscience.