Que pensez-vous de la réforme de la rétention
de sûreté ?
Elisabeth Guigou : La présomption d'innocence a
été beaucoup bafouée ces dernières années, en particulier par la dernière
loi, qui est un vrai scandale. J'espère qu'elle va être censurée par le Conseil
constitutionnel.
Sur la rétention de sûreté, début janvier, l'une de
vos interventions à l'Assemblée a provoqué de vives réactions. Vous avez
évoqué "les pires débordements de l'Allemagne nazie". Regrettez-vous
cette phrase ? Rediriez-vous aujourd'hui la même chose ?
Non. Non, parce que c'est vrai que j'ai tiré la sonnette
d'alarme très fort. Bien entendu, je ne soupçonne pas le gouvernement de
vouloir céder à des dérives totalitaires. Mais cette loi s'inspire d'une
philosophie, qui est la philosophie positiviste de Lombroso, qui disait,
au XIXe siècle, il y a des gens qui sont prédéterminés à être des criminels.
A l'époque, ils pensaient qu'en mesurant les crânes, on allait savoir...
Depuis, évidemment, la médecine a montré l'inanité de ces théories.
Vous avez une loi, là, qui va permettre que l'on enferme, peut-être à vie,
en prison, des gens qui n'auront commis aucun acte. Qui auront déjà purgé
leur peine pour les actes qu'ils auront commis, et on les enfermera pour
ce qu'ils sont éventuellement pour ce qu'ils sont susceptibles de faire.
C'est-à-dire qu'on passe de la philosophie des Lumières, qui est celle qui
est appliquée en France depuis 200 ans- selon laquelle un homme ne peut être
enfermé en prison que s'il a été jugé coupable par un tribunal pour un acte
commis -, on passe de cette conception de l'homme jugé coupable à l'homme
supposé dangereux, pour un éventuel crime que peut-être, un jour, il commettra.
Et cela va permettre que des dizaines et des dizaines de personnes soient
enfermés.
En plus, ce projet tel qu'il a été voté, permet la rétroactivité de ce type
de rétention de sûreté. La rétroactivité de la loi pénale, c'est contraire
à la constitution, c'est contraire aux conventions européennes et internationales
que la France a signées. Il n'y a eu qu'une seule période dans notre histoire
où la France a fait une exception. C'est sous le régime de Vichy pour les
lois anti-juifs. Je pense que cela devrait inciter à beaucoup de réflexion
et de prudence, et l'abandon de ce type de philosophie.
On piétine en plus des principes alors que, si on avait les moyens, on pourrait
lutter efficacement contre la délinquance. J'ai pris le case de Francis Evrard
à l'Assemblée nationale, pour dire que Francis Evrard, 32 ans de prison,
a récidivé deux fois avant d'être libéré et de récidiver une troisième fois.
Est-ce qu'on l'a soigné en prison ? Non. La loi de 1998
le prévoyait et le rendait même obligatoire. On n'avait pas de moyens. Le
centre psychiatrique de la prison de Caen avait fermé deux ans avant qu'il ne soit
libéré. Pas de psychiatre, pas de soin.
Est-ce qu'on lui a mis un bracelet électronique mobile
quand il a été libéré ? Pas du tout. Alors que les lois en vigueur - la mienne,
loi Perben, loi Clément - le prévoient.
Est-ce qu'on l'a soumis à une surveillance judiciaire avec
obligation de pointer au commissariat, pour éviter qu'il se balade dans 7
départements différents alors, qu'en principe, il était assigné à résidence
dans le département du Calvados ? Rien du tout.
Est-ce qu'on a songé à l'hospitalisation d'office - dispositif
qui existe depuis 1938 dans notre législation, et qui permet au préfet, sur
avis médical, d'hospitaliser quelqu'un qui est dangereux, soit pour soi-même,
soit pour autrui, soit pour l'ordre public ? Non.
Donc nous avons des dispositifs légaux qui existent, qui ne fonctionnent
pas par manque de moyens, manque de psychiatres, manque de juges, manque
de travailleurs sociaux en prison et hors des prisons pour la réinsertion.
Donc on préfère pratiquer la fuite en avant, législative, d'abord pour masquer
l'échec - car une loi inappliquée, c'est un problème -, et par manque de moyens.
Et cette fuite en avant se fait dans des textes de plus en plus contestables.
Et celui-là l'est au plus haut point.
Voir
cette réponse en vidéo