Les secrets du Vatican Des archives publiées par "erreur"

En 1995, un prêtre a dévoilé des "supplications" contenues dans les archives du Vatican. Le livre "Les Dessous du Vatican" lève le voile sur les coulisses de cette affaire... et sur le sort qu'a connu ce prêtre imprudent.

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Le Vatican. © sergeialyoshin / Fotolia.com

"Le père Filippo Tamburini, un prêtre de soixante-quatorze ans qui avait officié aux archives pendant vingt-cinq ans avant de prendre sa retraite, eut la riche idée de publier sous forme de livre une centaine de ces "supplications" qui avaient échappé à l'attention des experts. Il ne s'agissait pas de supplications ordinaires. Elles provenaient de pénitents du quinzième ou seizième siècle, en quête de l'absolution papale pour leurs péchés.
Les supplications furent dévoilées en 1995, lors d'une cérémonie très sobre et confidentielle. J'en feuilletai une copie et mon intérêt se fit plus vif. L'inventaire de confessions certifiées que j'y découvris offrait un échantillon datant de la Renaissance. Le document comprenait son lot de dépravations, de meurtres, d'incestes, de bestialité, de blasphèmes et d'adultères, pour ne citer que les fautes les plus communes. Des nonnes qui, appartenant à un ordre religieux, s'y disaient assaillies de remords pour avoir tenté d'empoisonner leur abbesse ; une femme se repentait pour s'être adonnée à la sorcellerie ; un cardinal exprimait ses regrets pour avoir tué deux hommes alors qu'il se rendait à un conclave ; un époux se trouvait contrit après avoir castré l'amant de sa femme.
Le livre avait pour titre Saints et pécheurs, mais ces derniers surpassaient clairement les saints en nombre. Encore plus scandaleux, de nombreux suppliants étaient en réalité des prêtres ou des religieuses qui cherchaient simplement à réintégrer leur ministère ou leur ordre. Comme l'exprimait Tamburini, leur témoignage illustrait à quel point la décadence morale s'était vilement insinuée dans la vie monastique et paroissiale au seizième siècle. Et combien elle avait contribué au mouvement de réforme qui n'allait pas tarder à s'étendre au sein et hors de l'Église.
J'appris que les supplications étaient, de longue date, considérées comme des documents embarrassants. Et en 1816, un cardinal proposa ni plus ni moins de les brûler. D'autres théologiens et spécialistes avaient mis
en garde sur le fait que leur contenu était trop horrible et compromettant pour être rendu accessible aux historiens laïcs. Et pourtant, de façon soudaine et étonnante, nous nous trouvions aujourd'hui en possession d'un ouvrage relu et corrigé par le Vatican. Un ouvrage qui révélait tout au grand jour.
Une semaine plus tard, la réaction ne se fit pas attendre. Et elle fut sévère. Le Vatican avait été pris de court et n'avait pas su anticiper la parution du livre. Le bureau de presse diffusa un communiqué succinct déclarant que le père Tamburini avait bravé l'interdiction d'éditer ces supplications et que leur publication constituait "un abus que l'on ne pouvait que vivement déplorer". Le Vatican argumenta en rectifiant qu'il s'agissait de pétitions pénitentielles exigeant, par conséquent, la plus grande confidentialité. Le père Tamburini se défendit en rappelant haut et fort qu'aucune autorisation spéciale n'était nécessaire. Mais il se retrouva très vite persona non grata. Son livre fut aussitôt retiré du rayonnage des librairies de la zone commerciale du Vatican. Mais trop tard : la plupart des exemplaires avaient déjà été vendus. Aujourd'hui, l'ouvrage est épuisé mais il reste fréquemment cité par les historiens. Quant à Tamburini, il mourut en 1999 dans la honte et couvert d'ignominie."