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Novembre 2006

Satoshi Kon : "Le cinéma, c'est choisir de rêver"

Depuis plus de cinq ans, Satoshi Kon est un nom qui compte dans l'animation japonaise. Ses dessins animés épiques et poétiques traitent avec une rare intelligence du lien entre rêve et réalité, de la part de fiction et d'imaginaire dans nos vies. Rencontre.

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Satoshi Kon
©
L'Internaute Magazine

Né le 12 octobre 1963 à Hokkaïdo, Satoshi Kon débute sa carrière comme dessinateur de manga. En 1997, il réalise son premier dessin animé, Perfect Blue, un thriller vertigineux sur une chanteuse persécutée par l'un de ses fans. Mêlant rêve et réalité, le film synthétise la plupart des obsessions de Satoshi Kon. Dans Millennium Actress, il retrace le destin d'une actrice imaginaire et confond à l'écran ses films, sa vie, son passé et son présent. Très différent, le tragicomique Tokyo Godfathers retrace le parcours de SDF dans la capitale japonaise et n'est pas sans rappeler les films de Chaplin. Après Paranoïa Agent (une excellente série animée), le cinéaste revient sur les écrans avec Paprika, dans lequel des psys soignent leurs patients en explorant physiquement leurs rêves. Un film superbe que le réalisateur est venu présenter en France...

 

Comment écrit-on un scénario aussi destructuré que celui de Paprika ?

Lorsque je l'ai écrit, le scénario de Paprika n'était pas très détaillé. Je voulais que le film prenne la forme d'un rêve. Que la logique, telle que nous la concevons, passe au second plan. Le passage par le story-board a donc modifié beaucoup de choses, laissant place à une certaine forme d'improvisation.

 

 

Paprika, avec sa structure alambiquée comme celle de Millenium Actress, et son côté thriller à la Perfect Blue, peut-il être vu comme un film-bilan ?

C'est exactement ça. Mais en même temps, c'est un nouveau point de départ pour de nouveaux défis artistiques. Avant Paprika, mes films étaient surréalistes, mais leur représentation restait classique. Dans Paprika, la forme épouse le fond, prend littéralement cet aspect surréaliste.

 

 

Paprika fonctionne sur trois niveaux de réalité : le rêve, le réel et le virtuel. La fusion de ces trois niveaux en crée un quatrième, beau et dangereux. Ce mélange vous inquiète ou vous fascine ?

Les deux. Cet univers que je dépeins me fascine autant qu'il me fait peur. Mais vous savez, la réalité n'est pas unique. La preuve : je vous regarde, et votre visage me rappelle celui d'un ami, au Japon. Du coup, mon corps est ici mais, en un sens, mon esprit est ailleurs, dans une autre réalité. Le temps, comme l'espace n'est pas un et indivisible. Les espaces-temps sont multiples.

 

 

© Sony Pictures releasing international
"La réalité n'est pas unique et les espace-temps sont multiples"

Vous avez travaillé dans le manga, l'OAV (séries animées) et l'anime (longs-métrages japonais animés). Avez-vous la même liberté dans tous ces mediums ?

Il y a bien entendu des contraintes de temps et de budget inhérentes à ces "supports", mais jamais d'imposition sur le fond. Il y a un public pour tout. A vrai dire, c'est un problème que je ne me suis jamais posé puisque la plupart des questions sont réglées dès la production…

 

 

Votre collaboration avec le compositeur Susumu Hirasawa (Millennium Actress, Paranoia Agent, Paprika) va-t-elle se poursuivre dans les années à venir ? Votre association ressemble de plus en plus à celle qui lie Miyazaki à Hisaishi…

Le simple fait que vous parliez de la musique de mes films me fait plaisir. Voilà 15 ans maintenant que je suis amoureux fou de la musique de Susumu Hirasawa. Mieux : mon cinéma épouse ses mélodies. Elles m'aident à créer. Lors de la fête qui a conclu le tournage de Paprika, l'auteur du livre original Yasutaka Tsutsui, Hirasawa et moi-même étions réunis. Nous avons découvert à cette occasion que chacun avait de l'admiration pour l'autre. Comme moi, Hirasawa a toujours été fasciné par les romans de Tsutsui… Paprika, c'est un peu l'histoire de ce triangle.

 

 

La figure de la répétition (d'une scène, d'une image) est récurrente dans le cinéma de ces dernières années. Et notamment dans le votre. Quelle signification y voyez-vous ?

© Sony Pictures releasing international
"L'expérience de la salle de cinéma est unique"

D'abord, utiliser les mêmes sons et les mêmes images permet de faire quelques économies de temps et d'argent… (rires) Plus sérieusement, mes films utilisent régulièrement la figure de la répétition, mais en modifiant toujours certains détails. C'est la meilleure manière, je crois, de refléter nos souvenirs et la structure de la mémoire.

 

 

Tokyo Godfathers est plus linéaire que vos autres films. Le mettez-vous à part dans votre filmographie ?

Absolument pas. Tokyo Godfathers traite, à sa manière, du lien entre la réalité et l'imaginaire. C'est le fil conducteur de ma filmographie et Tokyo Godfathers n'y échappe pas.

 

 

Paprika évoque le cinéma et les salles obscures. Que pensez-vous de la disparition progressive de ces lieux (surtout au Japon) et de leur remplacement par le DVD ?

Lorsque le spectateur voit des films en vidéos ou en DVD, il ne perd jamais le contrôle. Il peut toujours arrêter le film, le reprendre… L'expérience de la salle est complètement différente et à chaque fois unique. Visionner un film dans le noir total d'une salle de cinéma surpassera toujours le DVD ou la télévision.

 

 

Si vous deviez modifier une chose dans l'un de vos films ?

Il y en a tellement que je voudrais modifier… Souvent, je me dis que j'aurais du faire telle chose d'une autre manière. Mais je sais au fond de moi que, sur le moment, j'ai fait ce que je croyais être le mieux. J'ai donné le maximum.

 

 

© Sony Pictures releasing international
"Est adulte celui qui est capable d'arrêter de rêver"

A la fin de Paprika, alors que l'on sort d'un vrai cauchemar, le héros va voir un film. Comme un symbole. Le cinéma, c'est rêver en sécurité ?

Exactement. Mais plus encore ! Paprika, c'est l'histoire d'un homme qui devient adulte. Et à mon sens, est adulte celui qui est capable d'arrêter de rêver, qui refuse de se laisser aller. A la fin, en récompense du chemin parcouru, le héros demande un ticket de cinéma plein tarif. Il va voir un film. Car le cinéma c'est CHOISIR de rêver, et non se laisser envahir par le rêve. C'est tout à fait différent.

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