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Dossier
 
Décembre 2007

Luc Jacquet : "J'y ai mis beaucoup de moi-même"

Après le succès incroyable remporté par La Marche de l'empereur et ses courageux manchots, Luc Jacquet revient avec Le Renard et l'enfant, un conte animalier émouvant.
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Luc Jacquet a passé son enfance dans l'Ain. Amoureux de la nature et titulaire de diplômes en biologie, il participe à 24 ans à une expédition scientifique en Antarctique. Là, il s'improvise cameraman pour les besoins d'un documentaire consacré aux pingouins. Ravi de l'expérience, il décide alors de se consacrer uniquement à la réalisation. Suivront plusieurs documentaires animaliers pour la télé, mais surtout La Marche de l'empereur, un voyage aux pays des manchots qui remporte un incroyable succès public et critique. Luc Jacquet revient aujourd'hui avec un conte animalier intimiste et étonnant : Le Renard et l'enfant. Il revient sur ce film en partie autobiographique...

 

Le Renard et l'enfant est un film aussi intimiste que La Marche de l'empereur était grandiose. Vous vouliez revenir à une nature plus proche de notre quotidien ?

C'est un peu les hasards de l'histoire. Après La Marche de l'empereur intégralement tourné vers l'animal, j'ai eu envie de m'intéresser à cette zone de contact entre l'homme et la nature. Le Renard et l'enfant, c'est le fruit de 40 ans de réflexion personnelle sur les liens qui nous unissent aux animaux. J'y ai mis beaucoup de moi-même. Et puis, je voulais travailler avec cet animal formidable qu'est le renard : libre, insoumis, c'est aussi l'un des premiers héros de la littérature française (Le Roman de Renard, NDLR). Petit à petit, toutes ces réflexions ont fait remonter un vieux souvenir à la surface : enfant, j'avais croisé un renard dans un bois. Nous nous sommes regardés quelques secondes, et il a détalé en un éclair. C'est devenu le point de départ de mon film.

 

 
© Eric Caro/Bonne Pioche
 

Pourquoi avoir tourné dans l'Ain, votre région natale ? Toujours cette histoire de souvenir d'enfance ?

A vrai dire, ce n'était pas mon intention première. Pendant la pré-production, j'ai envoyé un assistant faire du repérage dans toute l'Europe : Norvège, Suède, Italie, Autriche, l'arc alpin... Il s'est mis en quête des paysages que j'avais en tête. Et puis, nous avons fini par nous rendre à l'évidence : tout ce dont nous avions besoin était là, dans l'Ain. Le reste de l'équipe a acquiescé et validé notre choix. Voilà comment je me suis retrouvé à tourner certaines séquences à 500 m de chez moi !

 

Vous avez pris quelques libertés avec la faune quand même...

Oui, bien sûr. Il s'agissait d'évoquer une nature fantasmée, utopique. Vue avec les yeux d'une enfant. A cet âge-là, il est évident que la forêt est peuplée d'ours et de loups...

 

A propos d'imaginaire, la scène où la gamine se perd dans la forêt pendant la nuit est vraiment inattendue, gonflée même. On bascule presque dans le fantastique !

Oui, la petite fille chope une trouille hallucinante. Perdue dans les bois, seule dans le noir, elle s'imagine des tas de choses et amplifie chaque son qu'elle entend autour d'elle. Elle perd clairement le contrôle. C'est ça la force du cinéma : entrer dans le fantasme, l'imaginaire pur. Ceci dit, je ne trouve pas la séquence particulièrement gonflée. Le film comporte d'autres séquences à mon avis plus inattendues. La poursuite avec le lynx notamment...

 

 
© Eric Caro/Bonne Pioche
 
"Je rêvais d'une vraie scène d'action "

Je voulais justement vous en parler. Cette poursuite est vraiment spectaculaire. Combien de temps avez-vous mis à la filmer ?

Une dizaine de jours. Dont deux jours et demi pour un seul plan ! Je voulais... Toute l'équipe voulait "l'image extraordinaire". A quoi bon filmer ce qui a déjà été montré ? Faire le cinéma des autres ne m'intéresse pas. On sait que les lynx chassent les renards. C'est quelque chose qui existe, et pourtant personne ne l'avait jamais vu et encore moins filmé. Je rêvais d'une vraie scène d'action, d'une poursuite comme on en voit dans les films américains ! Le cinéma sert à ça : entrer dans le terrier, montrer ce qui nous est d'ordinaire caché. Alors oui, ce fut un cauchemar logistique à cause de la neige et des marques que nous y laissions, mais l'équipe et les producteurs ont été géniaux, ils se sont dépensés sans compter pour obtenir le meilleur résultat possible. Tout le monde s'éclatait !

 

Cette scène fut donc la plus difficile à tourner ?

Non, les scènes de jeu m'ont également posé quelques soucis. Heureusement que mon équipe était là... Je n'avais jamais dirigé d'acteurs. Les animaux, je connais, je sais comment ils fonctionnent, quand je peux les pousser et quand je dois arrêter. Tourner avec un enfant, ça demande beaucoup de tact et de patience. Mais le résultat est là : j'ai vu une actrice éclore. Franchement, certaines de ses prises nous ont laissé muets... Cette gamine est incroyable.

 

En tout cas, son personnage en fait voir de toutes les couleurs à ses parents ! Elle disparaît dans la montagne, part seule en balade... A l'heure du "zéro risque", certains parents ont du être un peu choqués non ?

 
© Eric Caro/Bonne Pioche
 

C'est amusant que vous me parliez de ça. L'un de vos collègues me confiait justement qu'il ne pourrait pas laisser sa gamine partir seule comme ça. Curieux quand même ces différences de perception... Les enfants qui grandissent, comme moi, entourés par la nature connaissent pourtant les risques, les dangers, les limites de ce qui les entourent. Mais pour les purs citadins le comportement de la petite fille tient de l'inconscience...

 

Je trouvais dommage dans La Marche de l'empereur que vous cédiez à l'anthropomorphisme. Cette fois-ci, vous avez fait le choix inverse. Pour quelles raisons ?

Ce sont deux choix que j'assume et revendique complètement. Dans La Marche de l'empereur, j'ai voulu casser le tabou de l'anthropomorphisme. Je souhaitais que le spectateur se sente dans la peau de l'animal, que, pour une fois, il partage son quotidien. Le point de vue du film étant celui de l'animal, le choix de l'anthropomorphisme s'imposait si je voulais émouvoir. Le cas du Renard et l'enfant est radicalement différent. Comme je le disais tout à l'heure, le film parle de la zone de contact entre l'homme et l'animal. Cette fois, l'essentiel du film est vu par les yeux de la petite fille et c'est à elle que s'identifie le spectateur. Je peux donc me passer d'anthropomorphisme...

 

En revanche, le message écologique reste très discret dans Le Renard et l'enfant. En tout cas vous ne le martelez jamais...

A vrai dire, je trouve assez malhonnête la tendance actuelle à mettre de l'écologie partout. A écouter certains, l'homme est fondamentalement mauvais, il ruine la planète, la surpeuple au point qu'il faudrait l'empêcher de se reproduire... Personnellement, je n'ai aucun problème avec l'humain. Il faut qu'il prenne garde à son impact sur la Terre, mais il y a sa place. Voilà pourquoi je n'ai pas envie d'en rajouter une couche ni de tomber dans le slogan publicitaire...

 

 
© Buena Vista international
 
"Un animal sauvage n'a rien d'un jouet"

Vous tenez un discours très responsable sur l'état sauvage. La petite fille apprend à ses dépens qu'on ne domestique pas la nature. La scène m'a semblé nécessaire mais assez cruelle...

Je ne pense pas être cruel avec mon actrice à ce moment-là. Encore une fois, j'assume cette scène à 100%. L'héroïne franchit les limites, prend une bonne leçon de vie et au final s'en tire à bon compte. Quand un animal pète les plombs, il ne prévient pas. C'est en cela que la nature est impitoyable : à la moindre faute, la sanction est immédiate. J'avais envie de dire à tout le monde, et aux enfants en particulier, qu'un animal sauvage n'a rien d'un jouet.

 

Quels horizons vous attirent désormais ? Vous semblez vous rapprocher de plus en plus de la fiction pure...

Le Renard et l'enfant, c'est déjà de la fiction pure (rires). Plus sérieusement, je me sens parfaitement à l'aise avec cette méthode hybride à mi-chemin de la fiction et du documentaire. J'ai eu la chance de réaliser dans un laps de temps assez court deux films qui me tenaient à cœur. Maintenant, j'ai besoin de me poser, me reposer, aller à la pêche... Pour recharger les batteries et surtout mon imaginaire de cinéaste.

EN IMAGES  Les plus belles photos du Renard et l'enfant


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