Isabelle Carré "C'est important de trouver la place qui nous correspond, pas celle dans laquelle on aimerait nous voir"

Isabelle Carré se révèle aussi drôle qu'attachante dans "Les Chaises musicales", à découvrir en salles le 29 juillet 2015. L'actrice nous parle de son personnage, qu'elle avoue très proche d'elle, avec une sincérité désarmante.

Dans le premier long-métrage de Marie Belhomme, Isabelle Carré incarne une musicienne presque professionnelle qui envoie par accident un homme à l'hôpital. Alors que celui-ci se retrouve plongé dans le coma, elle décide pour une fois de prendre ses responsabilités afin de l'aider à se réveiller. Elle va alors peu à peu s'immiscer dans sa vie et finit, de fil en aiguille, par lui voler son boulot, son appartement, son chien...  tout en développant un profond attachement pour cet inconnu, dont le réveil donnera lieu à une situation des plus cocasses.

Un personnage touchant et maladroit

"Interview Isabelle Carré"

Linternaute.com : Votre personnage porte le film de bout en bout. Comment le décririez-vous ?
Isabelle Carré : Mon personnage s'appelle Perrine, déjà ce n'est pas un nom très banal. Elle est presque tout. Elle est presque musicienne, presque... non, pas presque, elle n'est pas du tout installée dans la vie. Elle n'a pas réussi à construire vraiment quoi que ce soit. Les Chaises musicales, le titre est bien trouvé. En fait, c'est vraiment l'histoire de quelqu'un qui danse de façon un peu chaotique pour trouver sa place. Elle est pleine de culpabilité, elle est touchante, elle est maladroite. C'est un peu une soeur d'Angélique des Emotifs anonymes de Jean-Pierre Améris.

Justement, n'avez-vous pas eu peur de vous répéter ?
J'ai hésité effectivement parce qu'il y avait vraiment des points communs avec Les Emotifs anonymes. En même temps, Les Chaises musicales est une comédie romantique aussi, mais alors avec vraiment tous les codes de la comédie romantique habituelle qui explosent. La première rencontre entre les deux futurs amoureux se passe dans une déchetterie, lui il tombe dans une benne parce que, moi, je suis déguisée en Dark Vador, parce j'anime des goûters pour les enfants. Et tout le film est comme ça, en fin de compte. J'ai vraiment eu envie d'y aller parce que je trouvais qu'il y avait un ton très singulier, plein d'audace et très différent. En fait, ce que je cherche, bien sûr c'est important de ne pas se répéter, mais avant tout, c'est de me dire : "Est-ce que ce film-là, je l'ai déjà vu ?" Et non, je n'ai jamais vu ce film-là. C'est vrai qu'on a souvent l'occasion d'aller au cinéma et de trouver un film super, puis de sortir de là et de l'oublier presque aussitôt parce qu'on se dit : "Au fond, je l'ai déjà vu vingt fois". Donc l'audace, la singularité, la sincérité aussi de Marie Belhomme, la réalisatrice, m'ont donné envie de faire partie de cette aventure.

Loin de rechercher la performance prônée par la société actuelle, votre personnage apparaît en résistance avec notre époque. Y voyez-vous aussi une critique de notre société ?
En fait, j'ai pensé souvent à Quand j'étais chanteur, un film de Xavier Giannoli que j'avais beaucoup aimé. C'est l'histoire d'un chanteur. Il fait les bals populaires certes. Tout son entourage et même lui-même à un moment donné pensent qu'il a raté quelque chose, qu'il a manqué d'ambition. Donc il essaie de se confronter à des plus grandes salles et il voit que ce n'est pas pour lui. En fin de compte, son plaisir, c'est de faire danser les gens dans les bals. Cette humilité-là, cette modestie par rapport à des modèles d'ambition qu'on peut sans arrêt nous balancer aujourd'hui, moi ça me touche. J'aime bien l'idée qu'on peut avoir cette discrétion, ce goût d'une vie qui ne serait pas bruyante, qui ne serait pas brillante aussi dans le sens clinquante, qui en fout partout, plein les yeux. Mais on peut trouver son bonheur là-dedans. C'est réellement un film sur comment trouver sa place et la place qui vous correspond, pas la place dans laquelle on aimerait vous voir ou dans laquelle la société aimerait vous projeter. Effectivement, de ce point de vue-là, c'est un peu une critique de la performance, il faut assurer, les coachs... On n'a jamais le droit finalement à la fragilité, à la maladresse ou au doute.

Le syndrome de l'imposteur

"Interview Isabelle Carré"

Le film tourne beaucoup autour du syndrome de l'imposteur, d'où son titre d'ailleurs. Est-ce un sentiment que vous avez déjà éprouvé vous-même ?
Bien sûr que je l'ai éprouvé. Déjà, dans mon métier c'était très bizarre quand j'ai commencé. Je crois que c'est le deuxième film que je faisais. Il y avait Bohringer, Jean Carmet, Giraudeau et Deneuve... et moi à une table, en train de manger de la soupe. Evidemment, je me sentais "cherchez l'erreur, un intrus s'est glissé parmi vous". C'était difficile de se dire : "Bah, si, j'ai le droit d'être là." Ce n'est pas évident quand même. Et j'ai souvent ce sentiment-là d'avoir beaucoup de chance, peut-être aussi parce que j'ai vu ma maman faire un travail qui ne lui convenait, qui ne lui plaisait pas, de subir un peu justement sa vie professionnelle. C'est pour ça que je trouve ça toujours difficile quand on dit : "Vous avez pris des risques là, dans ce rôle" ou "Est-ce que c'est un métier qui n'est pas trop difficile ?" J'ai tout de suite envie de dire : "Attendez, c'est merveilleux déjà juste de faire ce qu'on aime."

En même temps, votre personnage donne l'impression de se moquer du regard des autres, en acceptant par exemple de porter les déguisements les plus farfelus. N'est-ce pas paradoxal ?
C'est le paradoxe de pas mal de comédiens en fin de compte. C'est vrai que j'en connais beaucoup qui ne sont pas super à l'aise socialement. Quand on rentre dans un magasin face à une vendeuse un peu autoritaire, ce n'est pas toujours évident. Ou alors dans les dîners avec plein de monde, des gens qu'on ne connaît pas à table. Moi, je fais dix fois le tour du pâté de maisons avant d'y aller et souvent je n'y vais pas. Et en même temps, je monte sur scène. Alors ça peut paraître très bizarre, mais j'ai remarqué que souvent les grands timides étaient ceux qui, justement pour se dépasser, avaient le plus d'audace.

Pour trouver sa place, votre personnage finit donc par se glisser dans la peau d'un autre. C'est une belle métaphore du métier d'acteur, non ?
C'est une super phrase que j'adore sur les acteurs de Marivaux qui dit : "Ils font semblant de faire semblant", les comédiens. Tout ce qu'ils jouent est vrai, mais ils font semblant de faire semblant. C'est vrai que c'est très confortable de pouvoir dire des choses très intimes de soi - mais ça les gens ne le savent pas, je ne devrais pas le dire d'ailleurs - avec le prétexte d'être un personnage et, du coup, d'être protégé par ce costume, par l'histoire, par le fait que c'est quelqu'un d'autre qui l'a écrite. C'est vrai qu'on peut dire des choses parfois d'une façon plus intime, plus profonde, avec ce prétexte-là. Elle, elle se sent mieux déguisée en banane. Elle se sent plus libre pour animer la soirée déguisée en petit pois. Mais ça, j'ai adoré, ces déguisements-là. Ça, ça fait vraiment partie du désir de faire ce film, parce que faire du violon déguisée en banane, je ne pensais pas que ça m'arriverait un jour dans ma vie.

Proche de son personnage

"Interview Isabelle Carré"

Partagez-vous des points communs avec votre personnage ?
Je partage beaucoup de points communs avec ce personnage. D'abord le manque d'assurance, même si ce métier m'a fait beaucoup de bien et m'a donné confiance en moi. C'est vrai que ce n'était pas gagné au départ. Et c'est vraiment en fait la possibilité de m'exprimer, le mot n'est pas joli, mais de me "purger", qui m'a tenue, qui m'a donné des ailes pour y aller. J'avais vraiment besoin de ça en fin de compte. Sinon, j'avais un côté un peu cocotte-minute. Un peu comme Perrine d'ailleurs, chez qui on sent une fébrilité, même une tension. Mon métier m'a permis de libérer un peu tout ça et de le canaliser. C'est vraiment ça qui me plaisait au départ. Ce n'était pas d'être regardée, de faire la couverture des magazines ou d'être reconnue. Il devait y avoir sans doute un manque à ce niveau-là quelque part, mais c'était surtout un moyen d'expression. Et ça continue d'être un super moyen d'expression pour moi.

Être proche du personnage, est-ce un aspect qui rentre en ligne de compte au moment de choisir vos rôles ?
Non, je ne pense pas en ces termes-là, mais je sais que j'ai des limites, qu'il y a des rôles que je ne pourrais pas jouer. Des rôles où je n'arrive pas à trouver une empathie ou un lien. Ce n'est pas que j'ai envie toujours de "me" raconter, c'est bien de se quitter aussi. Je cite encore Jean-Pierre Améris, quand il m'a permis d'aller à Calais voir le monde des migrants et des associations qui s'occupent des clandestins là-bas. Ça a été vraiment un choc pour moi de découvrir tout ça. Ou quand Tavernier aussi me propose de passer deux mois et demi dans les orphelinats à Phnom Penh, c'était merveilleux aussi. Enfin, c'était très très très très dur, très violent, c'était un choc. Moi, ce que j'aime, c'est ouvrir des portes sur des mondes finalement qu'on côtoie. C'est sûr que les clandestins, on n'essaie pas vraiment de les regarder et eux-mêmes se font invisibles. Par exemple, quand j'ai appris aussi la langue des signes pour Marie Heurtin, j'avais honte tout à coup de découvrir mon ignorance par rapport au monde des sourds, à la culture sourde, à l'histoire des sourds. C'est plus en fait ouvrir ma conscience sur ce qui existe autour de nous et puis, éventuellement aussi, faire partager des émotions et trouver un moyen d'expression encore une fois.

Un film au scénario singulier et décalé

"Interview Isabelle Carré"

Le film ressemble-t-il à ce que vous aviez imaginé en lisant le scénario ?
Ça j'ai toujours du mal en fait, parce que c'est comme les souvenirs de vacances : ce que vous vivait en vacances et quand vous voyez les photos. Il y a toujours quelque chose qui est très réducteur parce que, par exemple la scène passée à faire la mouche qui colle, on l'a tournée toute la journée et puis dans le film ça va durer une minute. Donc j'ai l'impression que tout est énormément plein. J'ai en plus une mémoire très précise de tous ces moments de tournage et j'ai toujours l'impression que c'est insuffisant quand je le vois dans le film. Le côté "photos de vacances", ce n'est pas les vacances qu'on a vécues.

Les Chaises musicales est un mélange de drôleries et de séquences plus mélancoliques. Et vous, comment le définiriez-vous pour nous donner envie d'aller le voir ?
Je dirais que ce film, c'est une ode à la discrétion, à la simplicité. On peut parfois courir après des choses complètement inaccessibles... Et finalement, quand elle s'aperçoit qu'autour d'elle il y a tout ce qu'il faut, elle a du mal à se rendre compte de ça. C'est l'histoire d'une pièce de Büchner que j'adore, Léonce et Léna, où ils vont faire le tour du monde pour essayer de trouver chacun sa promise et son amoureux, et finalement, c'était juste le voisin de la porte d'à côté. C'est un peu le principe des comédies romantiques, mais ce que j'ai aimé vraiment, encore une fois, c'est le côté cocasse, complètement singulier et décalé du scénario. Je pense que ça on le retrouve à l'écran. Il y a vraiment des scènes complètement inattendues et finalement, ce côté "pieds dans le plat" et maladroit de Perrine l'amène dans des situations qui sont burlesques, touchantes, drôles. Je pense qu'on s'attache beaucoup à tous ces personnages parce qu'ils sont très très très humains. Ça, c'est vraiment l'humanité de Marie Belhomme, c'est quelqu'un à qui on a envie de tout donner parce qu'elle est comme ça.

De façon générale, avez-vous besoin de beaucoup travailler vos rôles en amont avant un tournage ?
Là, j'ai vraiment beaucoup bossé le violon. Comme une dingue. En plus, avec le costume de banane, ce n'était vraiment pas évident. Marie Belhomme était très surprise parce que j'ai demandé d'avoir le chapeau de banane un mois et demi avant le tournage, parce que, ce chapeau, j'avais peur vraiment que ça me gêne et je voulais vraiment avoir les bons gestes. Je savais qu'au niveau du son, ça ne serait pas possible. J'ai vu par exemple Un Coeur en hiver avec Emmanuelle Béart, je me suis pris une claque. Je l'avais déjà vu ce film, il y a longtemps, et elle y fait une performance incroyable. Je vous assure que quand on prend des cours de violon tout à coup comme ça, qu'on n'a jamais pris de cours de violon, qu'on se dit : "Il va falloir quand même que je donne le change pour le film" et qu'on voit la performance qu'elle fait dans Un Coeur en hiver... C'est exceptionnel ce qu'elle fait, sa tenue de l'archer, le glisser, le mouvement du poignet, sa souplesse, sa concentration, les accélérations, la main gauche. Elle est incroyable. Donc, voilà, j'ai vu des films avec des acteurs qui jouent du violon. J'ai regardé évidemment des concerts avec des grands violonistes et j'ai bossé trois fois par semaine pendant trois mois mon violon... pour arriver à un résultat très médiocre (Rires). Au niveau du son, c'était vraiment médiocre. J'étais doublée donc... J'ai vraiment bossé ça, à fond. C'étaient deux rôles de suite qui me demandaient beaucoup de travail. La langue des signes [pour Marie Heurtin, ndlr], ça m'avait demandé quatre mois de travail, aussi trois fois par semaine. J'aime bien le côté trois fois par semaine ! Pour apprendre la langue des signes et pour pouvoir parler vraiment fluently avec ma partenaire Ariana, qui était sourde. Ne pas avoir besoin d'un interprète en fin de compte. Et là pour ne pas avoir trop honte devant toute l'équipe avec mes gniiigniiiiii.

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