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Juin 2006

"La télé n'est plus qu'une colonne Morris animée"

Michel Meyer L'heure de la "trash poubelle" a-t-elle vraiment sonnée ? "Médiocrité" est-il devenu le maître mot pour gonfler l'audience d'une émission ? Michel Meyer, auteur du "Livre noir de la télévision" dont les constats sont sans appel, a répondu à vos questions.

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Le besoin de voyeurisme a toujours existé, et nous sommes dans une société de l'exagération. Qu'est-ce qui vous surprend vraiment dans les constats de dérive que vous faites de la télévision d'aujourd'hui ?


Michel Meyer : Ce voyeurisme est nourri par l'exhibitionnisme de "bons clients", des personnes exploitées notamment par la téléréalité. Ce qui est nouveau, c'est que, par rapport aux cirques d'antan, la télé offre cet échange à des millions de téléspectateurs et c'est là un choc majeur.

La télé réalité semble toucher à sa fin. La fiction va-t-elle aussi disparaître au profit d'un genre hybride ?
Le réel a toujours été mis en scène ou en spectacle, c'est un ingrédient romanesque de toujours. L'originalité un peu pitoyable de l'époque c'est la mise en scène du vide au dépend d'un propos humain sensé et éventuellement intelligent. Ce qui est effrayant pour les humbles qui "consomment" plus de 5 heures de télé par jour.

La télévision publique devrait être un modèle pour la télévision, mais elle cède aux sirènes de la rentabilité, qu'en pensez-vous ?
Dans mon livre, je stigmatise en effet une télé publique qui a laissé le champ aux pitres depuis une quinzaine d'années. C'est dû à la dominance sur la télévision publique d'une aristocratie d'Etat en maraude qui a contribué à une "déprofessionnalisation" de la télévision et offert une autoroute au "trash". De Carolis a choisi le bon discours en disant vouloir redonner du sens sans perdre à l'audimat. Je lui souhaite bien du courage.

Vous parlez du succès navrant des divertissements et des jeux bas de gamme. Pensez-vous que cela signifie qu'on ne sait plus s'amuser ?
L'ennui est une menace constante. Le problème semble être la dominance du divertissement pour le divertissement, d'où effet d'usure. N'avoir que du divertissement non sens au dépend d'espaces de sérieux est un facteur paradoxal d'ennui. D'où le risque comme l'a prédit Neil Postmanne de s'ennuyer à en mourir... Nous y sommes.

"Canal fut une bouffée d'air pur dans le paysage du gaullisme audiovisuel de jadis."

Vous dites que la notion de divertissement s'est dégradée. Quelle est votre opinion sur l'évolution de Canal+ à ce sujet ?
Canal avec l'acclimatation hexagonale du non sens amerloque fut une bouffée d'air pur dans le paysage du gaullisme audiovisuel de jadis. Mais aujourd'hui tout le monde transgresse et provoque à la Canal. L'ennui naissant de l'uniformisation, j'en reviens à ma réponse précédente pour dire que le genre est usé jusqu'à la corde. D'où le souci de Belmer, directeur des programmes de Canal, de jouer l'information crédible avec Ferrari au dépend du guignol Zéro.

Que pensez-vous de la multiplication des chaînes d'info (bfm, i-télé...) ? Des copies qui reproduisent la même info sans intérêt pour le spectateur ?
Le créateur de France Info va se permettre d'estimer que point trop n'en faut et que l'effet de répétition est un facteur de distorsion dans la perception de l'information. De plus, ces chaînes "remontent rarement aux causes"... Il y a cependant une vraie diversité avec LCI dans le genre classique compassé et i>télé en tant que studio pouponnière pour nouveaux diplômés des écoles de journalisme.

La récente valse des présentateurs entre les chaînes a mis en avant des talents plutôt jeunes justement... Sommes-nous en train de vivre un renouveau de la télévision ?
Tout ce qui est nouveau et jeune est chargé d'espoir. Sauf que sur les antennes auxquelles vous pensez le casting relève souvent de ceux des feuilletons télé. Sans jouer au ronchon, je trouve incroyable que l'on mette à la présentation trop d'icônes sans vécu et expérience de terrain.

Vous pensez à Mélissa Theuriau ?
La pauvre jeunette a eu le courage de résister au mirage, très exactement parce qu'elle a eu la modestie de savoir, la concernant, ce que je décris dans ma réponse précédente.

"Les nouvelles chaînes de télévision ont l'art d'accommoder les restes"

Que pensez-vous de la prolifération des nouvelles chaînes issues des chaînes généralistes ou payantes (TF1, M6, France Télévisions, Canal+) qui ne font que rediffuser des programmes passés sur les chaînes mères ?
Ces diversifications pratiquent l'art d'accommoder les restes sur tous supports (câble/sat/Internet/ipod). Je n'aurai à terme rien à dire sur le fait de pouvoir vivre le dernier but d'un match donné en exclusivité et en direct sur TF1 ou Canal, en temps réel sur une chaîne téléphonique sur mon portable dans le métro.

Quel poids ont véritablement les patrons de chaînes face aux producteurs?
Le rapport de force et la puissance de chantage qui a permis à un Courbit (Endemol) de jouer M6 contre TFI puis TFI contre M6 en "affermant" finalement les deux tiers de l'Entertainment de TF1 a changé. Les animateurs producteurs sont aujourd'hui moins puissants bien que courtisés. De plus, la fermeté de Carolis en l'espèce (voir le départ contraint de Ardisson de France 2) a changé la donne.

N'y a-t-il pas une main mise d'une dizaine de producteurs (Arthur, Delarue, Fogiel, Barma+Ardisson, Drucker, Sebastien, Dechavanne, etc.) sur toutes les chaînes, y compris les nouvelles, aboutissant à une uniformité triste ?
La main mise est réelle car on peut parler de "cartellisation", sauf que les genres évoqués sont complémentaires, ce qui est presque pire : avec Drucker, Sébastien et Foucault la transversalité familiale trouve son compte, avec Ardisson, Zéro, Fogiel et même Delarue le racoleur transgressif et provoc est à la fête, mais il ne faudrait pas oublier avec Cauet et Bigard le pipi caca boudin régressif qui arrondi l'offre...

Quelle chaîne de télévision trouve grâce à vos yeux ? Et pourquoi ?
Même pas Arte qui, sauf lorsqu'elle diffuse des features de la BBC, me semble par trop snobissimo et un peu chaîne concoctée par des "attachés culturels" d'ambassades. L'idéal serait qu'elle retrouve la veine perdue du service public modernisé d'il y a vingt ans. A ce prix, il y aurait 6 points d'écoute à la clef. Cela dit, je suis privilégié et je zappe sur les 300 chaînes qui me sont accessibles. J'avoue même regarder de la daube de temps à autre car je ne me crois pas moins inaccessible à la "connerie" que mes contemporains.

Pensez-vous que la télé actuelle est le reflet de la société ou l'inverse, c'est-à-dire que la télé influence le comportement des individus ?

L'interaction est évidente. La télévision reflète en amplifiant. Mais son effet de brouhaha est pour moi un facteur d'ensauvagement. Le conformisme de la provocation à tout prix est une manière d'amplifier le nihilisme ambiant si spécifique à une époque beaucoup plus exposée qu'on ne le croit à un retour de la barbarie. La télé en est le vecteur le plus efficace, car l'ordre du "fric" y prime, donnant raison à un hurluberlu comme Debord qui considérait le spectacle comme le nec plus ultra du capitalisme. Et ce n'est pas, je parle de moi, un gauchiste post-soixante-huitard baby boomer qui vous le dit.

On dit souvent "qu'avant" les programmes télé étaient de meilleure qualité : cela ne veut-il pas dire que la qualité n'a pas marché ? Sinon ne seraient-ils pas toujours là, soutenus par les téléspectateurs ?
Hier n'était pas mieux qu'aujourd'hui. Je n'ai pas cette nostalgie car en fait dans un contexte politiquement verrouillé par les gaullistes, seuls les communistes de France Culture et des Buttes Chaumont avaient droit à l'art télévisuel. Après, c'était les vachettes de Guy Lux... Alors ? Non, le problème c'est que nous sommes passés de 4 chaînes à 300 / 400 visibles, mais qu'entre 18h et minuit, de 4 à 12 millions de Français ne regardent que du bas de gamme. Leur faute ? Oui, car moi le premier, je considère que je peux facilement me comporter comme un pensionnaire de ménagerie. Mais quid de ceux, qui dans le service public, ont laissé le champ au bas de gamme ? J'ai déjà répondu.

"Les politiques n'hésitent plus à venir se "vautrer" devant les maîtres hilares des antennes actuelles. "

Il y a aussi une autre différence entre la télé du passé et celle de nos jours. L'importance et aspect de l'impact financier. Comme vous le dites, la manipulation était plus politique que créative.
C'est vrai que la conquête des espaces de cerveau disponible a tout changé et qu'elle prime sur toute autre considération. L'impératif financier domine dans un contexte où le spectacle est tout et où la télévision est un pôle de pouvoir aussi considérable qu'irresponsable, ne serait-ce que parce que les politiques n'hésitent plus à venir se "vautrer" devant les maîtres hilares des antennes actuelles.

A chaque fois que l'on voit quelqu'un à la télé (ou même à la radio) c'est pour nous vendre quelque chose ? Que pensez de cette Télé-Promo omniprésente ?
Sans CD, bouquins, spectacles de théâtre ou films à vendre, quelle serait la substance des programmes des télés et des radios ? Poser la question, c'est y répondre. La télé, dans ses espaces de Shows, n'est plus (mais ce n'est pas nouveau) qu'une forme de colonne Morris animée. Aucun livre ne se vendra, sauf exception, et je vous parle en tant qu'auteur de dix ouvrages, s'il n'a pas la bénédiction, assez effrayante, des parangons culturels que sont Fogiel, Ardisson et Ruquier. J'espèce que vous ne frissonnez pas...

Vous qui êtes un homme de radio, comparez-vous les dérives de la privatisation de la télévision à celles de la radio ?
J'ai fait les deux. Je fais les deux. La radio restera l'un des derniers espaces où, vu l'intimité du lien avec l'auditeur, l'exigence de sens et de contenu primera. C'est nettement plus facile qu'en télé car la concurrence y est moins violente et le service public tient encore la route, ne serait-ce que parce qu'il est resté pionnier : voir France Info qu'aurait pu faire Europe 1... Pardonnez-moi la vantardise...

Les diffuseurs ont de plus en plus de poids sur les productions cinématographiques et deviennent même producteurs. Doit-on y craindre une baisse de la qualité de la création cinématographique ?
La télévision tuera-t-elle le cinéma? Avant on diffusait du cinéma à la télé, mais aujourd'hui comment ne pas voir que la télé et son écriture sommaire a colonisé le cinéma ? Qu'un Dujardin se prenne pour Belmondo après Brice de Nice et OSS machin est symptomatique car, s'il est devenu ce qu'il est, avec ses indéniables qualités, c'est parce qu'il joua au pitre domestique 400 fois en pré-prime time à la télévision...

Quel est selon vous le pire "personnage" de la télévision d'aujourd'hui, ou le plus dangereux (qu'il soit dirigeant, animateur ou producteur) ?
Je n'arrive pas à ressentir d'animosité envers eux, je pourrais même avoir de l'affection pour eux, mais, après la dictature bon enfant du non sens de De Caune et des Nuls, Bigard et Cauet incarnent pour moi l'image la plus fidèlement réaliste du climat, voire des "valeurs", de notre pays. Et j'avoue en être sidéré.

Ce fut un plaisir de dialoguer, sérieusement, mais dans un style direct et "sportif" qui a pu étonner certain d'entre vous. Je l'assume, car c'est le ton du livre.

 

Auteur : Michel Meyer
Titre : Le livre noir de la télévision
Editeurs : Grasset et Fasquelle
Parution : Mars 2006
Pages : 500 pages
Prix : 21,50 €
Format : 22 x 14

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