Interview
 
Novembre 2007

Sur la route des utopies avec Christophe Cousin

Après un tour du monde en vélo, Christophe Cousin a fait le tour des communautés utopiques du monde : de Libertalia jusqu'à Twin Oak, en passant par la ville de Disney, Celebration. Il a livré ses impressions et ses souvenirs lors d'un chat... étonnant !
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Christophe Cousin en chat à l'Internaute Photo © Agathe Azzis / L'Internaute
 

Pourquoi avoir fait ce tour du monde des villes utopistes ?

Après mon premier voyage (un tour du monde à vélo à la rencontre du bonheur des autres) j'avais envie de découvrir ce qui motivait les hommes à se construire un monde idéal... C'était aussi pour moi l'occasion de réfléchir à la possibilité d'un autre monde, d`une autre société... Et de dire que tout est encore possible...

 

A votre avis pourquoi la plupart des villes utopiques sont aux USA ?

Bonne question... Les USA sont une terre de contrastes. Il y a d'un côté cette Amérique puritaine, cette Amérique qui ne rêve que de dollars et de stars... Mais il ne faut pas oublier l`histoire de l'Amérique, l'autre Amérique... En arrivant sur la côte Est, nombreux étaient ceux qui rêvaient de pouvoir s'installer sur une colline où le soleil brillerait toujours. Les Américains s'avèrent être aussi de grands rêveurs... Mais la ghettoïsation à l'Américaine encourage probablement aussi le communautarisme... Le cas typique est celui de Sun City, une ville réservée au plus de 55 ans.

 

Que recherchent principalement les personnes qui vivent dans ces communautés ?

Je voudrais dire le bonheur, la vie en groupe, la recherche d'un idéal commun mais en creusant un peu, on se rend vite compte que les rêves sont multiples et c'est à cet instant que les projets deviennent difficiles à finir de construire... Un projet unique pour des rêves multiples. Difficile parfois, comme ce peut l'être dans une vie de couples mais où on est parfois plusieurs centaines. Mais beaucoup d`entres elles sont arrivées là aussi par fuite de notre société. D'autres encore rêvent d'un monde meilleur sous son aspect écologique etc.

 

Pourquoi les personnes âgées de Sun City vivent-elles à l'écart du monde ? Ont-elles peur des jeunes ? Que redoute t-elles ?

Pour dire vrai, je suis arrivé à Sun City avec quelques a priori mais j`ai vite admis que le système pouvait s'avérer, sous certains aspects, plus efficaces que nos maisons de retraite, antichambres de la mort parfois. A Sun City, on joue, on se retrouve, on partage les mêmes passions... Je pense que les personnes âgées de Sun City veulent se prendre en main et n'acceptent pas la défaite face à la mort. La moyenne d'âge est de 75 ans et elles partent du résonnement inverse : "pourquoi les jeunes ne nous intègrent-ils pas dans la société ?"

 

 
Entrain d'écrire... Photo © Cyril Bitton
 

Ces communautés ne sont-elles pas des sortes de sectes ?Comment l'avez-vous ressenti lors de vos visites ?

La frontière peut être parfois très fine en effet. Au début, j'avais prévu de longues immersions dans ces communautés. A la manière de Bombard : "Naufragé volontaire" ou de De Caunes: "Robinson Crusoé volontaire", je voulais être "utopiste volontaire" mais j'ai du rapidement réajuster mon principe de voyage... De quoi devenir fou parfois quand on ne partage pas pleinement la vision de la communauté. En France, il y a très peu de ces communautés qui ont par ailleurs du mal à trouver un statut juridique. A l'étranger, il y a inévitablement une forme d'exotisme... Mais je pense pouvoir dire que toutes celles que j'ai visitées au moment où je l'ai fait n'étaient pas des sectes. "Secte" implique à mes yeux : souscription, argent, enrôlement... Et je n'y ai pas été confronté puisqu'il était même parfois difficile d'y entrer.

 

Comment intègre t-on une communauté utopiste ? Y a t-il un bizutage ?

A Twin Oaks par exemple, le premier soir, on m'a clairement expliqué que pour intégrer la communauté, il fallait que je me mette à la plonge. 80 couverts et des marmites à récurer... Intéressant ! Car en effet, il faut faire preuve d`intégration. A Auroville par exemple, j'ai eu du mal à trouver ma place. A Uzupis, tout se passait dans un bar... Pour chaque communauté, j'ai utilisé des méthodes différentes... Simple voyageur... Journaliste... Difficile parfois ! Frustrant aussi. Mais ouvrirait-on sa porte à quelqu'un qui veut juste venir voir comme vous vivez. Pas sûr...

 

En quoi consistait Libertalia ?

Pour débuter mon voyage exploratoire des "vraies communautés", je voulais avant cela être confronté au mythe. Utopia est l'île imaginaire de Thomas Moore... L'Utopie est toujours en rapport avec la mer, avec les îles. Libertalia est à cheval entre le mythe et la réalité. On ne sait pas si la communauté a existé. Il s'agirait d`une communauté pirate du 17ème siècle créée par un prêtre défroqué italien et un pirate français... Il se serait installé à Madagascar. Pour moi donc, le voyage en mer s'imposait comme une démarche afin de comprendre comment au milieu de l'eau on pouvait rêver une cité idéale. Je suis allé à Madagascar par la mer, par le cap de Bonne Espérance... Là, j'ai attendu la Terre... Ll'ai espérée... Pour le reste... Il faut lire le livre !

 

 
Chew les Amish Photo © Cyril Bitton
 

Le fait que cette fois-ci, il n'y ait pas eu d'enjeux sportif à votre périple, cela ne vous a-t-il pas trop manqué ?

A vrai dire... Si !!! J'adore les modes de voyage lent. J'adore l'effort. Et j'ai pris conscience aussi qu'à vouloir traverser les USA à bord d'une vieille DeSoto 1955 toute pourrie qui n'a pas roulé depuis 20 ans, on se met à regretter le vélo ! Mais j'avais besoin de prolonger ma quête et l'Utopie tomba à point. Je réfléchis à de nouveaux défis...

 

Comment expliquez-vous que pour la plupart de ces communautés, le mode de vie idéal se situe dans le passé (les Amish au 17e siècle, Celebration dans les années 50) ?

Il y a selon moi 3 types d'individus. Ceux qui rêvent dans le souvenir, ceux qui rêvent dans le futur et ceux, sages, qui savent jouir du présent. Il me semble évident aussi que derrière l'Utopie, il y a un passé toujours plus merveilleux... Les références à l'âge d'Or, à un temps où tout allait mieux. J'ai souvent pensé cela de l'époque des Hippies, de Woodstock... "On y croyait à cette époque là" entend t-on dire la génération du papy boom… Pour ma part, je rêve beaucoup dans le futur... Toujours aux prochains projets.

 

Dans laquelle de ces communautés auriez-vous pu vous installer pour vivre ?

Très difficile à dire. Uzupis me semble-t-il, est une communauté d'artistes et de poètes utopistes que j'ai beaucoup aimée... Mais de là à y vivre c'est une autre histoire... Et puis, je ne suis pas certain d'être encore prêt à m'installer tout de suite...

 

J'imagine que vous avez du voir des choses vraiment incroyables pendant ces voyages, mais quelle est celle qui vous le plus étonnée ?

Mes vieux amours avec l'Inde me donnent envie de répondre Auroville... Mais le plus étonnant, c'est sans doute de constater que nous sommes capables de nous contenter pendant que d'autres continuent de rêver. "Celebration" dans son genre est très étonnant. On croirait vivre dans la ville de Mickey... Christiania, finalement si grande par rapport à Copenhague est aussi très surprenante. Ce sont surtout des rencontres qui m'ont beaucoup marqué. Thomas Chapaitis, ministre des affaires étrangères d'Uzupis en est une.

 

 
Pendant le chat Photo © Cyril Bitton
 

Comment réagissent les enfants dans les plus vieilles communautés ? Est-ce qu'ils y restent à l`âge adulte ou bien est-ce qu'ils retournent dans "le monde réel" ?

Les enfants, finalement, ne réagissent qu'assez peu lorsqu'ils sont petits. Sans autre référence, on ne réagit pas si on a des parents qui vous aiment. Par contre, à l'adolescence, comme toujours, il peut y avoir des réactions. Mes parents sont paysans, sédentaires par excellence. Je suis devenu voyageur... A l'âge adulte donc, certains restent, d'autres repartent... Ainsi va la vie, partout...

 

Les membres des différentes communautés vous ont-ils paru heureux ?

La définition du bonheur est propre et personnelle. Et certains sont bons comédiens... Mais d'une manière générale, je dirais : oui. Beaucoup y croient ! Et c'est beau à voir. Mais dans l'histoire de ces communautés qui existent parfois depuis fort longtemps (tout est relatif mais Twin Oaks, communauté intentionnelle a par exemple 40 ans) il y a parfois des drames. A Twin Oaks donc, on trouve même un cimetière avec ces inscriptions : "Mort à Twin Oaks", "Suicidé à Twin Oaks". Troublant. Comme si là, au bout de la route, ils n'avaient finalement pas trouvé leur paradis

 

A quoi ressemble la vie quotidienne à Celebration ? Est-elle différente de la notre ?

A priori, elle n'est pas si différente de la nôtre. Elle ressemble un peu à celle de Marne la Vallée à côté de Disneyland Paris. Des architectures qui correspondent à un certain idéal du mouvement du nouvel urbanisme. En creusant, on admet pourtant que la vie communautaire est assez poussé. Chacun connait son voisin, on organise des "blocks parties" (des fêtes entre voisins où l'on bloque les rues pour se retrouver autour d'une limonade). L'entraide est vraiment le point fort de cette communauté. Très peu de criminalité aussi... On est vraiment dans la ville de Disney.

 

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Photo © L'Internaute Magazine
 

N'avez-vous jamais craint de vous faire "embrigader" par l'une de ces communautés ? Comment vous protégiez-vous de cela ?

Pour certaine d'entre elles, il faut montrer patte blanche, presque passer des tests comme dans une grande école. L'embrigadement, s'il arrive parfois dans des sectes n'arrivent pas pour celles là, je pense. Ensuite, on peut se laisser embrigader par ses propres rêves, c'est certain. Je pense que la protection intervient au moment du choix de la destination, de la communauté...

 

Votre famille ne s'est-elle pas inquiétée pour vous ?

Ils se sont assez inquiétés pour moi lorsque je suis parti pendant plus de deux ans sur les routes du monde, à vélo, il y a quelques années de cela. Cette fois-ci, il m'arrivait même de ne pas leur dire où j'allais exactement pour éviter de les inquiéter. Un voyage en Inde passe toujours mieux qu'une immersion à Auroville (pour mes parents en tout cas).

 

Qu'est-ce que les membres de la communauté d'Uzupis entendent par "Chacun a le droit de mourir mais ce n'est pas une obligation ?"

Ils ont aussi : "L'homme a le droit à la paresse". Je pense que c'est justement un moyen de montrer aux hommes que tout est possible, qu'il suffit d'y croire. A Uzupis, on s'amuse beaucoup de nous-mêmes mais aussi, mine de rien, on réfléchit beaucoup à la possibilité d'un autre monde. Les artistes ne manquent pas d'idées et celle là est belle je trouve : "et si nous décidions de ne pas mourir".

 

Comment percevez-vous la France et votre quotidien en France, après ce voyage ?

Concernant mon quotidien : je suis toujours très heureux de pouvoir rentrer. J'aime partir parce que j'ai revenir. Les pauses me permettent d'écrire, de rêver au travers des cartes et des atlas ouverts à même le sol, dans tous les sens. Concernant la France: on viendrait à parler politique... Mais d'une manière générale, je pense qu'avec un peu plus d'Amour et de fraternité, on pourrait faire beaucoup mieux

 

 
A Twin Oak en Virginie. Parmi les préceptes : le partage communautaire, la non-violence, l'égalité entre les indiduc. Photo © Cyril Bitton
 

J'ai vu que vous parliez de Jack Kerouac dans votre livre, que représente t-il pour vous ?

Un père peut-être. J'ai rêvé en lisant Les clochards célestes. J'aime son style, le regard qu'il pose sur l'Amérique. J'ai été très étonné de constater que les Américains en sont peu fiers. Je le place au rang de Baudelaire ou de Rimbaud. Il m'a donc beaucoup influencé dans cette démarche.

 

A part Jack Kerouac quels sont vos auteurs préférés ? Quels livres amenez-vous en voyage ?

London, Bouvier... Mais aussi Beigbeder, Houellebecq... J'aime les anti-héros, ceux qui vont à contre-courant. J'aime aussi la poésie chinoise et japonaise.

 

A quoi ressemblerait votre communauté utopistes à vous ? Comment l'appeleriez-vous ?

Pour cela, il faut vraiment lire "Sur la route des Utopies" jusqu'au bout mais je n'en dévoilerai pas le nom. Mais j'aimerais qu'elle soit emprunte de fraternité. J'ai beaucoup aimé le projet de Jacques Attali "Fraternalia" qui reprend beaucoup des principes que nous devrions adopter pour vivre ensemble, mieux. Mais j'aimerais aussi repeindre les nuages gris de cette triste journée parisienne en rose... Ca changerait !

 

A chaque voyage, un livre. Mais n'avez-vous jamais pensé à faire un film pour chacun de vos périples ?

J'adore écrire! C'est personnel, simple, en contact direct avec le papier. Il y a des émotions difficiles à faire passer par la caméra. J'ai en projet d'enfin donner le jour à un film pour "Le bonheur au bout du guidon" à partir des images que j'ai tournées. J'aimerais aussi proposer une série de documentaires sur les utopies. Mais je suis aussi sur Canal+ dans la série des Nouveaux Explorateurs où je pars à la rencontre des peuples nomades. Au programme: l'Himalaya, le Sahara, la Sibérie, les Monts Célestes... Je repars bientôt pour l'Australie.

 

EN IMAGES  Son premier voyage : "Le bonheur au bout du guidon"


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