Affaire d'Outreau : "aucun accusé n'aurait dû sortir de prison", le dernier témoignage d'un des enfants Delay

Affaire d'Outreau : "aucun accusé n'aurait dû sortir de prison", le dernier témoignage d'un des enfants Delay Les enfants de Myriam Badaoui et de Thierry Delay vivent toujours avec ce lourd passé de l'affaire d'Outreau. Jonathan, l'un des trois fils, témoigne dans un documentaire Netflix sorti le 15 mars.

[Mis à jour le 15 mars 2024 à 15h23]  Jonathan Delay, l'un des trois fils de Myriam Badaoui et Thierry Delay, s'est à nouveau confié dans une nouvelle série documentaire sur l'affaire d'Outreau, l'un des plus grands désastres judiciaires français, diffusée sur Netflix depuis ce 15 mars, et apellée Outreau, un cauchemar français.  Dans ces quatre épisodes, il raconte ce qu'il a subi durant son enfance et réagit à l'acquittement de 13 personnes sur les 17 accusés. Il dit ne pas comprendre qu'elles soient innocentées et estime que ces personnes restent impliquées. "Aucun des accusés n'aurait dû sortir de prison. Mais ça n'appartient qu'à moi, malheureusement", déplore-t-il. Si le désastre judiciaire, qui a conduit à la condamnation et à la détention de treize innocents reste dans tous les esprits, les jeunes enfants ont bien été victimes de viols en réunion et de sévisses psychologiques. Quatre personnes ont été reconnues coupables : leur mère Myriam Badaoui, son ex-mari Thierry Delay et un couple de voisins. Huit autres enfants ont été reconnus victimes de viols lors des procès de l'affaire, en 2004 et 2005.

Pour la première fois depuis la commission d'enquête parlementaire de 2006, le juge Fabrice Burgaud s'exprime dans ce nouveau documentaire. Il répond aux questions de façon calme, reste distant et froid et se tient aux faits.  "Il y a heureusement des mécanismes de défense, sinon on devient fou (...) Si je dois avoir une pensée, c'est pour les victimes, qu'on a complètement niées."

La série documentaire de France 2 avait été mal reçue par Jonathan Delay

C'est la deuxième série documentaire qui traite de l'affaire. France 2 diffusait, mardi 24 janvier les derniers épisodes de l'Affaire Outreau. Si Olivier Ayache-Vidal, l'un des deux réalisateurs avec Agnès Pizzini, a assuré auprès de France Télévisions avoir tenu "à ce [que les protagonistes] se sentent fiers d'avoir participé" au projet, le ressenti souhaité n'a assurément pas été partagé par tout le monde. "Surjoué, caricatural et tiré par les cheveux. Loin du rêve que l'on m'avait présenté lors de l'annonce du projet", a dénoncé l'un des enfants Delay, Jonathan, sur Twitter, appelant ni plus ni moins "au boycott national de cette série" qu'il n'a pas manqué de qualifier de "fumisterie abominable".

Dans les colonnes du Parisien, le jeune homme explique les raisons de sa colère. "J'ai donné près de neuf heures d'interview, dont la production a gardé trois minutes. Le rendu qui en a été fait est aux antipodes de l'engagement pris par la production. C'est sorti de son contexte, surjoué et diffamatoire", assure-t-il, ajoutant : "C'est toujours le même discours : des enfants menteurs avec une mère mythomane et un juge incompétent ont enfermé 13 innocents en prison pour rien. Ces personnes n'ont pas été innocentées, elles ont été acquittées pour certains au bénéfice du doute." 

Pour Jonathan Delay, "92% du temps est consacré à la parole des innocents contre 8% seulement aux enfants, à leurs défenseurs et aux intervenants sociaux". Il reproche ainsi à France Télévisions "une totale partialité en faveur des acquittés". Enfin, le jeune homme de 28 ans estime avoir été mal représenté. "Quand on regarde la série, on a l'impression que je regrette d'avoir menti. [...] Or je n'ai pas menti, les enfants n'ont pas menti. C'est ça que j'aurais aimé qu'on me laisse dire. J'ai la rage."

Un parcours chaotique pour les enfants Delay

La vie des enfants de Thierry Delay et de Myriam a été très chaotique. En 2015, lors d'un autre procès pour juger Daniel Legrand, un acquitté accusé par la suite par trois des enfants Delay, Chérif Delay s'était confié sur son parcours. Âgé alors de 25 ans, il avait raconté avoir été rapidement marginalisé et avoir été jugé pour violences familiales : "J'ai fini SDF, le jour de mes 18 ans, picolé, fumé, provoqué la police. [...] J'ai des hauts et des bas. Je suis devenu même violent avec ma compagne, c'est pour ça que je suis incarcéré... J'ai l'impression de reproduire certaines choses de mon passé, en gros la violence", disait-il à la barre. Chérif Delay a depuis fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, il a aussi été condamné 14 fois par la justice depuis 2008 et incarcéré 7 fois pour vols, menaces de mort et violences.

En mars 2022, il racontait lors d'un nouveau procès pour violences conjugales sur deux anciennes compagnes, devant le tribunal de Versailles, son rapport à la violence : "Je n'aime pas les femmes, j'ai un problème avec ça. J'assume mon côté violent. Je ne suis pas responsable de qui je suis, mais je suis responsable de ce que je fais", ajoutant : "Mes compagnes ont trinqué. J'ai voulu les tuer, je savais ce que j'allais faire", disait-il. Chérif Delay a été mis en examen pour tentative de meurtre.

Jonathan Delay, qui s'exprime dans le documentaire Netflix, a écrit un livre pour raconter les souffrances qu'il a endurées durant son enfance et ces dernières années. Au-delà de l'irréparable a été publié le 24 février 2021 aux éditions Louise Courteau. Jonathan Delay a aussi créé une association pour soutenir les enfants victimes d'abus sexuels, et confiait, il y a quelques années au Parisien, "galérer". Revenant sur la libération de ses parents dans cette même interview donnée au quotidien de la capitale en 2016, il avait indiqué ne pas avoir revu sa mère et balayé au sujet de la récente sortie, à l'époque, de son père : "Je m'en fous. Il fait sa vie, je fais la mienne !"

Dimitri Delay reste quant à lui plus discret, il avait accepté de prendre la parole en 2013 dans le Point, à l'occasion de la sortie d'un film documentaire sur l'affaire d'Outreau. "Je ne crois plus en la justice ; pour moi, la justice fabrique de l'injustice", disait-il, ajoutant : "Cette affaire, elle nous consume de l'intérieur, elle continue de nous hanter. En grandissant, on a l'impression d'être haï par tout le monde. J'essaie de m'en sortir, de travailler dans ma spécialité : la soudure. J'ai un toit, je mange à ma faim. [...] Pour évacuer, me soulager, j'écris des textes de rap.". Les frères Delay n'ont pas de relations apaisées. "Ça reste très compliqué", disait encore Jonathan au Parisien.