Centrale nucléaire de Zaporijia : des risques d'explosion sur le site ?

Centrale nucléaire de Zaporijia : des risques d'explosion sur le site ? ZAPORIJIA. Depuis l'invasion russe en Ukraine, la centrale de Zaporijia est au cœur des tensions, plusieurs fois touché par des frappes aériennes. Les deux camps s'accusent de planifier des attaques faisant planer le spectre d'une catastrophe nucléaire. Quelle est la situation sur place ?

La centrale de Zaporijia cristallise toujours les tensions dans le conflit entre l'Ukraine et la Russie. Volodymyr Zelensky accuse depuis des semaines la Russie d'avoir miné les six réacteurs de cet important site nucléaire. Selon l'état-major ukrainien, des "objets similaires à des engins explosifs ont été placés sur le toit extérieur des réacteurs 3 et 4. Leur détonation ne devrait pas endommager les générateurs, mais donner l'impression de bombardements depuis le côté ukrainien". De quoi alimenter la crainte d'une catastrophe nucléaire.

La Russie a répondu en attaquant à son tour Kiev de préparer une opération militaire sur ce site que les troupes russes occupent depuis le 4 mars 2022. Renat Karchaa, membre de Rosatom (Société nationale russe pour l'énergie atomique), avait prédit une intervention ukrainienne : "Le 5 juillet, durant la nuit, en pleine obscurité, l'armée ukrainienne va essayer d'attaquer la centrale nucléaire de Zaporijia." Finalement, rien ne s'est passé et la semaine a été calme dans cet oblast (une unité de division administrative issue de l'URSS).

Vue aérienne de la centrale de Zaporijia © /AP/SIPA (publiée le 10/07/2023)

Mais d'autres faits n'incitent pas à l'optimisme du côté des alliés ukrainiens. Dmytro Orlov, maire de la commune d'Enerhodar où se situe la centrale, estime qu'une partie du personnel de Zaporijia a été évacuée vers le territoire russe. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) souhaite "confirmer l'absence de mines ou d'explosifs sur le site". Son directeur général, Rafael Grossi, explique que leurs "experts doivent pouvoir vérifier les faits sur le terrain de manière indépendante et objective". Ce chef de cette agence internationale s'était déjà rendu lui-même à Zaporija début juin pour évaluer la situation après la destruction du barrage de Kakhovka sur le Dniepr. Cependant, l'accès aux toits et à certaines zones du système de refroidissement avait été refusé par les autorités russes.

Un think tank américain, l'Institute for the Study of War, estime que "la Russie reste peu susceptible de générer un incident radiologique à l'heure actuelle. Les réacteurs ont été construits pour résister à des dommages considérables." Les mouvements russes dans cette zone sensible seraient ainsi "destinés à accuser l'Ukraine d'irresponsabilité avant le prochain sommet de l'OTAN" qui se tient à partir du 11 juillet à Vilnius en Lituanie. La Chine aurait également inciter la Russie à ne pas tomber dans l'emploi du nucléaire dans son conflit avec l'Ukraine comme le souligne Midi Libre. Pékin est l'allié crucial de la Russie, agir contrairement à ce conseil serait donc particulièrement risqué pour la Russie.

La centrale nucléaire de Zaporijia ciblée par les bombardements

La centrale de Zaporijia, qui n'est autre que la plus grande d'Europe, préoccupe particulièrement les autorités locales comme internationales. Sur place, la situation est tendue. La Russie et l'Ukraine s'accusent mutuellement de frappes sur la centrale. "Ce qu'il faut comprendre, c'est que tant que les Ukrainiens ne cesseront pas de bombarder la centrale, l'Ukraine, la Russie et l'Europe courront un grand danger. Et ce n'est pas de la politique !", a confié un dirigeant de Rosatom, le constructeur de la centrale russe, à franceinfo. Aucune trace de radioactivité anormale n'a été relevée autour de la centrale de Zaporijia. L'AIEA souhaite installer une présence permanente sur le site afin d'éviter un accident nucléaire.

Plusieurs bombardements ont pris pour cible la centrale nucléaire de Zaporijia ou les villes voisines depuis le début de la guerre en Ukraine. Moscou et Kiev se rejettent mutuellement la faute à chaque nouvelle frappe, mais les deux camps sont appelés par la communauté internationale et l'AIEA à mettre un terme aux attaques près du site compte tenu du danger que cela représente. Depuis le début de la contre-offensive ukrainienne, les frappes dans la région de la centrale sont quotidiennes. Mais aucune attaque majeure n'a ciblé la centrale.  Vouloir détruire Zaporijia apparaît comme insensé pour les acteurs de ce conflit mais l'explosion du barrage de Khakhovka illustre à quel point il est délicat de prévoir le futur de ce conflit.

Outre les bombardements qui ont déjà touché un bâtiment de stockage de matière radioactive et un réacteur de la centrale, la centrale nucléaire de Zaporijia a aussi été momentanément déconnectée du réseau électrique par les troupes russes entre le 25 et le 26 août 2022. La procédure, même temporaire, a failli mettre en péril la centrale puisqu'elle a empêché le refroidissement des réacteurs et a fait courir le risque d'une surchauffe et donc d'un accident nucléaire. La situation est revenue à la normale grâce à un système de secours qui a pris le relais jusqu'au raccordement du site au réseau électrique. Les jours suivants, l'opérateur nucléaire ukrainien Energoatom a mis en garde contre des risques de fuites radioactives et d'incendies après de nouvelles frappes. La compagnie nationale a indiqué que "l'infrastructure de la centrale a été endommagée et il existe des risques de fuite d'hydrogène et de pulvérisation de substances radioactives". Selon elle, il faut aussi craindre un risque d'incendie élevé.

Quels sont les objectifs de la mission de l'AIEA ?

Les missions de l'Agence internationale de l'énergie atomique sont multiples. Elles doivent, dans un premier temps, permettre d'évaluer les conditions de travail du personnel dans la centrale de Zaporijia. Composée de quatorze inspecteurs internationaux venus d'Albanie, de Chine, de France, d'Italie, de Jordanie, de Lituanie, de Macédoine du Nord, du Mexique, de Pologne et de Serbie, la délégation de l'Agence a un mandat limité. Dans un entretien au journal Le Monde, le directeur général de l'AIEA, Rafael Grossi, détaillait sa mission. "Elle vise la sécurité et la sûreté de l'installation, c'est-à-dire son fonctionnement normal et sans entrave", expliquait-il. Ainsi, après un état des lieux, les membres de la mission ont pu réparer l'essentiel, remettre en route les systèmes de transmission endommagés. Les piscines d'entreposage du combustible usé vont aussi être inspectées. Enfin, l'approvisionnement en électricité a été contrôlé. En effet, il est indispensable au refroidissement des réacteurs afin d'éviter un accident nucléaire. "Je veux croire que notre présence sur place aura un effet sinon dissuasif, du moins réel", confiait alors Rafael Grossi. Pourtant, sa tentative de placer Zaporijia sous contrôle international est restée lettre morte auprès de Vladimir Poutine qui ,par décret, a nationalisé le complexe nucléaire le 5 octobre 2022.

Quels sont les risques pour la centrale nucléaire de Zaporijia ?

L'Agence internationale de l'énergie atomique confirme être inquiète au sujet de la centrale nucléaire de Zaporijia et des risques qui couvent sur le site à cause des bombardements. "L'installation fonctionne, mais avec des difficultés, de sorte que dans les circonstances actuelles, le scénario d'un accident ne peut être exclu. Il y a des interruptions en continu de l'approvisionnement électrique, des problèmes avec les combustibles usés… Un accident vous fait passer du vert au rouge sans transition. Donc, je suis effectivement inquiet", détaillait Rafael Mariano Grossi, le directeur général de l'AIEA, dans un entretien accordé au Monde le 26 août2022. 

Le risque d'accident de fusion au cœur de la centrale est devenu une possibilité depuis la déconnexion de la centrale nucléaire au réseau électrique fin août. L'électricité est indispensable pour assurer le refroidissement des réacteurs et éviter un accident nucléaire et selon le patron du nucléaire ukrainien, Petro Kotin, 90 minutes sans électricité seraient suffisantes pour que la température des réacteurs devienne préoccupante et qu'un début de fusion soit envisagé. Reste que le risque est "très improbable" selon Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheuse en physique nucléaire au Conservatoire national des arts et métiers, contactée par le Monde, le 31 août. Les importantes mesures de sécurité qui tiennent en la présence de vingt groupes électrogènes de secours offrent "environ une semaine à dix jours d'autonomie de carburant", de quoi laisser le temps d'intervenir et d'éviter la catastrophe. L'experte exclut aussi le risque d'explosion ou de formation d'un nuage radioactif comme cela avait été le cas lors de l'explosion de Fukushima.

Selon Emmanuelle Galichet, les risques et les accidents plus susceptibles d'arriver concernent surtout les stockages des déchets radioactifs. "Si les conteneurs très robustes dans lesquels ils sont entreposés venaient à céder, il y aura une dissémination de radioactivité autour de la zone de stockage", explique-t-elle en écartant encore une fois l'hypothèse d'un nuage radioactif dans la haute atmosphère. Pour l'heure, "aucun rejet anormal de radioactivité" n'a été constaté par les instituts de recherche, très attentifs à la situation.

Carte de la centrale nucléaire de Zaporijia

La centrale nucléaire de Zaporijia est située sur les bords du fleuve Dniepr, dans la partie sud de l'Ukraine. Le site ne se trouve pas à proximité directe de la ville, mais à une cinquantaine de kilomètres à vol d'oiseau au sud-ouest de la commune. Elle est précisément installée sur le territoire de la ville d'Enerhodar.

Si l'Ukraine compte à ce jour cinq centrales nucléaires sur son territoire, celle de Zaporijia est la plus puissante d'Europe.