Abou Mohammed al-Joulani : le chef des islamistes du HTS est-il un terroriste ou un "héros" pour la Syrie ?

Abou Mohammed al-Joulani : le chef des islamistes du HTS est-il un terroriste ou un "héros" pour la Syrie ? Le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a annoncé dimanche 8 décembre la chute du "tyran" de Bachar al-Assad. Son chef, Abou Mohammed al-Joulani, a des antécédents avec des groupes terroristes comme al-Qaïda.

"Nous déclarons la ville de Damas libérée du tyran Bachar al-Assad", ont annoncé les rebelles islamistes du Hayat Tahrir al-Sham (HTS) le dimanche 8 décembre, après la chute du dictateur qui était au pouvoir depuis 2000. "C'est le moment que les déplacés et les prisonniers attendent depuis longtemps, le moment du retour chez eux et le moment de la liberté après des décennies d'oppression et de souffrance", ont-ils ajouté sur Telegram. Des paroles ensuite reprises sur la télévision publique, relate Libération.

Le régime de Bachar al-Assad n'a pas tenu face au soulèvement des rebelles qui s'est organisé sur plusieurs fronts, mais c'est le groupe HTS dirigé par Ahmed al-Chareh, plus souvent désigné par son nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani, qui a marché sur Damas et entrainé la fuite du dictateur à Moscou. L'homme est une figure des forces rebelles syriennes qui a fréquenté les hommes forts de plusieurs groupes islamistes et terroristes, mais qui s'en est éloigné dans le but d'apparaître comme une alternative politique pour la Syrie.

"Ce sont des ennemis déclarés du groupe Etat islamique"

A partir du 27 novembre, une coalition de rebelles soutenue par la Turquie et menée par le groupe islamiste révolutionnaire HTS s'est dirigée vers le sud du pays, et Damas, en prenant ville après ville. Le groupe HTS, signifiant "Organisation de libération du Levant", fondé par Ahmed al-Chareh est actif dans la révolte contre le régime de Bachar al-Assad depuis 2011. Il s'agit d'une ancienne branche d'al-Qaïda qui s'est d'abord nommée Front al-Nosra avant de rompre ses liens avec le groupe terroriste en 2016 et de devenir le HTS en 2017.

Son chef, Abou Mohammed al-Joulani, s'est radicalisé dans le début des années 2000, après la deuxième antifada selon ses déclarations auprès de PBS Frontline rapportées par RFI : "J'avais 17 ou 18 ans à l'époque et j'ai commencé à réfléchir à la manière dont je pouvais remplir mes devoirs, en défendant un peuple opprimé par les occupants et les envahisseurs". Les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis semblent aussi avoir joué un rôle. Il part d'ailleurs se battre en Irak après l'invasion américaine en 2003, c'est là qu'il rejoint al-Qaïda. Emprisonné, il rencontre Abou Bakr al-Baghdadi qui deviendra le chef de l'Etat islamique (Daech) et décide de créer un califat en Syrie. Mais il prend ses distances avec Daech, restant fidèle à al-Qaïda qu'il finit par quitter quelques années plus tard. Le groupe HTS reste toutefois classé comme "terroriste" par Washington.

En rompant avec al-Qaïda, le groupe renonce en quelque sorte au terrorisme, il veut s'inscrire dans ce que l'on pourrait qualifier de salafisme-djihadisme plus réaliste. Il rouvre le dialogue avec les États-Unis, dissocie le militaire du politique...", explique à BFMTV Pierre Boussel, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de l'organisation HTS. Celle-ci est "rigoriste et islamiste, mais ce ne sont pas des jihadistes dans le sens d'al-Qaïda ou du groupe Etat islamique", indique à Franceinfo le journaliste Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes. "Ce sont des ennemis déclarés du groupe Etat islamique. Leurs prisons sont pleines de sympathisants" de cette organisation.

"La diversité sera notre force, et non une faiblesse"

Le groupe islamiste souhaite d'ailleurs lisser son image, note Le Monde, en donnant des gages pour être retirée des listes d'organisations terroristes. Le journaliste Wassim Nasr de France 24 note en ce sens que HTS a donné des directives à ses membres : "Pas de tirs en l'air" puisque c'est dangereux et que ça "terrorise les habitants", "évacuer les centres-villes", ou encore "épargner les institutions publiques car elles appartiennent au peuple". Une consigne réitérée dimanche après la prise de Damas : le chef de la coalition rebelle a appelé ses combattants à ne pas s'approcher des institutions publiques de la capitale.

Le groupe s'est également rapproché des Kurdes syriens, et a affirmé que "dans la future Syrie, nous pensons que la diversité sera notre force, et non une faiblesse". Inimaginable il y a quelques années, pointe Le Monde. HTS se veut une alternative politique en Syrie. Il contrôle depuis 2020 la province d'Idleb, dans le nord-ouest du pays, et y a mis en place un "gouvernement du salut", avec une administration et une armée. Des autorités qui respectent et fonctionnent selon l'idéologie islamiste, même si selon le journaliste Wassim Nasr le groupe se montre moins rigoriste que les talibans en Afghanistan par exemple. Reste que le chef du HTS a conservé une idéologie proche de celle d'al-Qaïda selon Fabrice Balanche, maître de conférences à l'Université Lyon 2 interrogé par RFI : "Il a imposé un totalitarisme islamique sur Idleb, éliminant physiquement des milliers d'opposants, que ce soit des laïques ou des islamistes modérés comme le groupe al-Cham".

Un islamiste qui modère son image

A la tête d'un groupe islamiste et aux antécédents terroristes, Ahmed al-Chareh a changé son image et sa façon de se présenter aux monde ces dernières semaines. Il est passé du chef de guerre nommé Abou Mohammed al-Joulani à un côté plus politique et plus tolérant et ouvert au pluralisme notamment religieux. Il s'est rapproché des Druzes ou encore des Kurdes qui combattent les forces syriennes. Le chef du groupe rebelle a aussi été indirectement soutenu par le Turquie qui s'opposait fermement au régime de Bachar al-Assad ces dernières années. Des relations avec Ankara qu'il veut et doit soigner pour apparaitre comme un possible dirigeant responsable et se détacher de son image de terroriste qui perdure auprès de l'Occident.

Quant aux actions menées ces derniers jours, le chef du HTS déclarait sur CNN que les forces rebelles avaient "le droit d'utiliser tous les moyens nécessaires pour atteindre" leur objectif, à savoir renverser le régime Assad, soutenu par la Russie. Après la chute du régime, le groupe a affirmé avoir libéré les prisonniers de la tristement célèbre prison de Sednaya, qu'Amnesty International avait qualifiée en 2017 d'"abattoir humain" : 5 000 et 13 000 personnes avaient été secrètement torturées et exécutées au cours des cinq premières années de guerre civile, rappelle la BBC. Le conflit en Syrie, entre le régime et les rebelles, a fait plus d'un demi-million de morts, et a provoqué l'une des pires crises migratoires de l'histoire.