"Fillon remonte", un coup des Russes ?

"Fillon remonte", un coup des Russes ? Alors qu'un sénateur américain alerte sur l'ingérence russe dans la campagne présidentielle française, le site Sputnik affirme que François Fillon revient "en tête" des sondages...

[Mis à jour le 30 mars 2017 à 22h32] La coïncidence est troublante. Ce matin, la presse française se montrait particulièrement préoccupée par le constat d'un sénateur américain, Richard Burr. Ce républicain, à la tête de la très sérieuse commission du Renseignement, estimait en effet mercredi que les Russes étaient "activement impliqués dans les élections françaises". Chargé d'enquêter sur l'influence de la Russie dans la présidentielle américaine, il jugeait "raisonnable de dire, d'après ce que tout le monde estime", que Moscou tente aussi d'influencer le scrutin qui va se dérouler le 23 avril et 7 mai dans l'Hexagone et les outre-mers.

Hasard du calendrier ou non, il suffisait dès cet après-midi de saisir les mots "sondage" et "présidentielle" dans Google pour voir figurer tout en haut des résultats de recherche un article affirmant que François Fillon était "de retour en tête des sondages". La source de cette information : Sputnik, le site de l'agence de presse officielle russe, accusé depuis plusieurs semaines de faire de la propagande au sujet de l'élection présidentielle en France, au même titre que la chaîne Russia Today. Les deux médias disposent de deux sites Internet en français particulièrement actifs.

© Capture d'écran Google

Une étude nébuleuse de "Brand Analytics"

Pour assurer sans sourciller que François Fillon revient "en tête" des sondages, Sputnik se base sur "une étude réalisée par la société Brand Analytics et basée sur l'analyse des réseaux sociaux". Rien à voir avec un sondage, donc, a priori. "Sur la période comprise entre le 14 et le 28 mars, l'ex-Premier ministre mène la course avec 23,6 %, devançant Emmanuel Macron de 0,5 %, indiquent les résultats de l'étude", écrit ensuite Sputnik, sans préciser à quoi correspondent exactement les chiffres avancés. "Marine Le Pen clôt le peloton de tête avec 20,9 %", poursuit le site dans son article.

Brand Analytics est présenté par Sputnik comme "un leader en termes de monitorage des réseaux sociaux, selon le classement AdIndex 2016". Une société spécialisée "dans l'étude de l'opinion publique et dans l'analyse des réseaux sociaux à l'échelle internationale". Sur les sites Internet labellisés "Brand Analytics" en français, anglais ou même russe, pourtant, nous n'avons retrouvé aucune mention de l'étude ni même des candidats à l'élection présidentielle. Tenter de cerner cette société avec précision se révèle par ailleurs compliqué...

Selon tous les instituts français, François Fillon ne passe pas le premier tour

L'information de Sputnik est d'autant plus étonnante que toutes les enquêtes d'opinion effectuées en France depuis mi-février, par des instituts reconnus, donnent le candidat de la droite distancé par Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Si l'on fait le point, on se rend compte que le "rolling Ifop Fiducial" de ce jeudi 30 mars, effectué pour Paris Match, CNews et Sud Radio crédite Emmanuel Macron de 26% des intentions de vote, devant Marine Le Pen (25,5%) et François Fillon (17,5%).

Ce même jour, OpinionWay pour Radio Classique et Les Echos donne également Emmanuel Macron et Marine Le Pen en tête du premier tour (avec 25% des voix tous les deux) et le candidat de la droite crédité de 20% des intentions de vote. Enfin, selon le sondage Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France, daté du mardi 28 mars, Emmanuel Macron et Marine Le Pen font aussi la course en tête, avec respectivement 25% et 24% des intentions de vote, François Fillon n'est crédité que de 18% des voix (voir les derniers sondages de la présidentielle).

Sputnik, un site qui diffuse "de fausses informations"

Quel crédit apporter à Sputnik, qui se présente comme un "média d'informations" depuis 2014 en France ? Sur la page "Qui sommes nous ?" du site Internet, on découvre que cette "nouvelle marque d'information" entend montrer "la voie d'un monde multipolaire qui respecte les intérêts nationaux, la culture, l'histoire et les traditions de chaque pays". Sputnik s'est aussi donné la mission de dévoiler "ce dont les autres ne parlent pas" et d'incarner un "fournisseur d'informations alternatives". Un concept qui rappelle certains termes entendus dans la bouche de Donald Trump ces derniers mois. Comme le rappelle Le Monde, à travers son interface des Décodex - plateforme qui met en garde contre les "fake news" diffusées sur Internet -, Sputnik "propage régulièrement de fausses informations". Le Monde indique par ailleurs que le directeur du site "a été directement nommé par Vladmir Poutine sur décret".

Alors les médias russes tentent-ils d'influencer le résultat de la présidentielle avec des informations biaisées voire des fake news ? D'aucuns souligneront que François Fillon affiche un programme parmi les plus ouverts sur la Russie parmi les 11 candidats qui s'affrontent pour accéder à l'Elysée. Difficile pour autant d'assurer que la Russie en général et Sputnik en particulier "roulent" pour le candidat de la droite. Mais cet article devrait encore apporter de l'eau au moulin du sénateur Burr et de tous les observateurs de cette drôle de campagne.