Taha Bouhafs : ses avocats s'en prennent à LFI

Taha Bouhafs : ses avocats s'en prennent à LFI TAHA BOUHAFS. Le comité de suivi des violences sexuelles et sexistes de LFI est mis en cause par l'ex-candidat Taha Bouhaf qui parle, par le biais de ses avocats, d'une procédure "hors du droit".

[Mis à jour le 7 juillet 2022 à 16h56] Un énième rebondissement vient relancer la tempête médiatique autour de l'ex-candidat LFI Taha Bouhafs. Le 5 juillet, il s'adressait à son parti dans une lettre ouverte, y mettant en cause une procédure interne opaque suite aux accusations de violences sexuelles à son encontre, rendues publiques au mois de mai. Aujourd'hui, ses avocats dénoncent une procédure "hors du droit" menée par le comité de suivi des violences sexuelles et sexistes de LFI, qui empêcherait Taha Bouhafs de répondre aux accusations le visant. "Taha Bouhafs entend, par la voie de ses conseils, réaffirmer son droit de connaître les accusations dont il fait l'objet afin de pouvoir y répondre, au même titre que n'importe quel citoyen publiquement accusé ", écrivent dans un communiqué ses trois avocats, Mes William Bourdon, Raphaël Kempf et Vincent Brengarth. 

Le journaliste indépendant et militant s'était retrouvé sous le feu des projecteurs au mois de mai, lorsque les médias avaient révélé les plaintes pour agressions sexuelles déposées à son encontre, le contraignant à retirer sa candidature aux législatives. En ce début de mois de juillet, il est revenu dans l'actualité, cette fois pour se défendre... Ou plutôt pour accuser à son tour. Dans cette lettre ouverte, il déclare n'avoir "jamais été confronté auxdites accusations". Il reproche au parti de ne pas lui avoir permis de se défendre face aux accusations de violences sexuelles dont il fait l'objet, et demandait "une procédure juste et équitable" dans laquelle il pourrait "savoir ce qu'on lui reproche". Comment le parti a-t-il réagi à cette mise en cause venant de son ex-candidat ? En sait-on davantage sur ces accusations ? On fait le point.

Quelle est la réponse de LFI à la lettre ouverte de Taha Bouhafs ?

Dans cette lettre, Taha Bouhafs affirmait donc ne pas avoir été mis au courant de la teneur de ces accusations ni de l'identité des plaignantes : "Quelle que soit l'incrimination dont je fais l'objet, je devrais pouvoir savoir précisément ce que l'on me reproche pour pouvoir émettre ma propre version des faits", peut-on lire. Il y accusait plus précisément la députée LFI Clémentine Autain de lui avoir mis la pression pour qu'il abandonne sa candidature au nom du parti, le 9 mai dernier. Il expliquait qu'elle l'aurait poussé à cacher les raisons de son retrait, pour ne pas révéler qu'elles étaient liées à ce signalement déposé auprès du comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de LFI. Il contredit ainsi la version de la députée de Seine-Saint-Denis qui aurait pour sa part avancé que la procédure n'avait pas "à aller jusqu'au bout" puisqu'il se "serait retiré de lui-même". De son côté, il explique que c'est précisément sur la sa demande qu'il s'était retiré, afin que la "procédure se déroule sereinement".

Quelques heures après la lettre ouverte de l'ex-candidat LFI le 5 juillet, le parti s'est empressé de répondre à ses reproches dans un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux. Expliquant vouloir "respecter la volonté d'anonymat des plaignantes", il commence par démentir les accusations formulées à l'encontre de la députée Clémentine Autain. "Nous ne nous reconnaissons pas dans sa version d'une partie des faits ayant conduit à son retrait de candidature pour les élections législatives mais nous entendons sa démarche et la prenons en compte", explique le parti qui veut rappeler son "engagement féministe" et son souci du respect de la procédure judiciaire. On y apprend que le parti aurait reçu "deux signalements susceptibles d'être caractérisés comme des accusations graves d'agressions sexuelles" précisément au moment où "Taha Bouhafs s'apprêtait à être investi" par le mouvement politique. LFI explique avoir pris acte du retrait de Taha Bouhafs "sans communiquer publiquement à ce sujet" : ce sont "les médias" qui ont "révélé la raison véritable" de son retrait au mois de mai. Finalement, si aucune "confrontation" ne sera organisée par respect pour les plaignantes, Taha Bouhafs devrait être entendu par les "instances du parti". En parallèle, LFI assure poursuivre son "travail de conviction" auprès des plaignantes pour qu'elles "saisissent la justice" à laquelle le parti dit ne pas pouvoir se substituer". Le parti conclue : "Les autres organisations politiques qui n'ont aucune procédure dans ce domaine ne risquent pas d'être mises devant toutes les difficultés que posent le règlement de telles situations !", en réponse aux personnalités politiques qui critiquent le fonctionnement interne et la gestion des accusations de violences sexistes et sexuelles au sein de l'organisation.

Le 6 juillet, le vice-président du groupe Insoumis à l'Assemblée Manuel Bompard réagissait également sur France Inter : "Il y a une procédure et il est légitime qu'il demande à se défendre", expliquait-il en réponse à la lettre de Taha Bouhafs. En revanche, selon lui, il n'est "pas vrai de dire" qu'il n'y aura pas d'enquête ou "qu'il ne sera pas confronté aux faits dont il est accusé" ; il explique qu'y a bel et bien eu "une mesure d'urgence" puisque ces témoignages sont "arrivés au moment où il devait être investi comme candidat aux élections législatives". Le député précise que c'est bien "par prudence" qu'il a été décidé de ne pas l'investir.

Qui accuse Taha Bouhafs de violences sexuelles ?

Le 11 mai 2022, BFM TV et Médiapart dévoilaient que Taha Bouhafs était accusé par une militante du parti LFI de violences sexuelles. Les faits présumés avaient été signalés quelques jours avant au Comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de la France insoumise, parti qui avait investi Taha Bouhafs pour les législatives. Si les deux médias avaient avancé qu'un seul témoignage avait été enregistré par le Comité de suivi contre les violences sexistes de LFI, Médiapart avançant même que la personne ayant fait le signalement était une ex-petite amie de Taha Bouhafs, la militante féministe Caroline de Haas avait déjà précisé à ce moment que "deux témoignages différents" existaient, provenant de "personnes qui ne se connaissent pas". De plus, le comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de LFI avait mentionné "les femmes qui ont parlé". Le communiqué paru le 5 juillet dernier a réaffirmé cette piste de deux femmes présumées victimes : "Deux signalement susceptibles d'être caractérisés comme des accusations graves d'agressions sexuelles nous ont été adressés". Cependant, pas davantage d'informations n'ont, à ce stade, filtré sur les accusatrices, ni même sur la teneur exacte des faits reprochés au militant. 

Pourquoi Taha Bouhafs a-t-il retiré sa candidature des législatives ?

Taha Bouhafs, Insoumis de longue date, s'était présenté sous la bannière du Nupes dans la 14e circonscription du Rhône, composée des villes de Vénissieux, de Saint-Fons et de Saint-Priest. Ce poste était jusqu'ici occupé par le député LREM Yves Blein, qui l'avait emporté au second tour des législatives de 2017 face à Damien Moncheau, candidat FN. A l'époque, les candidats de la gauche étaient arrivés au pied du podium, avec seulement 14,59% des voix au premier tour pour le LFI Benjamin Nivard et 10,45% pour Michèle Picard du PCF. Cette année, Taha Bouhafs devait faire face au policier youtubeur Bruno Attal, engagé pour le parti Reconquête!, qui est également un personnage connu pour ses prises de position très radicales : les deux hommes s'étaient mainte fois interpellés sur les réseaux sociaux. Finalement, c'est le candidat de la Nupes, l'Insoumis Idir Boumertit qui a remporté le second tour des législatives le 19 juin dernier.

Pour Taha Bouhafs, l'aventure s'est donc très vite arrêtée. Investi le 7 mai, retiré deux jours plus tard. Dans un message posté dans la nuit du 9 au 10 mai, il déclarait qu'il ne concourait finalement plus à la députation dans la 14e circonscription du Rhône. Il décrivait une situation très compliquée psychologiquement, avec une pluie de "calomnie", d'"insulte", de "menace de mort" chaque jour déversée sur sa personne. "J'espère que cette déclaration ne vous fera pas baissez les bras." Avant de poursuivre en s'adressant aux militants de la Nupes qui le suivent de près sur les réseaux sociaux : "continuez à vous battre. Pour ma part, j'ai essayé mais je n'y arrive plus." Après coup, le motif de son retrait s'est avéré plus complexe, mêlant accusations de violences sexuelles et bashing de la part de l'extrême-droite. De fait, sa candidature a fait dès le début l'objet de tensions au sein de l'union de la gauche à la suite de son investiture par la Nupes pour les législatives. Décrié, il l'était pour diverses raisons : sa condamnation pour "injure publique en raison de l'origine" envers la policière Linda Kebbab avait fait mouche, autant que ses actions militantes décrites comme trop radicales par une partie de la classe politique.

Taha Bouhafs, personnage controversé

A seulement 25 ans, ce journaliste indépendant est une personnalité qui fait couler beaucoup d'encre. Originaire d'Isère, il a d'abord couvert l'actualité des luttes et des mouvements sociaux pour les médias Là-bas si j'y suis et Média. Il s'est fait connaître en filmant Alexandre Benalla en train de violenter un couple de manifestants place de la Contrescarpe à Paris, le 1er mai 2018. Il a ainsi été à l'origine de la grande "affaire Benalla". Militant anti-raciste, il fut aussi, avec le Comité Adama et le Collectif contre l'Islamophobie en France, l'un des initiateurs de la marche contre l'islamophobie le 10 novembre 2019. Cette manifestation, organisée pour dénoncer la stigmatisation des Français de confession musulmane, a suscité les critiques de l'extrême-droite, et avait même fait controverse à gauche, le PS ayant refusé d'y participer. 

Les polémiques se sont alors enchaînées, entre la fausse rumeur qu'il a relayé concernant la mort d'un étudiant après une intervention policière durant l'occupation du campus parisien de Tolbiac ou l'affaire Linda Kebbab. Cette dernière est une syndicaliste policière que Taha Bouhafs avait qualifiée d'"arabe de service" sur Twitter en juin 2020. Linda Kebbab ayant porté plainte, il a été condamné pour délit d'injure publique à raison de l'origine et à une amende de 1500 euros, une décision de justice à laquelle Taha Bouhafs a fait appel. L'affaire est toujours en cours d'examen et n'a pas fini de faire parler d'elle, puisqu'elle est fréquemment utilisée par ses opposants politiques, en particulier à l'extrême-droite, pour le discréditer, lui et son mouvement. De manière générale, les attaques à son encontre sont venues de toutes parts, le communiste Fabien Roussel ayant demandé à ce qu'il retire sa candidature : "Je ne comprends pas que la France insoumise investisse un candidat condamné pour injure raciale", avait-il expliqué, en référence à l'affaire Linda Kebbab. Si Taha Bouhafs avait donc expliqué retirer sa candidature à cause de ce déferlement de critiques et d'injures, on sait aujourd'hui qu'une autre raison a pu motiver son choix.