Procès d'Éric Dupond-Moretti : le ministre relaxé souhaite "tourner la page"

Procès d'Éric Dupond-Moretti : le ministre relaxé souhaite "tourner la page"

Jugé pour "prise illégale d'intérêts", Éric Dupond-Moretti a été relaxé par la Cour de justice de la République, ce mercredi 29 novembre. Invité sur le plateau du 20 Heures de France 2, le ministre est revenu sur son procès.

Éric Dupond-Moretti ne quittera pas le gouvernement. Le ministre de la Justice, jugé pour "prise illégale d'intérêts" dans deux affaires, a été relaxé par la Cour de justice de la République (CJR), ce mercredi 29 novembre 2023. Sur le plateau du 20 Heures, peu après l'annonce du verdict, le garde des Sceaux, qui n'avait pas fait de commentaire à sa sortie du tribunal, est revenu sur ce procès qu'il n'a pas hésité à qualifier de "douloureux". Maintenu à son poste de  ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti compte désormais "tourner la page" et "reprendre le cours ordinaire de [son] travail". 

"Ce procès était pour moi une épreuve, et en même temps un soulagement. Parce qu'il y a plus de trois ans que j'attendais le moment de m'expliquer enfin", a mis en avant le garde des Sceaux. Face à Anne-Sophie Lapix, Éric Dupond-Moretti s'est justifié sur son absence de démission, qui aurait pu, selon la journaliste, peut-être protéger la fonction. "J'ai accepté pendant trois ans de me faire injurier, je n'ai jamais répondu pour préserver la fonction ministérielle. Et j'ai bien fait de le faire", a-t-il affirmé, remerciant au passage le président de la République Emmanuel Macron qui, selon lui, contrairement aux médias, a "toujours été respectueux de [sa] présomption d'innocence".

Alors que le chef de l'État, encore candidat en 2017, avait assuré qu'en cas de mise en examen de futurs membres de son gouvernement, ceux-ci devraient démissionner, Éric Dupond-Moretti a assuré n'avoir, lui, jamais remis sa démission. Le garde des Sceaux a même pointé le fait que "c'est bien de ne pas avoir été contraint [de le faire] parce [qu'il est] innocent ce soir". "Et je voudrais que l'on s'en souvienne !" a-t-il insisté. "C'est la victoire du droit", avait pour sa part souligné à l'issue de l'audience l'avocate d'Éric Dupond-Moretti, Jacqueline Laffont. "La Cour de justice de la République a jugé que le ministre de la Justice était innocent. C'est ce que l'on espérait, c'est ce que le droit dictait", avait-elle encore ajouté. 

La décision de la CJR a tout d'un soulagement pour le garde des Sceaux qui risquait de quitter le gouvernement avec ce procès. Et plus que d'être maintenu à sa fonction ministérielle, Éric Dupond-Moretti pourrait être renforcé dans son rôle, maintenant qu'il a été reconnu "non coupable" des faits qui lui ont été reprochés. Le gouvernement a lui aussi arrêté de retenir son souffle après l'annonce de la relaxe du ministre de la Justice, l'éventuelle condamnation du garde des Sceaux faisait planer le spectre d'un remaniement au-dessus la Première ministre. Cette dernière a d'ailleurs affiché son soutien au ministre après que la CJR a rendu son verdict : Éric Dupond-Moretti "va pouvoir continuer à mener son action au sein de l'équipe gouvernementale, au service des Français. Je m'en réjouis", a-t-elle écrit sur X (ancien Twitter).

Le ministre de la Justice a également reçu le soutien d'Emmanuel Macron qui l'a reçu à l'Élysée à l'issue de l'audience, ce mercredi. Un soutien qui était assumé même avant que le verdict de la CJR ne soit connu et exprimé lors du Conseil des ministres du 22 novembre, selon franceinfo. Mais si le gouvernement se réjouit du maintien d'Éric Dupond-Moretti, les relations entre le ministre et les magistrats, déjà loin d'être au beau fixe, pourraient sortir de cette affaire encore plus abîmées.

Une décision trop clémente pour le ministre de la Justice ?

Au moment de rendre son verdict, le président de la Cour de justice de la République a déclaré qu'"à défaut de caractérisation de l'élément intentionnel de prise illégale d'intérêts, monsieur Dupond-Moretti doit être relaxé". Le ministre de la Justice était accusé d'avoir utilisé sa fonction de membre du gouvernement pour régler ses comptes avec quatre magistrats qui l'avaient ouvertement critiqué, mais "aucun élément ne permet de dire qu'il est passé outre à la situation de conflit d'intérêt qui n'avait pas été portée à sa connaissance", a encore indiqué le président de la Cour.

Cette décision ne satisfait pas une partie de la classe politique, notamment à gauche. La France insoumise estime qu'"alors que le procès a fait la démonstration implacable de la culpabilité [d'Eric Dupond-Moretti], une majorité des juges parlementaires a fait le choix de la relaxe". Le parti juge qu'il "est temps de supprimer cette juridiction d'entre-soi systématiquement partiale". Pour les syndicats de magistrats aussi la décision a de la CJR a de quoi surprendre, mais Christophe Clerc, avocat du Syndicat de la magistrature (SM), retient surtout que "la décision, dans des termes dépourvus d'équivoque, a relevé à deux reprises un conflit d'intérêts. (...) Aujourd'hui, ce conflit d'intérêts qui était nié [par Eric Dupond-Moretti] est reconnu. (...) Nous sommes heureux que, pour l'avenir, de tels phénomènes ne puissent se reproduire". 

La Cour de justice de la République est la seule instance habilitée à juger un membre du gouvernement, mais elle est aussi taxée d'être trop clémente. Créée en 1993, la CJR a statué sur 11 affaires, 12 avec le procès d'Eric Dupond-Moretti, et ses décisions ont souvent été jugées trop douces : cinq condamnations avec sursis, quatre relaxes, cinq avec celle du ministre de la Justice, et deux condamnations avec dispense de peine ont été prononcées. Une indulgence qui viendrait de la composition du jury, formé par trois magistrats professionnels, six députés et six sénateurs. La majorité des jurés vient donc du monde politique et pourrait être animée par des pensées politiques plus que par l'application de la loi, selon les critiques des juristes.

Un procès historique

Premier ministre en fonction a avoir été conduit en justice, Eric Dupond-Moretti sort vainqueur d'un procès historique. Durant ce procès qui s'est tenu sur deux semaines entre le 6 et le 17 novembre derniers, les juges avaient pour mission de déterminer si le garde des Sceaux a profité de son arrivée au gouvernement pour régler ses comptes avec certains magistrats. Magistrats avec lesquels il avait pu connaître des différents lors de sa carrière d'avocat qui a précédé sa carrière politique. Dès le début du procès, le ministre de la Justice avait dénoncé une "infâmie" 

Lors des réquisitions, le procureur général de la Cour de cassation, Rémy Heitz, avait réclamé à la Cour de justice de la République (CJR) que le ministre jugé pour prise illégale d'intérêts soit reconnu "coupable", demandant une peine d'un an de prison avec sursis. Toutefois, alors que la peine d'inéligibilité est en principe obligatoire en cas de condamnation, Rémy Heitz avait estimé que la Cour pouvait "s'en dispenser", s'en remettant à sa "sagesse".