La Guyane, grande oubliée de la politique de Macron ?

La Guyane, grande oubliée de la politique de Macron ? Pour le réveillon du Nouvel an, Élisabeth Borne sera en Guyane. Un déplacement qui intervient au moment où la frustration grimpe chez les élus locaux face à l'absence de dialogue avec le gouvernement.

Un réveillon aux côtés de l'armée mais un déplacement aussi politique. Elisabeth Borne va passer la soirée du 31 décembre auprès des forces armées présentes en Guyane. La Première ministre se rend sur ce territoire d'outre-mer qui regroupe 2 200 militaires, un millier de gendarmes et qui a été endeuillé à deux reprises cette année lors de missions de lutte contre l'orpaillage illégal (Quelque 500 sites d'orpaillage illégal seraient toujours actifs). Par ailleurs, dans cette région aux portes de l'Amazonie, 30% de la population est en situation de grande pauvreté. C'est dans ce climat d'insécurité et de précarité que la Première ministre va poser ses valises. Face à elle, des élus locaux en colère l'attendent de pied ferme pour évoquer la situation sur place, alors que l'action d'Emmanuel Macron est critiquée par les élus locaux.

Une absence ambigüe

Ce territoire, recouvert à 90 % de forêts, n'était pas représenté au sommet sur l'Amazonie en août 2023, qui regroupe les pays d'Amérique du Sud avec pour but de sauver la plus grande forêt tropicale au monde. Ni par le président de la République, ni par aucun autre représentant. Un choix qui a crispé les élus de Guyane, qui auraient apprécié qu'un porte-parole du territoire soit associé au sommet. Certains évoquant même un "mépris" du chef de l'Etat à l'égard de la situation sur place. "On n'a encore une fois pas voix au chapitre, on sera spectateurs des discussions", avait regretté Thibault Lechat-Vega, le porte-parole de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG) auprès de franceinfo

Pour tenter de justifier son absence, Emmanuel Macron avait assuré que la France était "candidate" pour rejoindre l'Organisation du traité de coopération amazonienne. "Je voulais bien être le seul chef d'État européen invité, à côté d'ambassadeurs européens, pour aller expliquer (...) comment on finance l'Amazonie", mais la France est "une puissance amazonienne à travers la Guyane" et "il se trouve qu'aujourd'hui nous ne sommes pas partie du traité", avait déclaré le président de la République.

Montagne d'or

Autre source de tensions entre les élus guyanais et le gouvernement, le projet minier controversé "Montagne d'or". Favorable initialement au plus grand projet d'extraction d'or primaire jamais proposé en France, porté par le consortium russo-canadien, Emmanuel Macron a fait volte-face. Ce vaste projet d'exploitation minière situé en partie dans la forêt équatoriale avait suscité une levée de boucliers depuis sa présentation. Le collectif Or de Question, qui rassemble 30 associations guyanaises et 120 ONG opposées au projet, avait dénoncé la déforestation et les millions de tonnes de déchets générés.

Le renouvellement de la concession a finalement été contesté par l'Etat, qu'il trouve peu compatible avec ses promesses en matière d'environnement. Mais l'affaire n'est pas terminée, le Conseil d'Etat a décidé en octobre 2023 de renvoyer le litige entre la compagnie minière et le gouvernement devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Les organisations environnementales vont suivre de près la décision.

Un seul déplacement en 2017

Alors que les attentes restent fortes dans le territoire sur le front de l'environnement, les Guyanais demandent aussi le renforcement des moyens de lutte contre l'insécurité, le désenclavement des communes de l'intérieur, une reconnaissance de leur identité, l'amélioration des services de santé défaillants et du système scolaire inadapté à une démographie galopante.

À la veille de l'élection présidentielle de 2017, une mobilisation sociale d'ampleur avait secoué la Guyane pendant un mois. Une grève générale avait occupé les ronds-points et la base spatiale de Kourou, pour réclamer des investissements sur le territoire. Signés le 21 avril 2017 par des élus locaux et le gouvernement d'alors, les "Accords de Guyane" prévoyaient un "plan d'urgence" d'un peu plus d'un milliard d'euros et avaient permis une sortie de crise. 

Lors de son seul déplacement sur le territoire d'outre-mer en octobre 2017,  Emmanuel Macron avait achevé sa visite de 48 heures dans un climat très tendu. Le chef de l'Etat avait même renoncé à se rendre dans un commissariat de Cayenne devant lequel l'attendaient quelques centaines de manifestants. Sept ans plus tard, les engagements de l'État tardent à être mis en œuvre et les Guyanais attendent toujours une nouvelle visite du chef de l'État. Le Président, qui avait choisi la Guyane pour son premier voyage Outre-mer depuis sa réélection en 2022, a finalement repoussé sa venue en raison d'un agenda "particulièrement chargé". Aucune autre date n'a été arrêtée.

"Changer la relation"

Une attente qui se traduit en frustration pour les élus, notamment le président de la Collectivité territoriale de Guyane, Gabriel Serville. En novembre 2023, une délégation guyanaise s'est déplacée en métropole, à l'invitation du ministre délégué chargé des Outre-mer, Philippe Vigier. Une visite qui a fait l'objet de "discussions tendues, voire houleuses" entre les deux camps, selon le journal France Guyane. "Depuis de très nombreux mois, on a l'impression de stagner ! Il faut changer la relation entre Paris et les outre-mer et entre Paris et la Guyane en particulier !", avait asséné Gabriel Serville à la sortie de la réunion avec le ministre délégué. Ce dernier ayant tenté de calmer la situation en assurant que la méthode du gouvernement "est de faire en sorte que ce qui a été promis soit réalisé". 

Si la réconciliation ne semble pas être pour tout de suite, la réforme institutionnelle demandée par les collectivités ultramarines signataires d'un "appel de Fort-de-France" apparaît tout aussi loin. En mai 2022, les présidents des exécutifs de Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, Martinique, Saint-Martin et Guyane avaient demandé "un changement profond de politique" d'aide au développement de leurs territoires frappés par la pauvreté, et des solutions aux problématiques spécifiques aux Français d'Outre-mer pouvant aller jusqu'à une réforme constitutionnelle.

Les signataires espéraient profiter de la réforme constitutionnelle indispensable en Nouvelle-Calédonie après l'accord de Nouméa de 1998 pour également modifier les articles de la Constitution concernant les collectivités d'outre-mer. Mais le gouvernement a indiqué qu'elle ne se fera pas en même temps que les premiers changements attendus en Nouvelle-Calédonie en 2024. Bref, au bord de l'Amazonie, les signaux ne sont pas vraiment au vert.