Procès de Marine Le Pen : tout comprendre à l'affaire des assistants parlementaires
Marine Le Pen a été condamnée lundi 31 mars par le tribunal de Pairs, dans l'affaire des assistants parlementaires du Front national au Parlement européen. La cheffe de file du Rassemblement national (RN) a été reconnue coupable de détournement de fonds publics. L'ancienne présidente du parti d'extrême droite a été condamnée à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont deux ans ferme, aménageable avec un bracelet électronique, à 100 000 euros d'amende, et à cinq ans d'inéligibilité, avec exécution provisoire.
Marine Le Pen a fait appel, ce qui suspend sa peine de prison et l'amende, jusqu'au procès en appel. En revanche, elle ne pourra se présenter à aucune élection dans un délai de cinq ans, dont l'élection présidentielle de 2027 et les prochaines élections législatives, puisque sa peine d'inéligibilité a été prononcée avec exécution provisoire, soit une application immédiate et non-suspensive en cas d'appel.
Si les peines requises sont lourdes, c'est parce que le parquet puis le tribunal a considéré que Marine Le Pen a été au "centre", voire a dirigé un "système organisé" visant à faire du Parlement européen la "vache à lait" du Front national (FN). Dans cette affaire, la députée est coupable d'avoir, entre 2004 et 2016, utilisé les fonds alloués par le Parlement européen aux eurodéputés de son parti pour financer le fonctionnement du FN. Le préjudice est estimé à près de 7 millions d'euros.
Pourquoi Marine Le Pen et le RN sont condamnés
Les éléments d'enquête et plusieurs témoignages ont établi que le RN a mis en place un vaste système d'emplois fictifs dans le but de rentabiliser le financement alloué par le Parlement européen. Le RN d'ailleurs été condamné à 2 millions d'euros d'amende, dont 1 million ferme, ainsi qu'à la confiscation de 1 million d'euros saisi pendant l'instruction.
22 autres prévenus ont été condamnés à des peines allant de six mois de prison avec sursis à de la prison ferme, assorties d'amendes et de peines d'inéligibilité. Un prévenu a été relaxé.
L'affaire est dans le collimateur de la justice depuis 10 ans et a d'importantes ramifications. De quoi parle-t-on exactement ? C'est en 2014, après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti et lorsque le RN passe de 3 à 24 élus au Parlement européen que l'affaire prend de l'ampleur. Chaque député peut alors recevoir une enveloppe de 21 000 euros par mois pour financer le recrutement d'assistants parlementaires. Une manne financière grâce à laquelle le parti, qui connait de grosses difficultés à l'époque, se serait remis à flot à moindre coût.
Selon les juges, lors d'une réunion du 4 juin 2014, ordre aurait été donné à chacun des 24 eurodéputés du RN de recruter un assistant parlementaire chargé de l'épauler et de laisser tous les autres assistants parlementaires pouvant être recrutés à disposition du parti. Ladite consigne est alors rapportée par Nicolas Franchinard, un ancien assistant parlementaire auprès de trois ex-élus du RN qui a témoigné auprès de Médiapart.
Les soupçons d'emplois fictifs éclatent en 2015 avec la publication d'un nouvel organigramme du RN sur lequel figure une vingtaine de noms d'assistants parlementaires à des postes à responsabilité au sein du parti. Un cumul de fonctions à l'origine des soupçons sur des emplois fictifs qui pousse le président du Parlement européen de l'époque, Martin Schulz, a signalé la situation.
Les preuves contre le RN et Marine Le Pen
Plusieurs éléments permettant de confirmer la consigne donnée par la direction du parti concernant le recrutement d'assistants parlementaires ont été obtenus, notamment des comptes-rendus de réunion ou encore les déclarations de plusieurs anciens eurodéputés. C'est le cas d'Aymeric Chauprade qui a témoigné auprès de Médiapart et Complément d'enquête en 2017 avant de se rétracter et de remettre en cause ses déclarations. Sophie Montel, qui a été députée européenne du RN de 2014 à 2019, a également révélé cette consigne émanant de la direction du parti dans son live paru en 2019, Bal tragique au Front national. Trente ans au cœur du système Le Pen. "Je vous indique que vous aurez le choix de recruter par vous-même un assistant et que le reste de votre enveloppe d'assistance parlementaire sera mis à disposition du parti", écrit-elle citant la direction du RN.
Des documents obtenus lors de différentes perquisitions, dont des échanges de mails, tendent à montrer qu'un "système de détournement" des fonds publics a été mis en place "de manière concertée et délibérée" selon les juges d'instruction. Lors de ces échanges, Vallerand de Saint-Just qui est alors trésorier du FN indique à Marine Le Pen que le parti "[ne s'en sortira] que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen et si nous obtenons des reversements supplémentaires".
Des mises en garde émanant de certains eurodéputés contre le caractère illégal de cette organisation comparable à un système d'emplois fictifs ont été adressées au cabinet de Marine Le Pen et au trésorier selon des mails consultés par Médiapart. Lesquels étaient au courant de l'aspect frauduleux du système. Marine Le Pen a toujours nié être impliquée dans la gestion des fonds parlementaires et a simplement indiqué avoir été informée des recrutements effectués par les eurodéputés ainsi que de la gestion centralisée des fonds parlementaires censés, selon la défense du parti, faciliter la tâche aux parlementaires et aux assistants.