Armand "engueulé", Le Pen jubile... Décryptage de l'incroyable victoire politique du RN

Armand "engueulé", Le Pen jubile... Décryptage de l'incroyable victoire politique du RN Les mots choisis par le Premier ministre pour recadrer son ministre de l'Economie, Antoine Armand, qui voulait "fermer la porte au RN" ont été très durs. Michel Barnier n'a pas le choix de s'assurer de la bienveillance de l'extrême droite.

Que s'est-il passé avec le ministre de l'Economie ? Pourquoi le Premier ministre a-t-il appelé Marine Le Pen pour lui faire savoir que le son gouvernement serait à l'avenir beaucoup plus bienveillant à l'égard de l'extrême droite ? Pourquoi a-t-il recadré son ministre ?

Rappelons que le Premier ministre était furieux, mardi, après avoir entendu son ministre dire sur France Inter que le RN ne serait pas convié à Bercy, comme les autres forces politiques, pour discuter des pistes à étudier pour faire face à l'ampleur de la dette publique. "Il s'est pris une grosse soufflante. Encore une comme ça, et dehors !", a rapporté auprès d'Europe 1 un témoin de l'appel téléphonique passé à Antoine Armand. "Il s'est fait sérieusement engueuler, c'est une grosse connerie", a abondé une ministre auprès de France 2.

L'attitude de Michel Barnier a pu surprendre, elle est pourtant en pleine cohérence avec ce pourquoi il a été nommé à Matignon. Le choix d'Emmanuel Macron de laisser une personnalité issue de LR former le gouvernement a donné un poids considérable au Rassemblement national. Certains - comme probablement ledit ministre de l'Economie - ne l'avaient pas compris ou pensaient qu'il s'agissait là de l'opinion de certains éditorialistes. C'est pourtant tout simplement un fait politique concret, tangible, indépassable. Explications.

Pourquoi Marine Le Pen décide-t-elle de l'avenir de ce gouvernement ?

Ce n'est pas une vue de l'esprit, c'est totalement factuel et mathématique. En nommant Michel Barnier Premier ministre, Emmanuel Macron a opté pour la formation d'un gouvernement qui ne disposerait d'une base parlementaire composée de seulement 220 députés, très loin des 279 nécessaires pour disposer d'une majorité absolue. Intenable ? Il savait que les députés de gauche voteraient une censure. L'ennui était aussi, pour le président, que tout portait à croire que l'extrême droite ferait de même : le RN est une formation d'opposition et la logique des institutions veut que les formations politiques qui ne sont pas d'accord avec le gouvernement s'y opposent en votant la censure.

Si Michel Barnier a été nommé Premier ministre, c'est parce qu'Emmanuel Macron s'est donc assuré auprès de Marine Le Pen que les députés d'extrême droite ne voteraient pas de censure préalable. C'est la seule et unique raison. Le président avait d'ailleurs expliqué, dans un communiqué de presse, que la seule raison pour laquelle il ne nommait pas Lucie Castets, candidate du NFP à Matignon, c'est parce que la coalition du centre et celle de l'extrême droite avaient indiqué qu'elles voteraient une censure contre la gauche.

Arithmétiquement, le RN est donc en capacité de décider de l'avenir du gouvernement. A tout moment, il peut changer d'avis et affirmer son opposition au gouvernement et sa volonté de le faire tomber. Le RN votera alors avec les députés de gauche une motion de censure et Michel Barnier démissionnera. Attention aux mauvaises interprétations : il ne s'agirait alors pas d'une alliance entre le RN et la gauche, mais tout simplement de l'affirmation que ce gouvernement n'a pas l'assentiment de l'opposition, qui est diverse à l'Assemblée. Ou dit autrement, que ce gouvernement n'a pas le soutien de suffisamment de députés pour gouverner.

Pourquoi le ministre de l'Economie a-t-il été recadré ?

Manifestement, le ministre Antoine Armand n'avait pas compris que le gouvernement ne pouvait rester en place qu'avec l'aval de l'extrême droite. Le ministre de l'Economie, au micro de France Inter, avait dit qu'il refuserait de travailler avec le RN, puisque les Français avaient voté contre l'extrême droite en se mobilisant pour le front républicain. Si le barrage à l'extrême droite est une donnée factuelle des élections législatives, l'autre donnée factuelle est qu'il ne faut pas fâcher le RN.

Et Marine Le Pen s'est fâchée, demandant hier à ce que Matignon rappelle à tous les ministres "la philosophie du gouvernement". Comprendre : le gouvernement ne peut pas gouverner sans l'aval du Rassemblement national. Michel Barnier, qui a compris que le RN pouvait voter la censure dès la semaine prochaine, n'avait pas le choix : pour tenir, il a dû rappeler qu'il "respectait" les députés du Rassemblement national et qu'ils seraient entendus à Bercy.

Pourquoi s'agit-il d'une immense victoire politique pour Marine Le Pen ?

Marine Le Pen ne s'attendait sans doute pas à sortir à ce point renforcée du choix d'Emmanuel Macron et de cette séquence. Il faut dire que la réaction de Michel Barnier lui apporte une victoire politique considérable. En appelant Marine Le Pen pour la rassurer, et en laissant fuiter l'information dans Le Figaro, Michel Barnier a publiquement fait comprendre à tous à quel point elle était incontournable. La présidente des députés RN a gagné en une journée de nouveaux galons de respectabilité, en or massif, devenant même une interlocutrice incontournable.

Il faut même aller plus loin dans l'analyse : si le ministre de l'Economie a affirmé ne pas vouloir recevoir des représentants du RN à Bercy, c'est parce que l'extrême droite ne fait pas partie, selon lui, de "l'arc républicain". Cet argument est d'ailleurs le fondement du front républicain qui a conduit à l'élection de dizaines de députés macronistes (dont la sienne) - tout comme du NFP. L'expression "arc républicain" a même été reprise par l'ensemble des ténors du bloc central, le définissant comme allant de la gauche à la droite, en excluant LFI et le RN.

En affirmant haut et fort que, désormais, le RN et Marine Le Pen sont des interlocuteurs à "respecter", en leur donnant des gages pour qu'ils ne votent pas de motion de censure, Michel Barnier est donc en train de dissoudre l'idée que le RN n'est pas dans "l'arc républicain". Pour Marine Le Pen, ce ne peut être qu'une immense satisfaction politique.