Eaux contaminées Nestlé : qui sont les ministres et personnes accusés d'avoir "dissimulé" l'affaire ?
C'est un "scandale d'état", a assuré la sénatrice écologiste Antoinette Guhl au micro de RTL ce lundi 19 mai. Depuis plus d'un an, des journalistes de Radio France et du Monde ont révélé les pratiques illégales du groupe Nestlé pour filtrer ses eaux minérales. Celles-ci duraient depuis "au moins 20 ans", d'après la sénatrice. Et ce lundi 19 mai, le rapport de la commission d'enquête sur les eaux minérales de Nestlé affirme que l'Etat était au courant des agissements du groupe.
Le rapport révèle notamment, grâce au témoignage d'un lanceur d'alerte, comment plusieurs ministères, un préfet et le directeur de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie ont accepté de modifier un rapport sanitaire incriminant à la demande de Nestlé. Ce document concernait les forages de Vergèze, dans le Gard, où est produite la marque Perrier, et visait à "dissimuler la contamination de forages contaminés par des bactéries, mais aussi des herbicides et des métabolites de pesticides, parfois interdits depuis des années", selon France Bleu.
La dissimulation de l'Etat était "une stratégie délibéré"
Nestlé Waters, propriétaire des marques Hépar, Contrex, Vittel et Perrier, est soupçonné d'avoir eu recours à des techniques de filtration interdites, comme les rayons ultraviolets ou le charbon actif. Or, le droit européen interdit toute désinfection ou traitement altérant les caractéristiques des eaux minérales naturelles. Une pratique qui aurait permis à Nestlé d'économiser près de trois milliards d'euros sur quinze ans, selon une enquête de la répression des fraudes révélée par Mediapart.
"Outre le manque de transparence de Nestlé Waters, il faut souligner celui de l'État, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français", affirme le rapport de la commission d'enquête sur les eaux minérales de Nestlé, publié ce lundi 19 mai. Après six mois de travaux et plus de 70 auditions, la commission d'enquête parle de "dissimulation de la part de l'État relevant d'une stratégie délibérée". Cette stratégie aurait été "abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021", soulignant que "près de quatre ans après, la transparence n'est toujours pas faite".
Le rapport précise que la décision d'autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron s'est prise "au plus haut niveau de l'État", dans "la continuité des arbitrages pris par le cabinet de la Première ministre, Élisabeth Borne, mais sans que celle-ci ne semble informée".
"L'Elysée est au courant depuis 2022"
"L'Elysée est au courant depuis 2022" a aussi affirmé le rapporteur PS Alexandre Ouizille sur France Inter. Il a ajouté que le ministère de l'Industrie et le cabinet de Roland Lescure le sont également depuis 2021. "Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales a été non publié, c'est une décision ministérielle", a assuré le sénateur socialiste. Un rapport commandé en 2021 et finalisé en 2022 n'a été rendu public qu'après les révélations de 2024.
Alexis Kohler, alors secrétaire général de l'Élysée, avait "rencontré à plusieurs reprises" la présidente de Nestlé Waters, Luriel Lienau, selon Alexandre Ouizille. Il a refusé de se présenter devant la commission du Sénat, invoquant la "séparation des pouvoirs", rapporte Public Sénat. Un refus qualifié d'"incompréhensible" par le sénateur de l'Oise.
D'après France Info, Olivier Véran, alors ministre de la Santé, et Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l'Industrie, étaient aussi informés. Olivier Véran s'est défendu, assurant s'être concentré sur le Covid, tandis que l'entourage de Pannier-Runacher affirme avoir lancé des enquêtes sur le sujet.
La présidence de la République visée
La commission d'enquête affirme également que la présidence de la République était impliquée : "Loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé, elle a suivi de près le dossier". Elle "savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années ", selon les documents recueillis. Interrogé par la presse en février, Emmanuel Macron avait démenti être au courant du dossier, rapporte l'Express.
L'enquête révèle des échanges entre le cabinet de la ministre déléguée à la santé, Agnès Firmin Le Bodo à l'époque, le préfet du Gard Jérôme Bonet et Didier Jaffre, directeur général de l'ARS, ont conduit à la modification du fameux sanitaire incriminant Nestlé. Un fonctionnaire de l'Agence Régionale de la Santé a toutefois demandé à ce que sa signature soit retirée du rapport, affirmant qu'il "ne correspondait plus aux éléments rapportés dans le dossier".