Hijab "signe de liberté" : retrait de la campagne, pourquoi une telle polémique en France ?

Hijab "signe de liberté" : retrait de la campagne, pourquoi une telle polémique en France ? HIJAB. Le Conseil de l'Europe a lancé une une campagne de communication pour défendre le port du "hijab" et l'associer à un signe de "liberté". La polémique a entraîné des réactions officielles de désapprobation, mais aussi, des excès islamophobes.

[Mis à jour le 3 novembre 2021 à 09h25] De manière générale, les campagnes de communication du Conseil de l'Europe passent assez inaperçues en France. Mais la toute dernière, lancée il y a 6 jours, a suscité un flot de réactions en France, dans la journée de mardi 2 novembre. Le Conseil de l'Europe a mise en ligne des affiches et des visuels numériques montrant des femmes souriant et arborant un hijab ou bien les cheveux libérés, avec un slogan prônant "Beauty is in diversity as freedom is in hijab", c'est-à-dire, en français : "La beauté est dans la diversité comme la liberté est dans le hijab".

Rappelons que le Conseil de l'Europe, différente de l'Union européenne, a dans ses prérogatives la défense des droits et la démocratie, et a justifié cette campagne, indiquant qu'elle permettait de diffuser des "messages sur la lutte contre le discours de haine anti-musulman". Sur son site internet, divers visuels autour du port de ce voile couvrant la tête des femmes musulmanes étaient proposés, avec plusieurs commentaires : "Mon voile, mon choix", "Apporte de la joie et accepte le hijab", "La beauté est dans la diversité comme la liberté est dans le hijab". 

Le Conseil de l'Europe a expliqué par ailleurs vouloir avant tout mener "des projets de coopération visant à renforcer l'inclusion et à lutter contre la discrimination et les inégalités qui nuisent à l'exercice des droits de l'homme et de la démocratie par tous". L'idée de ces projets ? Proposer à ses partenaires, qu'ils soient gouvernementaux ou non gouvernementaux, des "solutions concrètes et vérifiées [...] pour protéger et promouvoir la Convention européenne des droits de l'homme et les normes pertinentes du Conseil de l'Europe".

Un sujet sensible en France

La campagne lancée le 28 octobre sur les réseaux sociaux a beaucoup fait réagir, notamment dans la classe politique française. Le gouvernement a indiqué avoir manifesté son désaccord, laissant entendre que cette campagne avait été suspendue suite à la réaction des autorités. Sarah El Haïry, la secrétaire d'Etat chargée de la Jeunesse, a fait savoir hier sur LCI que la France avait "fait part de sa désapprobation extrêmement vive, d'où le retrait de cette campagne".

Il faut dire qu'en France, la question du port du voile revêt une dimension politique singulière, avec deux points de crispation. Le premier est la question de la laïcité, si singulière en France, puisque s'abstenir de porter des signes religieux dans les espaces de débat public ou au sein des institutions publiques est considéré comme une manière de faire citoyenneté. Le port du hijab est tout à fait autorisé dans l'espace public, dans la rue... La liberté prime, mais le respect du principe de laïcité impose des demandes de retrait, effectuées auprès des femmes portant ce tissu, dans les administrations publiques ou à l'école ; elles sont souvent mal comprises.

Deuxième point de crispation, la manière de considérer le port du voile : d'aucuns jugent qu'il résulte des injonctions religieuses de l'islam - et qu'à ce titre, il est marque une forme de soumission - d'autres estiment qu'il résulte d'un choix personnel, d'autres encore pensent que tout cela s'entrecroise. D'autres considèrent encore que le hijab est bien la manifestation d'une pression sociale et religieuse, mais que la liberté de s'habiller comme on l'entend prime sur les autres considérations.

Vives réactions au sein de la classe politique française

Comme souvent en France, c'est l'excès et le manque de nuance qui se sont d'abord imposés dans le débat. De nombreuses personnalités ont réagi via leur réseau social, pour indiquer en 140 caractères leur désapprobation ou leur gêne. "Non, le voile n'est pas un vêtement comme un autre, il n'est pas symbole de liberté mais de soumission", a écrit Valérie Pécresse. Pour la présidente de la région Île-de-France, "le rôle de l'Europe, c'est de soutenir les femmes qui se battent dans le monde pour le droit de le retirer". Valérie Boyer, sénatrice conservatrice LR, a parlé du hijab comme représentant "un interdit de liberté, un interdit d'égalité, un interdit de fraternité". Marine Le Pen ou encore Eric Zemmour n'ont pas manqué de fustiger cette promotion du voile. Ce dernier a même tenu des propos clairement islamophobes, puisqu'il rédigé ce court message : "L'islam est l'ennemi de la liberté (sic). Cette campagne est l'ennemie de la vérité".

Le propos est toutefois plus nuancé chez l'ex-ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol. La socialiste a eu ses mots sur Twitter : "Rappeler que les femmes sont libres de porter le hijab (dans le respect des lois de chaque état membre, en France celle de 1905 et 2004) est une chose. Dire que la liberté est dans le hijab, en est une autre. C'est en faire la promotion. C'est le rôle du conseil de l'Europe ?", s'est-elle interrogée.

La campagne supprimée des réseaux sociaux

Selon le Conseil de l'Europe, cité par Le Figaro, les tweets "faisaient partie d'un projet conjoint du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne". Sur Twitter, une brève réaction à la polémique a été diffusée par l'institution : "Porter ou non un symbole religieux est une liberté individuelle en vertu des participants à l'atelier de la Convention européenne des droits de l'homme". L'organisation prône "le respect de ceux qui décident de ne pas porter le hijab et de ceux qui le font". La campagne publicitaire a finalement été supprimée des réseaux sociaux.

En 2018, un mouvement de protestation avait été lancé en Iran contre le port obligatoire du voile. Des vidéos dans lesquelles les femmes ne le portant pas ou mal selon la législation avaient été diffusées avec le hashtag #MyCameraIsMyWeapon (ma caméra est mon arme, ndlr). C'est dans ce même pays qu'en 2019, l'avocate Nasrin Sotoudeh, militante des droits humains et avocate de femmes ayant enlevé leur voile dans l'espace public en Iran, avait été condamnée à dix ans de prison et 148 coups de fouet pour "incitation à la débauche". En 2019 également, une campagne avait été lancée en Algérie pour dénoncer le port du voile sous la pression sociale.