Mayotte : l'opération Wuambushu entravée et critiquée, les bidonvilles en sursis

Mayotte : l'opération Wuambushu entravée et critiquée, les bidonvilles en sursis MAYOTTE. L'opération Wuambushu est ralentie à Mayotte après la décision de justice de suspendre la destruction d'un bidonville ce mardi 25 avril. L'Etat va faire appel pour poursuivre sa politique contre contre l'immigration illégale et la délinquance.

A peine commencée, l'opération Wuambushu à Mayotte connaît déjà des difficultés. Et ce n'est autre que la justice qui fait entrave à la politique dictée par Paris. L'évacuation et la destruction du bidonville nommé le Talus 2, situé à Koungou et proche de la préfecture Mamoudzou, qui devaient débuter à l'aube ce mardi 25 avril 2023 ont été suspendues par les juges, lesquels ont pointé l'irrégularité des conditions d'expulsion. L'exécutif n'entend pas en rester là et compte faire appel de la décision selon le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, qui a déclaré sur la chaîne locale Kwezi TV que "l'opération aura lieu dans les prochains jour".

Les expulsions de migrants en situation irrégulière et les destructions de plusieurs bidonvilles prévues par l'opération Wuambushu suscitent de nombreuses critiques formulées par des organisations associatives, syndicales ou encore une partie de la population. Malgré cette opposition et les arguments avancés, les élus locaux continuent de soutenir le projet présenté comme un moyen de lutte contre l'immigration illégale et la délinquance, deux phénomènes liés aux yeux du gouvernement. "L'opération Wuambushu n'est pas arrêtée" a d'ailleurs assuré la députée UDI de Mayotte Estelle Youssouffa au micro de Franceinfo en réponse à une justice qu'elle juge "clémente par rapport aux mineurs qui sèment la terreur à Mayotte". Si c'est bien la destruction du bidonville qui a été suspendue car elle "mettait en péril la sécurité" des habitants selon la justice, le problème est plus vaste d'après l'élue. Ces espaces où s'amassent des centaines et parfois des milliers de personnes sont "des zones insalubres" et "dangereuses" à plusieurs égards juge Estelle Youssouffa : "Ce sont des foyers épidémiques et ce sont des refuges pour les chefs de bande qui sèment la terreur à Mayotte". L'opération Wuambushu est aussi une "opération de maintien de l'ordre, d'arrestation des chefs de bandes et d'expulsion des étrangers en situation irrégulière" explique la députée qui soutient qu'il est nécessaire de "reprendre le terrain perdu par la République dans ces zones de non-droit" et de "récupérer ces terrains publics et privés occupés illégalement".

En quoi consiste l'opération Wuambushu à Mayotte ?

L'opération Wuambushu (nommée selon le mot mahorais pour dire "reprise") menée à Mayotte depuis le 24 avril 2023 a pour objectif d'expulser massivement les immigrés en situation irrégulière avec l'ambition chiffrée de procéder à 300 expulsions par jour contre 70 habituellement selon les informations du Monde. Originaires des Comores pour la plupart, les immigrés doivent être expulsés vers Anjouan, l'île comorienne la plus proche de Mayotte à seulement 70 km des côtés. Ces expulsions doivent s'accompagner de la destruction de 1 000 bidonvilles "sur décision de justice" pour dissuader le retour des étranges issus de l'immigration illégale, ajoutait Gérald Darmanin au micro de franceinfo le 21 avril. Alors que Mayotte abrite "le plus grand bidonville d'Europe" selon la député locale Estelle Youssouffa et est l'un des départements les plus pauvres de France, les habitants des bidonvilles voués à être rasés ne sont pas uniquement des immigrés. Le gouvernement a toutefois promis de reloger les Mahorais "dans de vrais logements".

1 800 policiers du CRS 8 spécialistes de la lutte contre les violences urbaines et gendarmes mobiles sont déployés à Mayotte dans l'opération Wuambushu. Contrôles d'identité et saisies d'armes font partie de leur principales missions "afin de rétablir durablement la paix publique et républicaine" sur l'île d'après les justification de Gérald Darmanin.

Quand débute l'opération Wuambushu à Mayotte ?

Aucune date n'a été précisément fixée par le gouvernement pour acter la mise en place de l'opération anti immigration à Mayotte, du moins pas publiquement. La ministre de l'Intérieur s'est contenté d'évoquer une intervention sur le "long cours" alors que des opérations d'ordre public ont lieu "tous les jours" à Mayotte. Dans les faits, les choses se sont accélérées avec une augmentation significative des contrôles réalisés par les policiers et la gendarmes fin avril pour un possible lancement le lundi 24 avril 2023. A en croire  franceinfo, la première destruction de bidonvilles serait attendu pour le 25 ou le 26 avril.

Une fois lancée, l'opération Wuambushu durerait deux mois selon les sources de RTL. Les expulsions pourraient donc être quotidiennes jusqu'à fin juin. A raison de 300 expulsions par jour, plus de 18 000 personnes pourraient quitter le territoire de force.

Politique "anti-pauvre"... Pourquoi l'opération Wuambushu est décriée ?

L'opération Wuambushu voulue et mise en place à l'Eta à compter du 24 avril est loin de faire l'unanimité à Mayotte. Plusieurs organisations associatives ou syndicales mais aussi des habitants de l'île dénoncent cette politiques, ses biais ou ses effets et appellent le gouvernement à l'interrompre.

  • Défense des droits de l'Homme. L'opération Wuambushu à Mayotte pose la question du respect des droits de l'Homme et selon l'Unicef ou la Ligue des droits de l'Homme la politique bafoue ces droits : la première organisation s'inquiète surtout du sort des enfants et la seconde décrit "une opération qui viole les droits fondamentaux des personnes expulsées et qui est contraire aux engagements internationaux de la France en matière de respect des droits humains". Ces inquiétudes sont partagées par la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui a assuré surveiller le déroulement de cette opération notamment par la présence de quatre délégués sur place.
  • Défense du droit au logement. L'accès et surtout le droit à disposer d'un abris est aussi mis en cause dans l'opération Wuambushu selon l'association Droit au Logement (DAL) qui dénonce un projet risquant de "briser des familles" et de jeter les personnes expulsées "dans la grande misère". L'association voit dans cette politique une opération "anti-pauvre" qui "confirme une nouvelle régression des politiques du logement des classes populaires : on résorbe l'insalubrité non plus en relogeant les habitants de quartiers informels, mais en les stigmatisant pour mieux justifier leur expulsion".
  • Effectivité de l'aide au relogement. Si après la destruction des bidonvilles, les immigrants clandestins doivent être expulsés, les habitants "légaux" de Mayotte doivent être relogés selon la promesse du gouvernement. Mais plusieurs personnes ont pointé l'absence de propositions de relogement auprès de l'AFP en faisant écho aux craintes de la DAL qui  estime que Mayotte "ne dispose pas des moyens suffisants de relogement ni même d'hébergement au regard du nombre d'expulsions/destructions envisagées". Le préfet de Mayotte Thierry Suquet a promis le 25 avril sur une chaine locale : "On relogera les Français et étrangers en situation régulière qui vivent à Talus 2. On est en capacité de reloger ces gens qui vivent dans des conditions indignes".
  • Profils des personnes concernées. L'opération Wuambushu, selon sa description par le gouvernement, doit permettre de réduire la criminalité en expulsant les délinquants issus de l'immigration illégale. Pourtant le discours de Gérald Darmanin laisse entendre que toutes les personnes en situation irrégulière risquent d'être expulsées peu importe qu'elles aient un lien ou non avec la délinquance. Le risque de l'expulsion plane sur presque la moitié des habitants de l'île car à l'inverse de la métropole, les enfants d'immigrés clandestins ne bénéficient pas de droit du sol qui accorde la nationalité française aux personnes nées en territoires français et naissent en tant qu'habitants clandestins. "Ces jeunes ont leurs amis, ils ont l'école. Du jour au lendemain, pour certains, on va les arracher à tout ça et les renvoyer sur une île qu'ils ne connaissent pas. Tout en sachant qu'ils vont chercher à revenir", a prévenu Bruno Dezile de la branche locale de la CGT Éducation au micro de RTL.
  • Fuite des immigrés clandestins. L'efficacité de l'opération Wuambushu est aussi questionnée sur son efficacité. Les descentes des forces de l'ordre étant attendues dans les bidonvilles, de nombreuses personnes ont quitté les lieux selon différents témoignages auprès de franceinfo et d'autres médias. Ceux-là pourraient se rendre de refuge en refuge et échapper aux contrôles et donc à l'expulsion.
  • Aggravation des tensions sociales. Si certains migrants clandestins fuient, d'autres se soulèvent. Des affrontements entre groupes délinquants et forces de l'ordre se sont observés dès les première heure de l'opération Wuambushu à Mayotte, le 24 avril. Cette politique risque de multiplier les altercations et d'aggraver "les fractures et es tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé" selon le président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, Jean-Marie Burguburu, qui a adressé une lettre au ministre de l'Intérieur le 17 mars.

L'opération Wuambushu est-elle soutenue par la population de Mayotte ?

Si plusieurs critiques se font entendre, l'opération Wuambushu trouve aussi des soutiens parmi la population mahoraise. Franceinfo compte quinze maires favorables à la poursuite de la politique de lutte contre l'immigration illégale et la délinquance sur les dix-sept édiles de Mayotte. D'autres élus sont du même avis notamment la députée UDI de l'île Estelle Youssouffa qui a jugé une intervention nécessaire et urgente dans les bidonvilles auprès de RTL le 21 avril : "Des dizaines de milliers de personnes habitent dans des taudis, des habitations dangereuses, insalubres, criminogènes. C'est impératif de les détruire".

Certains citoyens mahorais qui pâtissent du taux de criminalité considèrent, à l'instar du gouvernement, que la délinquance est intimement liée à l'immigration et estiment l'opération Wuambushu comme une possible réponse au problème. Une large partie de la population de Mayotte estime tout de même que d'autres politiques doivent être menées pour faire face à la situation notamment sur le plan du logement, car si le secteur connaît déjà des difficulté sur l'île, la destruction des bidonvilles pourrait aggraver ces dernières.

Quelle est la réaction des Comores face à l'opération Wuambushu ?

Si l'opération Wuambushu est à l'œuvre à Mayotte, sa réussite est loin d'être garantie. D'abord parce que les critiques émises sur cette politique (lire plus haut) sont autant de points qui soulèvent des biais et peuvent remettre en question la réussite de l'opération. Mais c'est aussi de la réaction des Comores que dépend l'issue de l'opération Wuambushu. Alors que l'écrasante majorité des personnes en situation irrégulière vivant à Mayotte est originaire de l'archipel comorien, c'est ce territoire qui va recevoir les convois de personnes expulsées du 101ème département français. Problème : les Comores n'entendent pas jouer la partition de l'exécutif français et ont refusé, le lundi 24 avril, l'accostage d'un bateau français convoyant des migrants clandestins de Mayotte sur l'archipel. Le ministre de l'Intérieur des Comores, Fakridine Mahamoud, a d'ailleurs dénoncé la politique française auprès de l'AFP : "Tant que la partie française décidera de faire des choses de façon unilatérale, nous prendrons nos responsabilités. Aucun expulsé ne rentrera dans un port sous souveraineté comorienne".

L'archipel des Comores avait prévenu la France de son opposition à l'opération Wuambushu dès le 10 avril dans un communiqué comme le rappelle Le Monde : "Alors qu'il s'est établi, entre les Comores et la France [...] un dialogue apaisé [...], cette opération va à l'encontre du respect des droits humains et risque de porter atteinte aux bonnes relations qui unissent les deux pays" et risque de nuire à "la stabilité dans la région". Les autorités avaient également insisté sur l'appartenance de Mayotte à l'archipel comorien malgré son statut particulier : "Mayotte est une île comorienne maintenue sous administration française depuis l'indépendance du pays en 1975".

Quelle est la situation à Mayotte ?

Mayotte connait une situation particulière où pauvreté et délinquance atteignent des niveaux records en France. Avec l'arrivée de milliers migrants venus essentiellement des Comores, mais aussi de Madagascar et de quelques pays d'Afrique, l'île est en proie à une crise migratoire depuis 2011. L'Insee estime que la moitié de la population de Mayotte n'est pas de nationalité française mais également qu'un tiers des étrangers sont nés à Mayotte. 

Dans un contexte de grande pauvreté à laquelle sont confrontés les personnes issues de l'immigration mais aussi une partie de la population mahoraise - 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 30%, selon la députée Estelle Youssouffa interrogée sur RTL - cette cohabitation n'est pas toujours pacifique. Certains Mahorais soutiennent l'expulsion des immigrés en situation irrégulière souvent majoritaires dans les bidonvilles comme une puéricultrice qui a confié à l'AFP : "On est obligés de s'enfermer sans arrêt. On ne peut pas se promener avec des objets de valeur. Si on sort la voiture de la cour, on ne sait jamais dans quel état on va la ramener". Mais plus que d'apaiser, l'opération Wuambushu pourrait raviver les tensions. Les habitants clandestins de l'île se sont pour certains enfuis des bidonvilles pour échapper à l'expulsion et ceux-là se disent prêt à accueillir les forces de l'ordre avec des "cocktails Molotov" et promettent une vengeance et des violences après la destruction du bidonville selon l'AFP : une réponse à "la guerre civile des Mahorais contre nous".