Affaire Théo : au procès des policiers, des témoignages éprouvants
Il a livré sa version des faits. Lundi 15 janvier 2024, devant la cour d'assises de la Seine-Saint Denis, Théo Luhaka, victime d'une interpellation violente par trois policiers le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois a pu s'exprimer à la barre. Deux des accusés vont être interrogés ce mardi sur les faits, le troisième le sera mercredi. Sept ans en arrière, le jeune Théo est grièvement blessé au rectum par le bâton télescopique de défense (BTD) de l'un des trois policiers. Depuis, Théo souffre de séquelles irréversibles. Ce lundi, il a une nouvelle fois accusé le gardien de la paix qui l'a blessé de l'avoir fait "volontairement".
"On m'a abandonné"
"Bonjour à tous, je m'appelle Théo Luhaka, j'ai 29 ans et aujourd'hui, je ne fais pas grand chose, je suis à la maison". Voilà comment ce dernier s'est présenté ce lundi. Une semaine après l'ouverture du procès, Théo raconte l'isolement dont il est victime au fur et à mesure que les années passent : "Au début j'étais dans le déni, j'étais beaucoup soutenu, j'avais beaucoup de personnes autour de moi. Je voyais mes rappeurs préférés, les joueurs de foot que j'adorais, c'était mon rêve". Depuis 2019, tout a changé : "Ils ont fait ce qu'ils pouvaient pour m'aider, mais il y a des limites. Je suis juste une personne agressée par la police. On m'a abandonné et j'ai mis du temps à réaliser qu'on ne me doit rien". Théo est passé d'un jeune qui avait "plein de projets" à celui d'un presque trentenaire "handicapé" qui fait l'objet de "moqueries" selon ses dires.
Plusieurs coups de matraque et des insultes
Lorsque la présidente de la cour d'assises en vient aux faits, Théo Luhaka raconte : "Je ne me serais jamais interposé si le contrôle n'avait pas commencé par une gifle. Lorsque je me suis débattu, j'ai peut-être mis un coup. La seule idée que j'ai en tête, c'est d'aller dans l'angle des caméras, comme ça s'ils me laissent pour mort, je suis filmé." Il affirme également se rappeler des coups, même si "ça reste très flou", des années après le traumatisme.
"À chaque fois je leur demandais pourquoi ils font ça et eux me répondait 'ferme ta gueule'". C'est à ce moment-là que le jeune Théo reçoit le coup de matraque au niveau du rectum. Une douleur "tellement forte" qui permet aujourd'hui à Théo d'affirmer l'intentionnalité du geste du principal mis en cause : "c'était son but de me faire mal". Il relate également les mots de son médecin généraliste au sujet du coup de BTD qui a atteint la zone péri-anale : "C'est impossible que cette zone, ils l'aient touchée en un seul coup". L'enchaînement des faits apparaît confus dans la description de la victime, il explique toutefois avoir été frappé à plusieurs reprises en dehors du champ des caméras et que les policiers ont proféré des insultes racistes à son égard. "Dans la voiture, ils étaient tous fiers d'eux, aucun n'a dit qu'il y avait un problème" accuse-t-il.
Jérémie D., l'un des trois policiers accusés parle lui d'une échauffourée avec des coups de part et d'autres" lors de son interrogatoire devant la cour d'assises de Seine-Saint-Denis, le mardi 16 janvier, pour décrire l'interpellation de Théo. "J'attends de voir ce qu'il se passe, l'équipage essaie de maîtriser cet individu (Théo) mais la sauce est en train de mal tourner. Il se débat, c'est un grand gaillard, il est balaise, athlétique. Je décide de prêter main forte à mes collègues en effectuant une amenée au sol. Je la rate. Je tombe au sol". "Lorsque nous décidons de lever M. Luhaka, nous l'amenons au mur. Encore une fois, on lui dit qu'on veut le faire asseoir. Une nouvelle fois, il n'obtempère pas." a-t-il également indiqué.
"Je suis mort le 2 février 2017"
Théo souffre aujourd'hui de séquelles physiques qui l'empêchent de poursuivre son rêve : embrasser une carrière de footballeur. Il dit être gêné par des gazs : "La maladie que j'ai, c'est la maladie que l'on trouve chez les femmes qui accouchent. Mais je ne suis pas une femme, je n'ai pas accouché madame" en s'adressant directement à la présidente. "Théo, c'est celui qui s'est fait violer, celui qui s'est fait manger les fesses par la police. L'image véhiculée, c'est celle-là" explique-t-il pour mettre en avant l'humiliation vécue et sa réputation dans son quartier. "La réalité de la vie, c'est que moi je suis mort, le 2 février 2017. Quand le procès sera fini, les flics, ils continueront. Mais ma famille ils vont continuer à vivre avec un mort-vivant" déclare Théo. Des mots d'une violence inouie sur un ton désespéré. Il a également cité plusieurs fois la série Monk, programme dont le personnage principal souffre de troubles obsessionnels compulsifs. "Je vais regarder Mon jusqu'à la fin de a vie" a-t-il déclaré. Le verdict du procès est prévu pour le vendredi 19 janvier 2024.