De nouveaux blocages après le 10 septembre ? Il n'y a que deux façons d'éteindre le mouvement

De nouveaux blocages après le 10 septembre ? Il n'y a que deux façons d'éteindre le mouvement Après les actions de blocage du 10 septembre, le mouvement "Bloquons tout" est susceptible de se poursuivre. Il dispose du soutien d'une partie des Français.

La mobilisation du 10 septembre a frappé fort dès l'aube avec des actions de plusieurs grandes villes de France. Des actions fortes, parfois violentes, qui ont parfois donné lieu à des affrontements avec les forces de l'ordre sommées d'empêcher tout blocage. Cette première journée de mobilisation est "un test du suivi du mouvement à l'échelle nationale" décisif pour la suite du mouvement, explique Federico Tarragoni, professeur des universités en sociologie politique à l'université de Caen et directeur du Centre de recherches interdisciplinaires sur le politique (CRIPOLIS) auprès de Linternaute.com. "Le mouvement a une existence numérique et localisée" et l'idée est de voir s'il prend "au-delà des personnes déjà impliquées".

Ce 10 septembre le mouvement "ne pourra prendre qu'une forme très localisée" en faisant "le pari d'entrer en résonance pour mobiliser des soutiens citoyens". Pour l'heure, il s'agit surtout d'une mobilisation d'ultra-gauche en raison du soutien des insoumis, des écologistes et des communistes et de l'intervention de "groupes militants de la gauche radicale" pour organiser les actions. Une étiquette qui peut "limiter l'audience citoyenne transpartisane" selon le spécialiste. Mais l'élargissement du mouvement et son inscription dans le temps est possible puisque "la colère contre le gouvernement et les politiques macronistes brasse très large au-delà de la gauche".

Le soutien des Français décisif pour la suite du mouvement "Bloquons tout"

L'ampleur que prendra la suite du mouvement du 10 septembre dépendra du soutien citoyen aux mobilisations de ce mercredi. Mais les actions choisies, dures pour la plupart et notamment pour les blocages, ne risquent-elles pas de pousser les Français à rejeter le mouvement ? Pas forcément selon Federico Tarragoni qui estime que "la radicalité des mobilisations est tout à fait proportionnelle à l'indifférence du pouvoir" : "La raison pour laquelle un mouvement citoyen en vient au blocage, c'est l'épuisement de toutes les autres cartes possibles pour faire fléchir un gouvernement qui continue à gouverner sur une base minoritaire". "On a épuisé la voie électorale parce que le gouvernement n'a pas pris en compte les résultats des législatives de 2024. On a épuisé la carte des manifestations et des grèves parce que le gouvernement a inventé une forme d'indifférence vis-à-vis des conflits sociaux - chose tout à fait inédite en France -, énumère le spécialiste de sociologie politique. Lorsque toutes les cartes ont été épuisées, il ne reste que les blocages et les actions plus violentes."

Les actions violentes choisies par le mouvement "Bloquons tout" auront certainement pour effet de limiter la participation citoyenne aux mobilisations, mais cette non-participation ne sera pas nécessairement synonyme d'absence de soutien, insiste le directeur du CRIPOLIS : "La majorité ne va pas bloquer. Bloquer ça demande des coûts et des compétences militantes. Mais l'enjeu c'est la réception publique de ces blocages. La question c'est "est-ce que la population va les approuver ?", pas "est-ce qu'elle va les faire ?". Sur ce point, les Français ont déjà démontré qu'ils pouvaient soutenir des actions de blocages comme en janvier 2024 avec la mobilisation des agriculteurs. "La majorité de la population a compris que participer à une manifestation ne sert à rien" face à un pouvoir sourd aux contestations, ajoute Federico Tarragoni. Le soutien risque d'être moindre si les actions débordent sur des violences, à moins que celles-ci ne découlent d'affrontements après des répressions trop violentes, comme l'heure des mobilisations des Gilets jaunes.

Près de 2 Français sur 3 (63 %) soutenaient le mouvement du 10 septembre selon un sondage Toluna-Harris Interactive pour RTL publié le 22 juillet. La même étude indiquait que 70 % des sondés étaient favorables aux manifestations pour protester contre le budget du gouvernement" et 58 % l'étaient aussi pour le blocage du pays. Dans un sondage plus récent réalisé par Ipsos-BVA-CESI pour La Tribune Dimanche entre le 3 et le 4 septembre, 46 % des Français disent soutenir le mouvement appelant à "bloquer" le pays. 

Le mouvement "Bloquons tout" peut-il durer malgré la chute de Bayrou ?

Annoncé après la présentation du budget de François Bayrou, le mouvement du 10 septembre s'est maintenu après la chute de l'ex-Premier ministre. Il peut tout aussi bien se poursuivre après la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, survenue mardi soir, et la composition du futur gouvernement. "La seule manière de faire imploser la mobilisation, ce serait de nommer un Premier ministre de gauche" indique Federico Tarragoni. Une gauche qui "porte un projet de rupture vis-à-vis des politiques économiques et sociales du macronisme et qui correspond à ce que la majorité des manifestants souhaitent, du moins tel que le mouvement apparaît aujourd'hui" ajoute-il.

"Ce n'est pas parce que François Bayrou est tombé que le macronisme et ses politiques ne continueront pas" prévient le sociologue. Avec la nomination de Sébastien Lecornu, "on s'oriente vers la même logique d'un gouvernement minoritaire, donc la poursuite d'une même politique économique et sociale. Le mouvement a de fait toute sa légitimité pour se poursuivre". Federico Tarragoni souligne que le mouvement du 10 septembre "n'était pas un mouvement contre Bayrou, mais contre une politique d'austérité, contre l'idée de faire payer une dette accumulée par des politiques trop riches à toute la population et à tous les travailleurs". "Le mouvement perdurera tant qu'un changement de cap dans les politiques économiques ne sera pas assumé et tant que la macronisme n'acceptera pas un principe de cohabitation. Les deux choses ne vont pas se produire telle que la réalité s'annonce et donc le mouvement continuera" conclut-il.

Un risque d'épuisement du mouvement

Reste à savoir quelle forme prendra la suite du mouvement. La mobilisation du 10 septembre s'apparente à une "grosse action coup de poing pour exprimer un ras-le-bol majoritaire de la population vis-à-vis de quatre années de déni démocratique" selon le spécialiste. Il veut être "une photo instantanée de la colère", mais il espère aussi durer. La suite "dépendra de la puissance de la mobilisation à l'échelle locale" et la réception citoyenne. "S'il n'y a pas de relève à l'échelle locale alors le mouvement pourra s'épuiser très vite, il ne restera que la partie syndicale et on tombera dans un scénario proche de celui des manifestations contre la réforme des retraites" analyse le professeur en sociologie politique.

Les organisations syndicales ont effectivement annoncé une suite au mouvement, mais avec "une stratégie plus institutionnelle" éloignée de la "radicalité des mobilisations du 10 septembre". Ce sont là "deux choses qui peuvent s'accomplir en parallèle, auquel cas les ambitions des manifestants seront comblées".