Ladj Ly : "Les Misérables, c'est un film sur la France d'aujourd'hui"

Ladj Ly : "Les Misérables, c'est un film sur la France d'aujourd'hui" INTERVIEW - Sélectionné pour représenter la France aux Oscars et primé à Cannes, Les Misérables sort le 20 novembre 2019 au cinéma. Le réalisateurs Ladj Ly a répondu à nos questions sur la genèse de ce film et son propos.

[Mis à jour le 19 novembre 2019 à 14h43] "Claque", "coup de poing", "magistral", les qualificatifs n'ont pas manqué pour décrire Les Misérables après sa première projection, lors du dernier Festival de Cannes. Cette réalisation de Ladj Ly est repartie de la prestigieuse cérémonie avec le Prix du Jury. Quelques mois plus tard, ce portrait engagé de la France et de sa banlieue a été sélectionné par le CNC pour représenter la France à l'Oscars du meilleur film international. Nous avons rencontré le réalisateur Ladj Ly, qui est revenu sur ce premier film déjà très remarqué.

Avant d'être un long-métrage, "Les Misérables" est un court-métrage. Qu'est-ce qui vous a inspiré ce film ?

Ladj Ly : Je fais partie d'un collectif, Kourtrajmé. Mais avant ça, je filme depuis que j'ai 17 ans. J'ai commencé par filmer ce qui se passait autour de moi, dont les interventions des policiers dans le quartier. Jusqu'au jour où j'ai filmé une vraie bavure policière et que j'ai diffusé la vidéo. Je me suis alors rendu compte de l'impact que pouvaient avoir les images, et j'ai décidé d'en faire une fiction. J'ai fait plusieurs documentaires avant de me lancer dans la fiction dans un court-métrage il y a deux ans. Les Misérables a ensuite été adapté en long-métrage avec la même équipe.

"Les Misérables" flirte entre la fiction et la réalité. Ces scènes sont-elles inspirées de faits réels ?

Oui, je me suis inspiré de la réalité, de ce que je vis, du quotidien de ces quartiers. J'ai en effet voulu apporter un côté documentaire dans la fiction avec ce côté réaliste et très proche des gens. C'est ce que j'ai voulu faire dans la première partie du film, où on est en immersion dans le quartier et où on découvre la cité à travers le regard de Damien Bonnard [l'acteur qui interprète Pento, ndlr]. Car malheureusement, on parle beaucoup des quartiers, mais peu de gens les connaissent vraiment de l'intérieur. C'était important pour moi de témoigner de cette réalité sans prendre parti. 

© Le Pacte / SRAB Films / Rectangle Productions / Lyly Films

Comment vous êtes-vous positionné par rapport aux clichés que le cinéma et la société véhiculent sur la banlieue ? Avez-vous cherché à les éviter ?

Ce sont souvent des gens de l'extérieur qui racontent la banlieue, alors qu'ils ne la connaissent pas plus que ça. Pour moi, c'était important, en tant que banlieusard, de faire un film sans cliché. Dans Les Misérables, il n'y a pas de trafic, pas de drogue, il n'y a pas de rap. On a fait très attention en écrivant le scénario de ne pas faire ces erreurs.

Vous assumez le côté politique de votre film ?

Tout à fait. C'est avant tout un film patriote qui parle de cette nouvelle France, qu'on l'accepte ou pas. C'est ça, la France d'aujourd'hui. Ce n'est plus celle d'il y a trente ans, ni la France dans cinquante ans. Je pense qu'il faut faire avec ces Français de couleur différente, mais Français avant tout. C'est ce que cherche à montrer le début du film, qui se passe pendant la Coupe du monde de Football.

"Les Misérables, c'est tout le monde" - Ladj Ly, réalisateur

"Les Misérables" n'est pas une adaptation du roman de Victor Hugo. Pourquoi ce titre ?

C'est un film qui parle avant tout de la misère. Une partie du roman de Victor Hugo se déroule à Montfermeil, aujourd'hui encore on a la maison des Thénardiers, la fontaine de Jean Valjean,...etc. Depuis gamin on est lié à cette histoire et il se trouve que la misère est toujours présente un siècle et demi plus tard sur ce même territoire. Ça faisait sens, et c'était avant tout un clin d’œil qu'on voulait faire à Victor Hugo et non une adaptation du roman. 

Les Misérables, dans votre film, c'est qui ?

Tout le monde. Les habitants dans un premier temps, mais les policiers aussi ! On se met à leur place, ils travaillent dans des conditions très dures, avec des salaires très bas, et vivent aussi dans les cités. Ce n'est pas un film anti-policier. Le peu de policiers qui ont vu le film pour l'instant [au moment de l'interview, ndlr] nous ont dit qu'ils adhèrent aux propos du film et qu'ils se reconnaissent à travers les personnages.

On suit des policiers, mais les enfants sont également les héros des "Misérables"...

C'est un film qui parle avant tout de l'enfance, il faut pas l'oublier. Dans le film, on a voulu poser beaucoup de question : qu'est-ce qu'être un enfant et grandir sur ces territoires ? Quel est leur avenir ? Malheureusement ils sont de plus en plus jeunes à être livrés à eux-mêmes, dehors. Ce sont les premières victimes de ce système, de cette société... J'estime que les premiers responsables sont les politiques qui ont laissé cette situation pourrir depuis 30-40 ans, et ça continue de perdurer. A un moment donné, soit il y a une réelle volonté politique d'arranger les choses, soit... il ne faut pas s'étonner si la révolution arrive.

© Le Pacte / SRAB Films / Rectangle Productions / Lyly Films

La fin des Misérables est bouleversante. Quel message avez-vous voulu faire passer ?

C'est un cri d'alarme, c'est un constat d'échec, c'est aussi une réalité. Comme je l'ai dit, tout est inspiré de faits réels. Cette scène à la fin du film, je l'ai vécue en vrai. Malheureusement ce sont des choses qui arrivent : quand il y a un problème, quand les gens sont dans une souffrance, à un moment donné ils craquent.

Les Misérables - sortie cinéma le 20 novembre 2019