"Il faut qu'il y ait une pression pour jouer chaque rôle" dit Lambert Wilson, dans De Gaulle
[Mis à jour le 22 juin 2020 à 8h30] Peu d'acteurs auraient pu être crédibles dans un rôle aussi imposant. Lambert Wilson était le seul acteur français qui en avait la carrure selon le réalisateur Gabriel Le Bomin. Dans De Gaulle, de nouveau à l'affiche ce lundi 22 juin après une première sortie le 4 mars (avant le confinement à, il prête ses traits au général durant les quelques semaines cruciales qui ont menées à l'appel du 18 juin 1940. Ce biopic mêle faits historiques et vie intime du couple De Gaulle afin de cerner les motivations derrière l'engagement de l'homme militaire et politique, encouragé par son épouse Yvonne. Lors d'une interview réalisée avant la première sortie du film en mars dernier, Lambert Wilson est revenu sur la manière dont il avait endossé ce rôle, qu'aucun autre comédien n'avait incarné dans un biopic dédié au cinéma jusque-là.
Quelle a été votre réaction lorsqu'on vous a proposé de jouer Charles de Gaulle ?
Quand on vous propose De Gaulle, on se dit à la fois "c'est génial" et en même temps "attention, il y a eu l'Abbé Pierre, Cousteau, c'est peut-être un peu dangereux d'enchaîner les personnages français aussi célèbres". Mais ce qui m'a donné envie de faire le film, c'était la photographie en première page du scénario : on voyait le couple Charles et Yvonne de Gaulle en 1940. (Pause) Et avant même de lire le scénario, j'ai longtemps regardé la photographie, et ils avaient cette tendresse, quelque chose qui m'a convaincu, avant même de lire le détail. C'est un scénario passionnant parce que c'est un mélange d'intime et d'historique. Mais ce sont surtout le couple et l'aspect romanesque qui m'ont convaincu. Il y avait quelque chose de pas banal dans cette photographie, dans la façon qu'ils avaient de se regarder tous les deux. Je me suis dit "ça, ça change tout" : ce n'est pas le vieux monsieur avec la voix tremblotante qui incarne la France, pas du tout ! C'est un homme qui va se battre, qui est visionnaire, intelligent mais totalement seul face aux événements, épaulé par une femme incroyable. C'était très différent.
Ce n'était pas l'image que vous aviez de Charles de Gaulle avant le film ?
Non, et si on m'avait proposé un biopic traditionnel, je serais parti en courant. Je l'ai fait avec Cousteau [dans L'Odyssée en 2016, ndlr], qui n'est pas totalement un biopic non plus, mais qui faisait traverser 40 ans dans la vie de cet homme-là. Ça impose des choses difficiles. Est-ce que c'est véritablement nécessaire de voir toute la vie d'un homme ? Je trouve que c'est beaucoup plus pertinent avec ce film de choisir un mois qui va révéler plein de choses de qui il était et de ce qu'était ce couple.
"C'est important de donner une sensation, une vibration du personnage"
Comment avez-vous appréhendé ce rôle ? Comment est-ce qu'on dose entre imitation et réinterprétation ?
Je n'ai pas essayé de l'imiter car je trouve que ce n'est pas un exercice très intéressant. L'imitation parfaite, c'est divertissant pendant un moment, mais on peut passer à côté de l'essentiel. Je trouve que c'est plus important de donner une sensation, une vibration du personnage et de faire comprendre ce qui le meut, pourquoi il prend la décision qu'il prend, comment il réagit émotionnellement et psychiquement au monde qui l'entoure. Les imitateurs -dont je ne fais pas partie car je suis incapable d'imiter qui que ce soit- changent très souvent leur sujet d'imitation car une fois qu'on a fait de Gaulle pendant cinq minutes, même à la perfection, le public a besoin d'autre chose. Et de quoi il a besoin ? De la profondeur du personnage. Sinon, pour trouver comment l'incarner, c'était très traditionnel : on consomme des photos, des images, des films, on écoute les documents, on mange du de Gaulle, on boit de Gaulle on dort de Gaulle...
Avez-vous ressenti une pression particulière à l'idée de jouer ce rôle ?
J'espère qu'il y a une pression pour jouer chaque rôle ! S'il n'y a pas de pression, c'est qu'il y a un problème, il faut qu'il y ait une pression... Honnêtement il y a plus de pression sur un metteur en scène qui va écrire un sujet sur de Gaulle et qui va livrer un de Gaulle, sur un producteur qui doit défendre un film sur de Gaulle, que sur l'acteur qui l'interprète.
Pour ce rôle, vous portiez maquillage et prothèses...
Oui j'avais 2h30 de maquillage de prothèses pures… (Réfléchit) en tout j'avais à peu près 3h30 de préparation.
En quoi ça a influencé votre manière d'incarner ce personnage ?
J'aime bien, car c'est comme un masque. Un masque, ça peut être trop figeant, trop fixe, on peut "mourir" derrière le masque. Mais ça vous permet aussi de libérer vos inhibitions. On n'est pas soi-même à ce moment là, on s'aperçoit dans le miroir et ça crée une marche différente, une voix différente, simplement parce qu'on a un visage différent. Ce que j'ai trouvé passionnant aussi, c'est le compagnonnage avec les maquilleurs, la coiffeuse,... : ils sont là tous les matins pendant deux mois à vous construire millimètre par millimètre, qui sont attentif aux moindres détails et qui vous surveillent. C'est comme si on n'était pas seul à composer le personnage, c'est vraiment un travail d'équipe. C'est plus agréable que de travailler tout seul.

Qu'avez-vous ressenti en jouant la scène de l'appel du 18 juin 1940 ? Était-ce une scène difficile à jouer ?
C'était le dernier jour de tournage, la production avait fait venir beaucoup de monde, les gens m'écoutaient à côté du décors, il y avait une sorte de mise en scène vraiment impressionnante… Mais c'était un peu comme en patinage artistique où on a des figures imposées : là, c'est le discours, tout le monde l'attend. Pour le jouer, j'avais dans l'oreille le discours qu'il a fait le 21 juin, puisque celui du 18 juin n'a pas été enregistré. J'étais plongé dans cette concentration, ce son, ces phrases. Quand on est en uniforme, devant le micro qui a probablement été le sien à la BBC, dans cet espèce d'isolement, c'est beaucoup plus facile d'arriver à se rapprocher de lui. Là où c'était beaucoup plus difficile, c'était lorsque de Gaulle était habillé en civil, car il est surtout défini par son costume de militaire. Et lorsqu'il était en costume de civil, je sentais qu'il partait... C'était beaucoup plus difficile de garder ce de Gaulle lorsqu'il est un citoyen comme les autres.
Les scènes de la vie intime étaient donc plus compliquées à jouer pour vous ?
Là où c'est compliqué dans les scènes intimes, c'est qu'on doit prendre des décisions là où il n'y a pas du tout d'informations, sinon les lettres, leurs correspondances, ce que leur fils a décrit de la situation familiale et de l'atmosphère qui y régnait,...etc. Mais à un moment donné, comment est-ce que de Gaulle prend la main de sa femme ? Comment il l'embrasse pour lui dire au revoir ? Comment il l'embrasse quand il la retrouve ? On a des responsabilités, si ce n'est vis-à-vis des membres de la famille, on est quand même obligé de ne pas faire n'importe quoi. Et en même temps il faut faire preuve d'imagination, inventer leur langage corporel.
"C'est pas mal d'entendre un message dont la vertu est de rassembler les gens dans un effort commun"
Et avec Isabelle Carré avez qui vous aviez déjà joué...
C'est très facile, c'est du bonheur total. Ça se fait, c'est tout. On n'a pas de discussions. Isabelle est en prise directe avec l'émotion et la situation, il suffit que je la regarde pour y croire. Elle joue de façon tellement sincère et tellement naturelle, qu'on oublie les perruques. On se connaissait bien et on s'aimait bien, ça aide oui, on n'a pas eu à se découvrir pendant le tournage.
Pourquoi c'est important de faire ce film aujourd'hui ?
D'abord parce que ça n'a pas été fait avant, donc il fallait le faire. Mais aussi parce que je trouve que c'est pas mal d'entendre un message dont la vertu est de rassembler les gens dans un effort commun, une direction commune. Mais ce n'est pas le projet du film, c'est l'un de ses effets ! On se trouve dans une époque où tout le monde en France a tendance à se détester et à se taper sur la gueule, on est dans une sorte de phase de désamour les uns des autres. Et avec le film, ça fait du bien d'entendre la parole d'un homme à qui il ne reste que ça : le pouvoir des mots. On sent qu'il ne le fait pas politiquement ,pour y gagner de façon égoïste, il le fait véritablement pour une question altruiste, une question plus grande que lui. On est un peu déçu par la politique en ce moment, il y a toujours une mauvaise surprise qui sort d'un chapeau, toujours on se dit "les gens font un peu n'importe quoi". Dans le film, on a un bonhomme qui est totalement héroïque. Peut-être malgré lui, parce que les événements font qu'il est le seul. Donc il y va.
Publiée une première fois le 4 mars 2020 lors de la première sortie de De Gaulle, cette interview a été re-partagée à l'occasion du retour du film dans les salles le 22 juin 2020.
De Gaulle - de nouveau dans les sorties cinéma le 22 juin 2020