"Si Lambert Wilson avait dit non, je ne suis pas sûr que De Gaulle se serait fait" pour Gabriel Le Bomin

"Si Lambert Wilson avait dit non, je ne suis pas sûr que De Gaulle se serait fait" pour Gabriel Le Bomin Lors de la sortie de De Gaulle, le réalisateur Gabriel Le Bomin s'était confié sur la création de ce biopic ambitieux. Le film est de nouveau à l'affiche pour la réouverture des cinémas. Interview.

[Mis à jour le 22 juin 2020 à 9h00] C'est une figure historique majeure dont s'empare Gabriel Le Bomin pour son dernier film. De Gaulle est sorti une première fois dans les salles le 4 mars 2020. Mais comme de nombreux films sortis à la fin de l'hiver, son exploitation a été coupée nette par la fermeture des cinémas. Ce biopic historique est de retour dans les salles à la réouverture, ce lundi 22 juin. Pour rappel,De Gaulle retrace les quelques semaines cruciales de juin 1940, moment où le Général quitte la France pour Londres, avant de lancer son fameux appel du 18 juin. Entre film historique et portrait intime du futur couple présidentiel, ce long-métrage propose un nouveau regard sur le couple De Gaulle. Dans une interview accordée peu de temps avant la première sortie du film en mars, le réalisateur Gabriel Le Bomin est revenu sur cet ambitieux projet..

Pourquoi avez-vous décidé de faire un film sur Charles de Gaulle, et plus particulièrement sur Charles de Gaulle en juin 1940 ?

J'avais abordé Charles De Gaulle à plusieurs reprises dans mes travaux documentaires. Puis j'ai vu le film Le Discours d'un roi, et je me suis demandé : "Qu'est-ce qui pourrait ressembler à ça en France ?" Finalement, le grand discours français du XXe siècle, c'est cet appel du 18 juin : c'est un marqueur de l'histoire qui légitime De Gaulle et qui surtout permet à la France d'être un pays qui résiste et qui a sa place à la table des vainqueurs. Avec ma co-scénariste Valérie Ranson Enguiale, on s'est ensuite demandé comment on pouvait aborder cette affaire sans tomber dans le biopic classique qui aborde toute sa vie. Le premier geste c'était de circonscrire le récit. Entre mai 1940 et l'appel du 18 juin, il y a cinq semaines très intéressantes où le personnage est en train de devenir de Gaulle tel qu'on le connaît. Le deuxième choix qu'on a opéré sur le scénario, c'était de donner à Yvonne De Gaulle une place à égalité dans le récit.

Avez-vous ressenti une appréhension ou une pression durant la préparation du film ?

Il y a toujours une grande appréhension quand on se lance dans un film. Après, c'est au fur et à mesure du projet que j'ai commencé à avoir des sueurs froides. J'avoue que les premiers essais où on a cherché le visage, l'allure, ... c'était des moments où j'avais des doutes. Les premiers jours de tournage ont été aussi des moments de questionnements. Mais c'est toujours le cas pour un film. Mais quand on s'attaque à un personnage connu, ça l'est puissance 100.

"Il n'y avait pas d'autres possibilités" que Lambert Wilson dans ce rôle.

Vous avez fait le choix d'aborder le personnage par le prisme de l'intime : comment vous y êtes-vous pris pour écrire le scénario ?

Dans un premier temps avec ma co-scénariste, on est allé vers la documentation classique : biographie, livres d'histoire, les récits plus personnels comme ceux de son fils, les lettres que Charles et Yvonne échangeaient quotidiennement. Et puis il y a les mémoires de Charles de Gaulle qui sont riches, puisqu'il raconte au jour le jour cette période. Après à l'intérieur de tout ça, il faut faire des choix, et surtout il faut investir les espaces de fiction et les faire vivre avec honnêteté et ressemblance.

Comment en êtes-vous venu à choisir Lambert Wilson pour ce rôle ? Quels étaient vos critères ?

Dès l'écriture du scénario, on s'est interrogé sur l'incarnation. Et le champ des possibles n'est pas immense. On n'a pas pléthore d'acteurs qui allieraient l'âge, le charisme, la stature, la notoriété... Si Lambert [Wilson, ndlr] avait dit non, je ne suis pas sûr que le film se serait fait… ou en tout cas pas si facilement. Il fallait un acteur qui ait une capacité à s'emparer de l'épique et du romanesque, et Lambert Wilson l'a prouvé et il aime ça en plus, il aime construire et disparaître derrière ses personnages. C'est une belle rencontre d'un metteur en scène avec un acteur, d'un acteur avec un rôle. Ça s'est fait comme ça mais en même temps, il y avait pas d'autres possibilité. 

Et la première fois que vous l'avez vu dans le costume de Charles de Gaulle, qu'avez-vous ressenti ?

Ça fait une émotion de voir l'acteur devenir le personnage. Quand il est apparu il y a eu un trouble chez les gens parce que tout le monde a vu... que ça marchait ! A certains moments c'est bluffant. Et en même temps, je ne voulais pas faire disparaître totalement Lambert wilson, il ne fallait pas aller trop loin non plus. Je voulais qu'on garde la sensibilité de l'acteur.

"Avec l'appel du 18 juin, on a trois minutes et vingt secondes pour l'Histoire. Je ne sais pas ce qui restera des discours politiques d'aujourd'hui dans 50 ans".

Pourquoi avez-vous décidé de faire ce film, sur ce sujet, aujourd'hui ?

On ne peut pas dire que c'était une volonté consciente… Mais oui, quand on veut raconter un film historique, au fond c'est une émanation de l'époque qu'il produit. Nous-même nous sommes traversés par des problématiques, des informations de notre société. Pourquoi un film sur de Gaulle aujourd'hui… (Réfléchit) peut-être qu'il y a effectivement un questionnement sur ce qu'est un homme d'Etat, qu'être Français, qu'affirmer que cette nation est un pays. Mais ce n'était pas conscient. La vraie motivation au départ c'était la promesse de romanesque et de cinéma de ces personnages.

Donc une dimension politique qui n'est pas consciente...

Toute la dimension politique vient après… et forcément elle interroge notre époque ! Le discours politique du 18 juin 1940, il dure trois minutes et vingt secondes... et c'est le climax de l'Histoire ! Trois minutes et vingt secondes d'un discours politique qui résonne encore aujourd'hui, qui pose la légitimité d'un personnage pour l'histoire et qui permet à un pays de marcher la tête haute... Quand on voit aujourd'hui ce qu'est le discours politique, sa répétition, sa longueur, et finalement son absence de sens... ça m'interroge beaucoup. C'est sidérant de voir qu'aujourd'hui tout le monde parle, tout le monde dit tout et n'importe quoi. Là, on a trois minutes et vingt secondes pour l'Histoire. Je ne sais pas ce qui restera de tous les discours politiques d'aujourd'hui dans 50 ans.

Lambert Wilson et Isabelle Carré dans De Gaulle. © ALAIN GUIZARD / BESTIMAGE

C'est la première fois qu'un biopic sur Charles de Gaulle est adapté au cinéma. Auparavant, il n'y a eu que des téléfilms. Comment l'expliquez-vous ?

Churchill a donné lieu à dix-huit fictions, que ça soit au cinéma ou dans les séries, les Américains ont aussi fait des films avec JFK, Nixon… Là où les Anglais et les Américains s'emparent de personnages historiques très facilement, nous moins. Je ne sais pas si c'est par culture, par absence d'intérêt, par crainte, par appréhension d'être associé à une idéologie… Nous, on s'est emparé de De Gaulle comme un personnage romanesque. Le fait de le mettre à distance et de le regarder dans un moment où on peut objectivement le regarder sans être "pour" ou "contre", je pense que ça nous a protégé. Effectivement, prendre De Gaulle et le regarder plus tard, comme en mai 68 ou pendant la guerre d'Algérie, ça aurait été autre chose. Là, on est protégé par le fait qu'on a contenu le récit. Après, pourquoi en 50 ou 60 ans ça n'a jamais été abordé...

Est-ce que ça peut s'expliquer par la difficulté de s'emparer d'un sujet aussi ambitieux ? Ça a été compliqué pour vous de monter ce film ?

Non... Et même, on avait cette stupéfaction de l'investisseur qui disait : "bah oui, c'est vrai, ça n'existe pas..." Ça semble évident pourtant, mais ça n'existe pas. Peut-être qu'aujourd'hui le cinéma français se mondialise un peu, les Anglo-saxons nous influencent un peu. En tout cas, on a toute la matière historique, notre histoire est riche. C'est vrai que les Anglo-saxons voient tout de suite la possibilité de faire du show, de la fiction, là où nous on a une réserve, culturelle peut-être. Ce n'est pas la seule raison mais c'est sûrement l'une d'entre elles.

Publiée une première fois le 4 mars 2020 lors de la première sortie de De Gaulle, cette interview a été re-partagée à l'occasion du retour du film dans les salles le 22 juin 2020.

De Gaulle - de nouveau dans les sorties cinéma le 22 juin 2020