Aurélien Vives : "Le deuil est une des clés de l'empathie du lecteur envers Peter Parker"

Aurélien Vives : "Le deuil est une des clés de l'empathie du lecteur envers Peter Parker" À l'occasion des 60 ans de Spider-Man, l'éditeur Panini lance une collection de 10 histoires complètes à 6,99€ chacune. Comment faire le bon choix ? Quels ont été les éléments décisifs ? Éléments de réponses avec Aurélien Vives, de Panini Comics.

Peter Parker, l'homme-araignée, fête cette année ses soixante ans. Presque une aberration temporelle pour un personnage qui est resté bloqué à l'adolescence pendant la majorité de sa carrière…  À l'occasion de cet anniversaire, les éditions Panini ont publié une série d'histoires complètes sous la forme de 10 albums: "La collection anniversaire de Spider-Man". Le tout vendu au prix riquiqui de 6,99€ le tome. Aurélien Vives, éditeur et community manager France chez Panini Comics, revient pour L'Internaute sur la genèse de ce projet.

Linternaute.com : Comment est venue l'idée de ce projet?

L'idée a germé avec le succès de la collection "printemps des comics" en 2021, qui était sur le même format, même nombre de tomes, avec une frise sur le dos, et le même type de prix.  La collection s'est imposée d'elle-même avec l'anniversaire des 60 ans du tisseur en 2022. Le héros le plus emblématique de tout l'univers Marvel !

Dans l'édition des comics, il y a une idée récurrente: celle de créer des portes d'entrée, de proposer des choses les plus lisibles possibles et de faire des sélections pour les lecteurs, tant il est vrai que l'univers est foisonnant. Ces sélections éditoriales permettent de mettre le pied à l'étrier, de se lancer sans avoir le vertige. Avec le "printemps des comics", on souhaitait créer une collection destinée au plus grand nombre, mais qui soit plutôt sexy au niveau du contenant. On a donc choisi un format cartonné, avec des couvertures assez graphiques. Il fallait que les lecteurs les plus aguerris aient envie d'acheter les tomes qu'ils n'auraient pas, et que les nouveaux lecteurs soient enthousiastes d'avoir cette collection dans leur bibliothèque.

© 2022 MARVEL

Est-ce que vous comprenez que la masse de comics puisse effrayer ou décourager un lectorat néophyte?

Tout à fait! C'est pour ça qu'on fait ce genre de collection, et qu'on essaie de proposer des numéros 1 bien visibles. Dans l'univers des mangas, c'est très différent. One Piece compte 102 tomes, mais il n'y a qu'un seul numéro 1. Simple et direct. Les comics, ce sont des scénaristes qui changent, des crossovers, des numéros spéciaux… De quoi donner le vertige ! Cela fait partie de la richesse (et c'est extrêmement satisfaisant) d'avoir pour un même héros trois-quatre interprétations différentes, avec des aspects que l'on va aimer et d'autres moins.

Mais je comprends que cela puisse avoir cet effet de lapin dans les phares d'une voiture: " Il y en a beaucoup trop je suis perdu!". D'où l'intérêt d'une collection comme "La collection anniversaire de Spider-Man".

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Spidey, c'est plus de 1500 comics différents, 4500 apparitions dans des périodiques... Comment fait-on le choix de ce qu'on garde?

Ce n'est pas évident du tout ! C'est un travail collégial avec les équipes éditoriales. On veut des récits complets, pas quelque chose qui se termine sur un cliffhanger et risquerait de frustrer les nouveaux lecteurs. Un second filtre est lié au choix de ne pas avoir des volumes de 400 pages. Il y a un arc narratif qui est super, qui s'appelle L'Enfant intérieur, de John Marc DeMatteis et Sal Buscema. On avait tous envie de mettre cette histoire dans la collection, mais sa taille nous en a empêchés…

Puis s'enclenche un processus itératif : on réfléchit aux coups de cœur, aux récits qu'on a envie de mettre, qu'ils soient cultes ou non. C'est important de profiter de cette collection pour mettre en avant des histoires que nous aimons et qui n'ont pas forcément eu l'écho qu'elles méritaient. L'arc Le Cauchemar de Paul Jenkins et Humberto Ramos est typiquement un arc auquel on ne pense pas instantanément mais qui pourtant est de grande qualité. Et il n'avait pas été mis en avant depuis longtemps…

Est-ce que vous avez une liberté totale vis-à-vis de Marvel ?

Oui. Si on faisait quelque chose de complètement délirant, je pense qu'ils nous taperaient sur les doigts, mais ce n'est pas notre but ! On a une vraie liberté dans ce qu'on peut proposer, mais évidemment on passe par une validation chez les ayants-droit. Cela dit, on est habitué et on sait comment faire…

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La mort est très importante dans la construction de Spider-Man. Des morts où le poids de la responsabilité est de plus en plus fort: il est bébé quand ses parents disparaissent, il n'intervient pas pour Ben, il se bat contre le Dr Octopus quand ce dernier provoque l'éboulement d'un immeuble et tue le capitaine Stacy. Enfin, il est le responsable direct de la mort de Gwen, jetée du haut d'un pont par le Bouffon vert. Comment capter la construction de Spidey sans la chronologie de ces morts ?

En effet, l'évolution du poids du deuil sur les épaules de Peter Parker est non seulement un facteur d'évolution du personnage mais aussi une des clés de l'empathie que le lecteur développe envers ce dernier. Le deuil, c'est quelque chose que tout le monde a vécu ou vivra. Idem pour l'évolution de son sentiment de culpabilité. Mais il faut se replacer dans un contexte éditorial ! À l'époque de l'écriture de Spider-Man, les fascicules sortent et disparaissent. Ils ne sont pas réédités et donc ils ne sont plus relus. Ainsi, les morts qui se succèdent sont destinées à des lecteurs différents.

La mort d'oncle Ben est rejouée sous forme de flash-back à intervalles réguliers. Quand on est à l'épisode 75 ou 100 et que cela fait huit ans que ce personnage est décédé dans le comics, de nouveaux lecteurs jeunes n'ont jamais lu cet épisode. Cette culpabilité semble lointaine.

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Donc quand les scénaristes, l'éditeur, tuent un nouveau personnage dans l'entourage de Spider-Man, l'événement réinitialise le sentiment de culpabilité auprès des nouveaux lecteurs.

C'est aussi pour cela que ce phénomène se produit beaucoup moins par la suite : il y a des rééditions, des réimpressions. Le lecteur a accès à ces épisodes et il n'y a plus ce besoin de recréer ce sentiment en permanence. Dans la collection en elle-même, on a choisi de ne pas proposer le tout début de Spider-Man, parce que c'est quelque chose qui a été vu dans maintes éditions et que tout le monde connaît sur le bout des doigts. On s'est dit que la mort de Gwen Stacy était un peu moins rééditée, et que c'était l'occasion de la mettre à nouveau en avant via cette sélection. Au niveau construction, je pense que tout le monde connaît la mort d'oncle Ben. Celle de Gwen Stacy est la deuxième plus iconique. Cela nous semblait donc pertinent de la proposer aux lecteurs.

En parlant de cinéma, avez-vous constaté une envolée des ventes sur les arcs Spider-verse après le chef-d'œuvre d'animation ?

Spider-verse, c'est un cas un peu particulier, parce que dès qu'il est sorti, il a cartonné. Écrit par Dan Slott, l'un des scénaristes qui est devenu tout de suite l'un des plus emblématiques de Spider-Man, accompagné de deux dessinateurs exceptionnels: Giuseppe Camuncoli et Olivier Coipel, qui est peut-être la plus grande star actuelle dans le milieu. Il y avait tout pour que ça marche. Les Spider-Men qui viennent de toutes les dimensions, interagissent ensemble.. Il y a un côté presque primitif dans ce concept. Les rebondissements sont légion et surprennent les lecteurs. Il y aussi un aspect épique et une très grande aventure. Dès sa sortie, le titre s'est imposé en top des ventes. Évidemment les  films Into the Spider-verse et le No Way Home renforcent encore plus cette position "incontournable" du récit. C'est très récent, et c'est déjà l'un de ceux que l'on a le plus réédités dans différents formats.

Quel est le tirage de cette collection ?

Nous avons tiré chaque tomes à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires.

Quelles sont vos attentes ?

On a basé nos attentes vis à vis de notre expérience avec l'édition précédente du printemps du comics.  On sait que certains tomes, les plus iconiques, seront vendus intégralement, et que d'autres, plus anciens, se vendront un peu moins. Mais le but au-delà des ventes est de fédérer de nouveaux lecteurs.

Cette collection a-t-elle ramené des lecteurs réguliers ?

Nous observons en effet des hausses des ventes liées notamment aux recommandations de lecture qui accompagnent chaque tome et qui invitent les lecteurs à partager d'autres aventures avec le Tisseur.

Combien avez-vous de titres Spidey au catalogue Panini France ?

En catalogue actuel, si on se réfère aux seules intégrales, une cinquantaine. Ce sont tous les titres qui sont parus jusqu'aux années 80. Si on ajoute les autres collections, je dirais environ 200. Et je parle en séries, pas en tomes, bien entendu.

 Quels sont les trois titres de Spider-Man que vous conseillez personnellement ?

Superior Spider-Man: c'est le Dr Octopus qui remplace Peter Parker en lui volant son corps, mais le dernier geste de Peter Parker est d'imprimer son mantra "de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités". Donc, le Dr Octopus va essayer d'être un Spider-Man encore meilleur que Peter Parker. C'est sans doute un de mes conseils les plus fréquents.

Spider Island, où toute l'île de Manhattan récupère des pouvoirs de Spiderman. La question qui se pose est : "Si tout le monde a des pouvoirs de Spider-Man, qu'est-ce qui fait de Peter Parker quelqu'un d'exceptionnel?". Tout le truc, c'est que le lecteur se rend compte que ce n'est pas juste le fait d'avoir les pouvoirs de Spider-Man qui fait de Peter Parker quelqu'un d'exceptionnel.

Ultimate Spider-Man, qui a ce côté soap tellement bien écrit, une ambiance adolescente, le lycée… On a l'impression de savoir où ça va aller - et ça prend un autre chemin ! Ça rebondit tout le temps…

Quelle est votre définition d'un " run" ?

Une saga c'est une histoire plus ou moins longue alors qu'un run c'est la production ininterrompue d'un scénariste sur une série. On peut imaginer qu'un scénariste ait plusieurs runs s'il écrit par exemple de 1992 à 1994 et qu'il revient cinq ou dix ans plus tard. Pour moi le run c'est avant tout le scénariste parce que c'est lui qui donne le la sur les histoires qui vont se dérouler. On peut avoir un run qui voit plusieurs dessinateurs.

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Donnez-nous deux conseils de lectures, un dans l'univers de Spider-Man et un ailleurs, pour les trois profils de lecteurs suivants :

  1. Je sors du ciné, j'ai bien aimé le dernier film de Spider-Man mais je n'ai rien lu.

Sans hésiter une seconde je recommande Spider-verse, parce que c'est là où on retrouve l'idée de plusieurs Spider-Men qui travaillent ensemble pour lutter contre une menace multidimensionnelle.

En dehors du tisseur, je conseille Dr Strange et les Sorciers suprêmes, où Dr Strange travaille avec plusieurs sorciers suprêmes de l'histoire du monde. C'est une histoire complète en deux tomes, qui a une super intrigue.

  1. J'aime les comics des années 80, je n'ai rien lu depuis.

Je proposerais les mini-séries Symbiote Spider-Man de Peter David et Greg Land. Peter David écrit des histoires qui s'inscrivent dans la continuité du personnage et dans le passé. C'est une revisite modernisée mais pas trop, avec pas mal de guests et des mini-séries indépendantes. Et aussi The Marvels de Kurt Busiek et Yildiray Cinar, qui est une saga où sont utilisés des éléments du passé et du présent. L'idéal pour se remettre dans le bain sans se sentir perdu.

  1. Je n'aime pas les comics du tout.

Pour une telle personne, réfractaire aux comics, je recommande le second opus de la collection anniversaire de Spider-Man : La Mort de Gwen Stacy. C'est une histoire sur la manière dont Peter vit le deuil. Une histoire pleine d'émotions. Loin des clichés du genre super-héroïque.

Et sur le reste du catalogue, Die de Kieron Gillen et Stephanie Hans qui est une sorte de Jumanji gothique intense et émouvant. Cette série parle des rêves que l'on avait enfant et qui sont détruits ou abandonnés lorsque l'on devient adulte…